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1995, les petits lettrés.

Le titre vous paraît étrange ? Nous avons l’argumentaire pour vous démontrer par a+b qu’il a tout lieu d’être et qu’il est même mérité. Parce que quand le crew à la mode, 1995, avait annoncé la sortie d’un Ep, les attentistes avaient le droit d’être sceptiques. En effet, les membres à la vingtaine d’années bondissantes n’avaient pas forcément toutes les billes de leur côté. Hormis Zoxea en poids lourd dans la balance, les fans de rap français partaient un peu vers l’inconnu. L’opus est pourtant intense. Analyse.

La couverture.

La typographie du nom du crew ramène à celle des films de super-héros surtout en optant pour le choix de placer l’élément de biais. En prenant une photo sur les toits de Paname mais en évitant soigneusement les monuments en arrière-plan, ils ancrent une idée. Ils viennent défendre le vrai Paris, pas celui des cartes postales ni des touristes. En plus de créer une sensation d’intemporalité sur laquelle nous reviendrons. Une bonne pioche.

Les productions.

Loin d’être quelconques, elles collent à leur sujet. Entourant délicatement le chant des rappeurs, elles les accompagnent sans leur voler la vedette à aucun moment. Mention spéciale pour les petits hommages à Shurik’N et Akhenaton qui installent le rap français en première bannière en se gaussant de la stérile rivalité Paris-Marseille.

Les flows.

Ce qui est intéressant avec les crews, c’est évidemment la variété dans les tessitures et dans les manières de faire vibrer les textes. Pas de place pour la lassitude, l’Ep en lui-même étant déjà assez concis, 1995 fait le taf sans se forcer, sans excentricité. Une manière de rendre hommage au rap d’hier où tout était dans le texte. Et ils peuvent se le permettre en sachant que leurs innombrables vidéos qui tournent sur le web les ont déjà ancrés dans la tête et dans l’esprit des auditeurs. En sélectionnant trois morceaux au hasard qui sont La Source, Laisser Une Empreinte et A Chaque Ligne, nous avons constaté une véritable homogénéité dans le débit. 4.2, 4.26 et 4.19, ce sont le nombre de mots par seconde lâchés sur les beats. C’est plus que Booba sur les morceaux les plus rapides de son dernier album et c’est plus que Casey sur l’énorme Regard Glacé de l’album Libérez la Bête. Bien évidemment, la quantité ne rime pas avec la qualité et « si t’as du flow et pas de paroles, tu ne seras jamais plus fort que Scat Man » comme dirait Orelsan. C’est pourquoi nous arrivons à la section suivante.

Les textes.

On a parlé dans l’introduction d’un album intense. Et on confirme. Il y a belle lurette qu’un album de rap français n’avait pas été aussi dense, si compact. Après rodage de l’album en enfonçant la touche repeat, les notes accolées aux textes sont sans appel : quatre « très bien écrit », 3 « bien écrit » et une incompréhension. Sur huit sons, la moyenne est belle. Le plus surprenant finalement, c’est la maturité que dégagent les parisiens alors qu’ils sont de simples rookies. Et pour étayer nos propos, quoi de mieux que des arguments travaillés ?

C’est devenu trop rare dans le rap français actuel mais les punchlines collent aux thèmes de chaque son. Quand, sur Laisser une empreinte par exemple, on entend une mesure comme celle-ci : « Laissant une trace comme un violeur dans un cerveau d’enfant », il est permis de se dire que finalement la valeur n’attend vraiment pas le nombre des années. Même si elle est moins percutante, la phrase d’Alpha Wann sur A Chaque Ligne : « Je n’me mouille pas comme un mec qui ne sait pas nager » reste assez intéressante. On pourrait citer, entre autres car nous n’avons pas la volonté d’être exhaustif, une relance de Nekfeu sur le même morceau : « Mon rap est un métro : à chaque ligne y a du changement. » Il est finalement salutaire de constater qu’il existe encore des rappeurs qui mettent la punchline au service d’un morceau et non pas tout un texte au service d’une seule phrase coup de poing.

Hors punchlines, il est des expressions qui sont sorties du lot car lyricalement intéressantes. Sur Laisser Une Empreinte, c’est « le temps passe plus vite que prévu, j’ai déjà vu 22 fois 4 saisons » qui nous a fait applaudir. Pour le simple plaisir d’en sortir quelques autres, nous pouvons en citer deux d’Areno Jazz sur Reflexxxion : « J’veux être un rappeur acteur majeur et pas un sbire » et « Et ces cartons d’images alimentent ma réflexion triste ».

Pour faire un petit coucou à tous ceux qui atterrissent sur ce site en tapant sur google « interdire le rap français » (véridique), la rédaction a décidé de compter le nombre de mots dit remarquables, c’est à dire ceux que l’on n’entend plus ni dans la chanson française ni dans la langue vraiment courante. Nous en avons relevé 125 avec des occurrences telles que sbire, tire-au-flanc, excrément, ignare, impie, allégresse etc. En huit morceaux. Pour situer, sur l’album de Casey qui était d’un très haut niveau, ce chiffre s’élevait à 175 pour 13 pistes. 1995 est dans les temps.

Conclusion.

C’est donc un album de très bonne facture et à tous les niveaux. Même si de grosses locomotives le tirent vers le haut (on pense notamment à Nekfeu qui, au niveau des textes, est très doué), l’ensemble reste homogène. Hormis le délire Milliardaire que nous n’avons pas saisi et qui casse un peu la cohérence de la galette, toutes les pistes sont bonnes à prendre.

Pour finir, il faut souligner toute la complexité du crew et ce qui fait son sel. Ils se revendiquent 1995 mais ne crache pas sur ce qui s’est fait ni avant ni après. Ils sont le groupe de débutants le plus populaire dans le rap en  France mais ne sombrent pas dans le facile formaté pour les radios. Autre élément positif pour la clique, c’est qu’ils ont écrit un album intemporel. Hormis quelques références technologiques (Canal Satellite sur La Flemme et Samsung sur Milliardaire), il est quasiment impossible de deviner la date de l’écriture, vaguement une période. C’est déjà un signe qu’il traversera assez facilement les années. Et tout le mal qu’on lui souhaite aussi.

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À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

7 commentaires

  1. Nous comprenons absolument votre point de vue à tous les deux mais nous pensons qu’il est opportun de donner ce genre de clés dans les chroniques. Ce choix n’est pas forcément pertinent mais nous l’assumons. Pour revenir à Casey, il suffit de relire la chronique pour saisir que nous ne comparons en aucun cas les deux albums. Nous soulignons juste la variété de vocabulaire de 1995 en le mettant en regard avec celle de Casey qui est une pointure dans ce domaine. C’est juste une clé et nous ne possédons pas la science infuse donc elle n’est pas forcément bonne. Mais merci beaucoup de venir critiquer, le site ne pourra devenir que meilleur en prenant en compte toutes vos remarques !

    Peace !

  2. Jsuis assez d’accord avec Mad Max, autant le vocabulaire peut être agréable autant le débit pff.. Et puis de là à aller faire des stats de mots à la seconde, ça n’a aucun sens. Parce que Casey, dans son album, évoque quand même des sujets un ptit peu plus intéressants que la flemme ou d’autre conneries ! Honnêtement ça me débecte un peu les mecs qui font du rap old school et hop en 2 mois ils sont connus. Et après tout le monde se mets au rap tu vois jtrouve ça malsain quoi. Parce que justement PERSONNE n’ira écouter un album de Casey avec celui-là. Alors qu’elle est plusieurs niveaux au-dessus. C’est débile de comparer deux artistes par rapport aux nombres de mots qu’ils utilisent !

  3. Voila je trouve votre article intéressant, comme d’habitude, cependant je ne suis pas d’accord avec vous. A mon sens il ne rappe pas mal, n’ont pas un flow mauvais, mais il n’apporte rien de ‘nouveau’ au niveau lyrical. Je n’ai pas apprécié le maxi c’est vrai, et de plus le titre « Milliardaire » m’a automatiquement obligé a ne pu réécouter ce maxi, tellement ce titre est étrange..
    Bref je trouve tout ce buzz non pas immérité, car ils sont très actifs, mais disproportionné c’est vrai, en vue de ce qu’ils apportent au rap. C’est a dire peu.

  4. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas et il ne faut pas omettre qu’un avis reste subjectif. Pour répondre à tes critiques, nous ne voyons pas en quoi donner une clef telle que le débit à la seconde correspond à de la branlette. Idem pour le nombre de mot remarquables : on juge le niveau d’élocution d’une personne à la variété des mots qu’il emploie. En quoi est-ce de la branlette de souligner que 1995 possède un lexique assez touffu ? Et personne n’a dit que le rap était un mouvement intello même s’il est un peu dommage de penser qu’il ne peut pas l’être…

  5. Franchement c’est pas trop mal mais je trouve que leur buzz est vraiment disproportionné au vue du contenu. Ok il y a du flow, mais de la à dire que les textes sont exceptionnels, franchement… Personnellement, je trouve qu’ils n’ont pas grand chose à nous dire à part qu’ils ont du flow et qu’ils sont les best Mc’s’etc.
    Et l’histoire du débit de mot à la seconde et le nombre de mots atypiques rencontrés, excusez-moi mais c’est de la branlette ! Le rap n’est pas un mouvement intello à ce que je sache…

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