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[Chronique] La Rumeur – Tout Brûle Déjà.

22 avril 2012, premier tour de l’élection présidentielle française. Comme s’ils avaient anticipé la montée en flèche du Front National, les membres de La Rumeur sortent le lendemain leur quatrième album, prophétiquement intitulé Tout brûle déjà. Coïncidence? Oui, selon les principaux intéressés. Après huit ans de combat contre l’ancien ministre de l’intérieur et actuel président de la République, que reste-il de la verve sombre et politisée du groupe de rap le plus censuré ? Immersion dans ce nouveau projet, aussi mature qu’abouti.

Première écoute et premier constat : on sent le groupe enfin libéré. Eux qui déclaraient récemment que l’affaire Sarkozy avait failli les mettre sur la paille, semblent enfin sortir d’une noirceur qui avait cependant fait leur succès sur les albums passés. Les instrumentaux détonnent et contrastent aussi avec leurs sorties précédentes, le binôme Soul G/Kool M laissant désormais la place à d’autres producteurs tels que FAS, Ruffsound ou Demon. Cette diversité n’empêche pas la cohérence, l’ambiance lancinante inhérente au groupe n’étant pas totalement estompée.

Au-delà d’un changement, il s’agit plus d’une évolution à proprement parler. En effet, au fur et à mesure des écoutes, on se rend compte que le groupe paraît plus libre, musicalement et intellectuellement, laissant plus de place à l’introspection. L’heure est à la maturité : la sémantique des morceaux est là pour le prouver, La Rumeur a vieilli, mais comme le bon vin, elle s’est bonifiée. J’ai pris des rides jusque dans ma voix lâchera Ekoué du haut de ses 37 piges. Discussion de daron, je te laisse les ambiances Baron renchérira Le Bavar. Hamé quant à lui, ose désormais rapper un couplet sur sa paternité dans le déroutant  Quand je marche tu cours.

On pourrait alors croire que les trois Mcs se sont assagis après 15 ans de subversion. Fort heureusement il n’en est rien. Témoins d’un racisme décomplexé, et toujours sous la bannière du rap de fils d’immigrés, le groupe continue de dénoncer. Qu’il s’agisse de l’impunité policière dans Le Chemin est Long (Hamé énumérant les noms des victimes de bavures), de la discrimination à l’emploi (La cuisine et la plonge sont comme deux frangines, pour mes origines), ou de la mise au ban des quartiers (notamment dans le titre Tous Ces Mômes Vont Grandir), on ne peut que rejoindre Ekoue lorsqu’il déclarait encore récemment qu’il n’y a pas plus politique que La Rumeur.

Individuellement, les Mcs ont conservé leur flow tranchant et leur plume lapidaire. On retiendra surtout le couplet d’Ekoué sur Un Soir Comme Un Autre, texte cinématographique rappelant les films d’Audiard, le travail d’orfèvre d’Hamé sur une instrumentale saturée dans Le chemin est long ou encore le portrait poignant d’une junkie par Philippe Le Bavar sur P’tite Laura (largement inspiré par P’tite Conne de Renaud). Collectivement, on perçoit clairement la volonté du groupe d’avoir crée des morceaux dotés d’une envergure scénique conséquente et de refrains puissants (on pense surtout à Hors Sujet). La tournée promet d’être fracassante.

Cet album, en diversifiant ses thèmes et en cherchant à se libérer du carcan sombre qui collait au groupe va peut-être dépayser les fans de la première heure. Pourtant, il s’agit là de l’opus le plus mature et le plus abordable de La Rumeur. On ne pourra que regretter la quasi-absence de Morad, présent uniquement sur le dernier titre On Marche Tous Vers La Fin et la longueur de l’album qui ne dépasse pas les 50 minutes. Une fois de plus, les avis seront tranchés, même si le groupe connaît une évolution réelle, certains restant encore nostalgique de l’ambiance jazzy de L’ombre sur la mesure. De toute évidence et encore une fois, La Rumeur c’est flou, peut-être bien que c’est fait exprès.

Abder.

À proposAbder

Caché dans la fonction publique, j'aime le rap, PES 6 et les 8.6. C'est pour cela que je n'ai jamais rappé.

2 commentaires

  1. Bonsoir,

    je ne suis pas totalement d’accord avec votre analyse lorsque vous dites que la Rumeur « cherche à se libérer du carcan sombre qui collait au groupe », même si je comprends le cheminement qui vous a amené vers cette conclusion: je trouve en effet qu’il y a une (relative) diversité qui émane des thèmes de cet album, cependant j’ai la désagréable impression que pour compenser une  » crudité » et une « subversivité » qu’ils ont peut-être eu plus de mal a exprimer, ils ont choisi des prods trop dures, saturés, et surtout très peu variées. Ce choix de prod est pour moi symptomatique de l’émoussement de leur coté marginal et rude ( dans leurs textes), et qu’ils veulent donc compenser ( dans leurs prods).

    Et le pire, c’est que cela a un effet pernicieux, puisque je trouvais que dans LOmbre sur la Mesure, la qualité de leur message subversif était clairement mis en perspective par la simplicité et la musicalité des productions. Une sorte d’aigre-doux musicalo-textuel quoi.

    Voila, sans prétention, juste pour confronter les idées . J’apprécie beaucoup votre travail en tous les cas.

    Raf

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