Les années 2000 sont un paradoxe étrange dans le rap français. Bien qu’elles aient vu exploser certains des meilleurs rappeurs de France et qu’elles nous aient fourni des oeuvres intemporelles, elles ont aussi marqué la naissance du fameux slogan « Le rap c’était mieux avant ». C’est après avoir été témoin d’une énième discussion sur la prétendue pauvreté de la période que nous avons décidé de défricher la décennie pour essayer d’émettre un avis objectif. L’idée de proposer un classement nous est vite venue mais dans un souci d’objectivité nous avons contacté presque tout ce que la France compte de journalistes rap pour définir le plus précisément possible ce qui avait fait l’essence des années 2000. Ce classement n’a pas pour objectif d’être exhaustif ou immuable, il marque juste une certaine cartographie de ce cycle de dix ans de rap français et, on l’espère, un outil pour que les jeunes générations s’intéressent de plus près au patrimoine du mouvement.
Retrouvez la première partie ici : de 100 à 91
Retrouvez la deuxième partie ici : de 90 à 81
Retrouvez la troisième partie ici : de 80 à 71
Retrouvez la quatrième partie ici : de 70 à 61
60 – Lalcko – Diamants de conflit (2008)
Avant de se lancer vers les 21 titres de ce projet, l’auditeur lambda doit être averti : Diamants de conflits nécessite une écoute attentive, dépassant la simple lecture du titre guidant d’entrée vers les thèmes abordés par cet ancien membre de45 Scientific. Sang de l’Afrique, vœux d’autodétermination, désirs de réussite, transmission culturelle, le panel des sujets évoqués est vaste et les voir réunis ici donne à ce street-album toute la légitimité d’occuper une place dans ce classement. Le tour de force Lalcko ? Entremêler les codes et les formules inclassables et masquer les quelques imperfections d’un projet fleuve comme celui-ci en révélant tout son potentiel sur des morceaux dont lui seul a le secret.
Le morceau qu’on recommande : Lumumba, un choix sans prise de risque qui n’étonnera pas les plus initiés. Difficile pourtant de sélectionner une autre piste, tant celle-ci semble porter le projet à elle seule. Texte travaillé, référence historique comme base d’un discours fédérateur, une tête qui bouge naturellement à l’écoute de la production signée Cris, sans ce titre phare, Diamants de conflits n’aurait pas le même relief.
59 – Rohff – Le code de l’horreur (2008)
Personne ne nous contredira si l’on avance que Le code de l’horreur est le dernier grand album de Rohff, bouclant la boucle avec son premier classique dont on parlera plus tard. Toujours engagé socialement, énervé sur les instrus, Rohff propose ce qu’il sait faire de mieux, du rap brut et sale et c’est là qu’il excelle notamment avec des morceaux comme Sévère, J’Arriveou encore l’inévitable single La Grande Classe.
Le morceau qu’on recommande : L’Expression du malaise, un son contestataire produit par Cannibal Smith, dans lequel Houssni n’hésite pas à égratigner ouvertement et directement la politique ultra-sécuritaire de Nicolas Sarkozy.
58 – Saian Supa Crew – X Raisons (2001)
Dès les premières notes, la filiation est claire. X Raisons commence comme KLR se terminait et l’on comprend tout de suite que le Saian n’est pas revenu pour décevoir les fans du premier album. Le second disque est même meilleur que le précédent, plus cohérent, plus technique et la couleur musicale se voulant exigeante. Les six rappeurs alternent avec brio entre le sérieux (Maladie, 14.2.2002., Tourner la Page), l’humour (sur les interludes notamment) et d’excellents storytelling (comme sur Dernière Séance) pour un album sans-fautes dont on ne retirerait aucune piste.
Le morceau qu’on recommande : 14.02.2002, inspiré de Memento ou Irréversible, un son dans lequel la narration remonte le fil de l’histoire jusqu’au dénouement final.
57 – Seth Gueko – Barillet Plein (2005)
Révélé par Neochrome au début des années 2000, Seth Gueko se distingue vraiment en 2005 avec Barillet Plein, une mixtape qui installe l’idée du rap de gitans dans le paysage français. Sur un très long disque (vingt-six titres), il invite la crème du rap français de l’époque avec Sinik, Brasco, Alkpote, Salif, Freko, Nubi etc. pour une avalanche de morceaux incroyables et sans concession. Pas toujours inspiré dans le futur, Seth Gueko signait là un sans-faute complet, un carton plein pour un projet haut en couleurs qui n’a pas pris une ride.
Le morceau qu’on recommande : Je Voulais, en featuring avec Flynt et Mokless. Sur un beat produit par Ayastan, les trois rappeurs franciliens racontent les désillusions que la vie apporte quand elle prend le dessus.
56 – Sefyu – Qui suis-je ? (2006)
Ceux qui sont assez vieux se rappellent sûrement la vague incroyable créée par Sefyu en 2006 avec la sortie de son premier album. Une ambiance sombre, des beats angoissants produits de mains de maître par Therapy, Cannibal Smith ou encoreStreet Fabulous, c’était la recette idéale pour toucher la rue, très sensible au style de Sefyu. Les morceaux Senegalo–Ruskovou encore La vie qui va avec, avec son gimmick qui deviendra contagieux, sont restés classiques.
Le morceau qu’on recommande : En Live de la Cave, un son qui sent la spontanéité et qui pue la rue sur une production de l’inévitable Thérapy 2093.
55 – Alkpote – L’empereur (2008)
Un bulldozer qui débarque dans un milieu parfois trop policé, Rabelais sous coke au 21ème siècle, aucune description ne collera vraiment au rappeur déroutant d’Evry. Aimé ou détesté, l’aigle de Carthage n’a jamais laissé personne indifférent mais s’il est si respecté dans le monde du rap, c’est que derrière l’outrance se cache un rappeur ultra technique qui a le don de surprendre à chaque ligne. Et en 2008, L’Empereur s’avère être un excellent premier album porté par une flopée de featurings de très haut niveau (Salif, Seth Gueko, LIM) mais surtout par des textes excellents d’Atef.
Le morceau qu’on recommande : On Crève à Petit Feu, un morceau à huit voix clôturé sublimement par Nakk.
54 – Salif – Boulogne Boy (2007)
Au bal des pitbulls, le rottweiller Salif s’est invité six ans après la sortie de son phénoménal premier album. Pas vraiment une street-tape mais pas vraiment un album non plus, Boulogne Boy avait déçu les passionnés à sa sortie. Douze ans après et avec le recul nécessaire, on comprend que Salif avait simplement rappé la rue, sa rue et qu’il était sorti de l’objectif inatteignable de surpasser son premier solo pour nous livrer un second disque plus que réussi.
Le morceau qu’on recommande : Macadam Fight, en featuring avec Alonzo. « Paris le jour, c’est Marseille la nuit / Marseille le jour, c’est Paris la nuit » et une passe d’armes épique entre les deux sur les deux couplets.
53 – Dicidens – HLM Rezidants (2004)
Au cours de cette longue rétrospective des années 2000, nous sommes tombés sur des projets injustement oubliés par le grand public et s’il fallait une illustration, ce serait cet album de Dicidens. Formé par Nessbeal, Zesau et Koriaz, soutenu par Geraldo, HLM Rezidants sent bon la fin de siècle et la vague Lunatic. Même s’il sort en 2004, la plupart des pistes ont été enregistrées à la fin des années 90 et ça se ressent dans l’écriture. Rien de très original dans les thèmes abordés mais c’est surtout dans la force des flows et la tournure des phases que Dicidens fait mouche. Un disque essentiel et un jalon important du rap indépendant.
Le morceau qu’on recommande : HLM Rezidants, sur une production de Cress, un morceau sur lequel Nessbeal, Zesau et Koriaz, les trois gars d’teci qui sont d’dans, touchent les sommets.
52 – Nubi – Scarlattitude (2006)
Nubi a souvent un peu été le Solskjaer du rap français, un type qui rentre dans les arrêts de jeu d’un morceau avec un couplet percutant pour récupérer le trophée. Mais au-delà de ces featurings qui ont fait sa réputation, et hors de Futuristik, le rappeur du 9-1 était aussi un excellent soliste et même si ce street-cd comporte bon nombre de morceaux venant d’autres projets, Scarlattitude agit presque comme un best-of de ce que Nubi a apporté au rap français et rien que pour cette raison, il représente un objet à posséder.
Le morceau qu’on recommande : Freestyle Têtes Brulées parce que Nubi se permet de rapper sur la production de Repose en Paix et de le faire immensément bien.
51 – Dany Dan – Poétiquement Correct (2006)
Un album attendu. A l’époque où sort Poétiquement correct, Dany Dan est reconnu comme l’un des MC les plus talentueux du circuit, sa discographie partagée avec Zoxea et Melopheelo au sein des Sages Poètes de la Rue venant témoigner pour lui. Ce premier album n’est donc pas une surprise du point de vue de sa qualité, Dany Dan jouant sur les mots et le sens de la formule avec l’aisance qu’on lui connaît. Le MC boulonnais maîtrise plus que jamais son sujet, au point de faire regretter le choix de certaines productions offrant une mise en relief parfois minimale du contenu. Mais l’essentiel est là, Danydonnant l’impression de pouvoir rapper en continu sans lasser les oreilles attentives à l’image du triptyque Le Parc / La femme d’un autre / La fuite. Sans surpasser les attentes et les espoirs du public, ce premier solo reste une oeuvre de grande valeur dans la collection de chaque passionné qui sommeille en nous.
Le morceau qu’on recommande ? Ma Ville, titre en symbiose avec son narrateur, dont le profil se dessine avec minutie au fur et à mesure des lignes. Aucun artifice, aucune surenchère, “c’est pas un film mec, c’est juste ma rime, juste ma vie…”.
La méthodologie : chaque votant devait choisir cinquante albums. Il attribuait cinquante points à l’album qu’il plaçait en première position, quarante-neuf points au second et ainsi de suite jusqu’au cinquantième qu’il créditait d’un point. La liste de base n’était pas fixe et chacun était libre d’ajouter les albums de son choix.
Les votants : nous avons eu la chance de pouvoir compter sur la participation des rédactions de L’Abcdr du Son, Reaphit, Le Bon Son, Revrse ainsi que feu SURL, en plus de Genono, Spleenter et Olivier Cachin. Leur présence a fait monter le total des votants à 43 et il est à noter que dans un souci de partialité, l’organisateur de ce classement a préféré s’abstenir afin de n’influer d’aucune manière sur le résultat final.