Chroniques

[Chronique] Lucio Bukowski ou de la survie du rap en terre moderne.

Des traces de griffes, quelques plumes et un tas de cadavres trempés dans une flaque d’encre. Le fauve Bukowski est encore passé par là. Enième projet en trois ans, « De la survie des fauves en terre moderne » est un EP riche et précieux qui prouve une nouvelle fois l’indéniable talent du rappeur de l’Animalerie.

La première impression est une gifle musicale devant la vaste palette de sonorités de ces huit morceaux. En effet, Lucio laisse une grande liberté à Tcheep qui se permet même deux morceaux « solo » (Rallumer les machines est une bonne chose et Tcheep’s Groove). Cette diversité musicale est propre à la discographie du rappeur qui sait, aujourd’hui peut-être plus que jamais, varier les styles et les registres avec audace et habilité.

Quant à son rap, véritable ovni depuis plusieurs années, il continue d’hisser fièrement la bannière indépendantiste derrière laquelle s’évertuent tout un tas de MC à produire un rap de qualité. A l’ombre des puérilités qui envahissent les grandes ondes, le rappeur lyonnais donne sa prose vibrante à la gloire de son impopularité, signe qu’elle se porte bien. Célébrant la « noblesse de l’échec » et l’anonymat de son labeur, Lucio persiste dans l’intégrité de son art et sur l’indifférence qu’il porte à l’égard de sa reconnaissance médiatique.

Assaillant l’époque actuelle et ses travers, il use d’ironie pour démonter les morales capitalistes et consuméristes que l’on nous vend sous des formes plus plaisantes. Si selon lui cette « modernité n’est plus qu’une putain d’honte » c’est qu’elle érige une image faussée de sa réalité. Dans le morceau éponyme à l’EP, l’anaphore du terme « putain » vient d’ailleurs marquer ce sentiment de désenchantement. L’artiste s’insurge contre les illusions humanistes et démocratiques en dénonçant « l’oligarchie dans l’urne pour un putain d’viol » tout comme les mirages du progrès et de la croissance libérale. Mais si ces mêmes thèmes reviennent souvent c’est qu’ils semblent obséder le rappeur dans son rapport d’artiste face au monde moderne. De ce fait, les questionnements sur la liberté et l’éthique dans le marasme d’une société corrompue (comme le milieu du rap) reprennent sens sous la plume de Bukowski et ses références engagés.

A l’image du morceau de clôture Obsolescence Programmée,  l’imprégnation philosophique d’un Jean-Claude Michéa, ou d’autres penseurs dans la lignée d’Orwell, se ressent dans la description d’une humanité terne et désabusée par le pouvoir de l’argent : « Vas-y, vends-moi ta lessive et ton suffrage de merde, ta soumission, ton iPhone, et ta fausse rage de merde. Tous parricides, le fric est devenu votre seul père ». Cette dégradation de l’humanité est au cœur même du propos que tient Lucio en s’opposant à la bêtise et au manque d’esprit critique. A travers tout un jeu de références et d’oppositions, il peint la stupidité d’un monde qui rechigne « Socrate » pour « BHL » et apprend de « Maître Gims » plus que de « Spinoza».

Dans l’entrelacement des inspirations artistiques et intellectuelles qui sont les siennes, Lucio ouvre alors au hip-hop français un horizon foncièrement original et inédit. Ses textes égotripés et ses punchlines saisissantes marquent le second degré d’un ton plutôt virulent dans le propos même. Mais toujours à la hauteur du niveau qu’il revendique, le rappeur rhône-alpin poursuit donc son impressionnante série de projets – tous de qualité- et démontre encore une fois l’incroyable réserve de talent qu’est l’Animalerie lyonnaise. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que cet EP, d’une verve détonante, joue certainement à nos oreilles les rugissements poétiques d’un des derniers fauves du rap français.

Pour se procurer le projet, ça se passe ici : http://luciobukowski2.bandcamp.com/album/de-la-survie-des-fauves-en-terre-moderne

À proposLeonard

L'enfant seul paumé dans un centre commercial

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