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[Interview] le Blavog (1/3) : « On pensait que ça toucherait entre 20 et 40 personnes. »

C’est quoi le parcours des 2 lascars derrière un concept comme le Blavog ?
Spleenter : A la base on ne se connaissait pas, on s’est connus sur internet via un forum de rap. On kiffait tous les deux le rap.
Teo : On avait aussi une certaine façon de voir le rap. Parce qu’il y a plein de gens qui kiffent le rap ! Tu prends sur internet, il y a toutes sortes de spécimens. Certains vont prendre le rap très au sérieux, d’autres vont te parler comme si c’était de la religion genre l’autotune c’est pêché, une meuf au refrain c’est blasphème. Ça reste de la musique. Même si tu sors un single de merde, sauf si c’est vraiment très pourri, tu ne vas pas en enfer quoi ! Et puis on avait d’autres références en commun comme South Park, les Simpson etc.

J’ai lu une interview sur Captcha (que nous vous conseillons, au passage) où vous étiez comparé aux Guignols de l’info, est-ce que justement la comparaison ne serait pas plus judicieuse avec les Simpsons ou South Park ? Dans le sens où il y a un humour récurrent et des personnages qui sortent de nulle part.
Spleenter : C’est encore plus flatteur ! On ressemble aux Guignols par rapport au côté réel, c’est pour ça qu’il nous avait dit ça. Dans le sens où on prend des gens qui existent et qu’on essaye de les tordre pour en faire une caricature. Mais c’est clair que South Park est une référence majeure. Parfois, je mets des clins d’œil pour les connaisseurs, genre une fontaine dans un hall parce que c’est classe. Ou encore quand on avait fait un truc avec Al K-pote et qui dit que salopes anales 4 c’est aussi soft que blondes salaces 2.

Au tout départ du Blavog, quelle était l’idée directrice ?
Teo : Au début, il n’y avait vraiment pas d’idée. J’ai proposé à Spleenter d’écrire quelques conneries sur mon blog. C’était juste pour déconner.
Spleenter : Au départ, on se parlait via internet. Un jour, il y avait un sujet sur Booba. J’ai fait juste un brouillon de quatre lignes, mais entre nous. Un pote a eu vent de ce truc et nous a conseillé d’en faire un dialogue. On a commencé comme ça. On pensait que ça toucherait entre 20 et 40 personnes parce que déjà quand tu parles de rap français, tu te limites. Mais alors quand tu commences à dire moi ce que je vais faire c’est un dialogue fictif entre des rappeurs… Tu veux aller où avec ça ? Les plus psychologues vont déduire que t’as eu une enfance de merde, mais ça n’ira pas plus loin.

Je reviens un petit peu en arrière : pourquoi le Blavog ?
Teo : Je ne voulais pas me faire chier à chercher un nom alors le Blavog. C’est un peu le truc du 18ème/19ème de mettre des ave comme ça en plein milieu, ça sonnait bien.

Mine de rien, le nom marque bien.
Spleenter : C’est parce qu’il y en a un autre qui était connu : le Blavog, le blog de Navo. Mais on ne le savait pas. C’est quand on a vérifié sur Google qu’on a vu. Il n’existe plus maintenant. Highlander state of mind.

Est-ce qu’avec le recul vous avez la sensation d’avoir un peu décoincé le rap français ?
Spleenter : Non parce que pour moi c’est trop déjà trop cliché ce qu’on fait, donc pour prétendre à un truc…

Ce que je veux dire c’est que vous avez commencé en 2008…
Teo : (il coupe) Dans les années 90 et  2000, il y avait déjà des blagues à la con. Il y avait des trucs, t’en as toujours eu plus ou moins, mais c’est vrai que c’était plus fermé. T’en as plusieurs maintenant des sites qui font de l’humour sur le rap, mais honnêtement avant nous je me souviens pas d’un blog où c’était que ça. Peut-être qu’on est le point de départ de quelque chose. Mais après est-ce que le Blavog lui-même a changé le rap ? Pour dire ça, il faut de l’aplomb, il faut renifler ses pets.

Quand je disais ça c’est parce qu’il y a toute une aura autour des rappeurs, et que vous êtes les premiers à avoir eu les couilles de désacraliser les mecs.
Spleenter : Ça, ça tient à deux trucs en fait. Déjà t’as le fait qu’on pensait que personne ne nous lirait. Puis tu as aussi le fait qu’à la base, on n’a justement jamais sacralisés les rappeurs. Après, c’est peut-être une question de vécu aussi mais quand tu connais des gens qui côtoient certains rappeurs au quotidien et que tu les entends en parler, pour eux ce sont vraiment des bouffons. On essaie juste d’appliquer au rap le regard qu’on peut avoir sur un film. Donc après, ça ne veut pas dire qu’on va insulter tout le monde ou manquer de respect mais on peut se marrer un peu. Quand on en a capté pas mal en vrai, il s’est avéré que ça leur manquait un peu. Une écrasante majorité des rappeurs kiffe. Après je pense que, au bout d’un moment c’est chiant d’avoir soit les médias traditionnels qui vont t’ignorer ou te mépriser, soit à l’inverse les médias spé qui vont que te sucer.
Teo : Et avec pas vraiment de raisons derrière. Ils vont juste dire que tout est bien dans ton album. Après, moi je viens de province et il n’y a pas de rappeurs ni de mecs connus, donc je n’avais pas cette image. Mais c’est vrai que tu as des mecs qui se sont pétés une dent et qui ne veulent pas la remettre parce que Rohff ne remet pas la sienne. Ce ne sont pas des prophètes, les mecs. Je n’ai pas grandi avec l’image du rappeur intouchable. Si j’écoute du rap au début, c’est aussi parce que les mecs qui te parlent sont proches de nous. Quand j’étais petit, je n’aimais pas la variété parce que le mec parlait d’amour tout le temps. On ne comprenait pas de quoi ces gens nous parlaient donc au bout d’un moment t’as des mecs qui rappent et qui sont normaux. Tu as l’impression que c’est des gens comme toi qui font de la musique finalement. C’est pour ça que quand t’as des mecs qui écoutent la radio et qui voient les rappeurs comme des superstars… Oh les gars, faut redescendre.

Vous avez eu assez de recul finalement.
Spleenter : Il faut dire que juste au moment où ça nous démangeait de faire un truc comme ça, il y avait eu aux USA, un petit dessin animé qui s’appelait Lil Hop. C’était des designs tout simple façon South Park avec des rappeurs kainris et des petites histoires à la con comme ça.
Teo : De l’humour vraiment débile, tu voyais tous les mecs du Dirty South en couche-culotte. Tu te dis que les gars vont vraiment loin dans leur délire.
Spleenter : Tu avais tout un truc qu’on ne peut pas avoir en France, du genre des comédies américaines où ils rigolent AVEC les rappeurs, ils ne rigolent pas DES rappeurs. Donc voilà il y a tout ça qui te motive à faire autre chose qu’un site classique sur le rap
Teo : Genre la chronique de tel album, j’ai bien aimé la prod’ de la 3, elle a un beau sample. Ouais super. Mais quelque part, quand tu lis les mecs qui écoutent du rap, tu te demandes si ils écoutent vraiment le mec qui rappe ou si ils sont à l’affût d’un truc à dire pour leur chronique.
Spleenter : C’est dérangeant. Parfois tu lis une chronique et tu te dis ce mec-là ne pourrait jamais côtoyer le rappeur qu’il est en train de chroniquer parce qu’il le prendrait pour un attardé.

A quel niveau ?
Spleenter : C’est souvent un peu condescendant. C’est flagrant notamment pour Booba. Tu as des gens qui aiment Booba mais qui ne veulent pas admettre le côté un peu bourrin du bonhomme. Donc ils vont te dire oui y’a des métaphores partout
Teo (il le coupe) : Ils ne vont pas te parler de jeux de mots pourris, des références à la con qui font partie du personnage.
Spleenter : Voilà, il faut aussi d’assumer  le côté un peu débile du rap, pas dans le sens péjoratif, mais dans le sens du divertissement pur. Sans qu’il y ait forcément un message de fou ou une écriture où t’es obligé de faire des parallèles avec la littérature.

C’est marrant parce que quand tu poses la question à plein de rappeurs, « est-ce que pour vous le rap ça doit avoir un sens?« , les réponses elles vont de A & Z.
Spleenter : C’est parce que tu as autant de réponses que de rappeurs.
Teo : Après tu as ceux qui vont te dire un peu comme des robots que le rap doit avoir un message puisqu’il vient des quartiers etc. Tu ne sais pas s’ils te répondent ça parce que ça fait bien de dire ça en interview, s’ils te répondent ça parce qu’ils n’ont pas d’idée ou s’ils le pensent vraiment dans certains cas.

Du coup, vous ne pensiez pas du tout avoir un tel impact avec ce blog ?
Spleenter : Au départ, on n’imaginait ni capter des rappeurs ni que ça plaise à autant de gens, c’était vraiment un délire quoi.
Teo : Ni même se faire interviewer !

Est-ce que vous vous rendez compte qu’à l’heure actuelle vous devenez des références ?
Spleenter : Ça c’est parce qu’ils ne nous connaissent pas ! (rires).
Teo : Ça fout la trouille. Si c’est pour entendre des gens parler à notre place dans quinze ans en disant le Blavog pensait comme-ci, faisait comme ça comme ils le font pour Time Bomb aujourd’hui. C’est pas que je nous compare avec Time Bomb attention mais si tu parles de références dans le rap français, c’est juste le meilleur exemple. Déjà quand tu vois maintenant comment les gens nous lisent parfois…Pour résumer disons que parfois les gens tu peux être des références pour eux, mais pas pour des raisons que tu as choisi. Par exemple quand on avait fait Capitale du green avec La Fouine, tu avais des mecs qui mettaient en commentaire « ouais vous avez raison La Fouine c’est un enculé, c’est un fils de pute »
Spleenter (il le coupe) : C’est vrai qu’on a eu des petits champions dans les commentaires, il y a parfois un gros malentendu. Ce qui fait que quand on taillait d’autres gens genre AKH, tu avais les mêmes qui revenaient et qui ne comprenaient pas. Alors que ça n’a aucun rapport. A la limite, même nos propres goûts n’entrent presque plus en ligne de compte. Après si tu lis entre les lignes, nos préférences sont évidentes, ne serait-ce qu’avec les liens qu’on met.

Le fait qu’on ne vous voit pas rajoute aussi du mystère.
Spleenter : On peut nous capter sur Twitter, on n’est pas cachés. Surtout que ça n’aurait aucun intérêt. Au contraire, moi je kiffe quand un rappeur voit ce que c’est moi qui fais ça. On discute et c’est souvent marrant. Non mais c’est cool en tout cas, j’espère que ça va m’aider à baiser cette histoire.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

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