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[Chronique] Jazzy Bazz – P-Town

Que vous l’ayez découvert au Rap Contenders 2012, au sein de son collectif L’Entourage ou en solo avec son EP Sur la route du 3.14, le nom de Jazzy Bazz ne vous est probablement pas inconnu, et encore moins depuis le 26 février dernier, date de la sortie de son premier album P-Town. Attendu comme le Graal par ses fans, il nous promet depuis 64 mesures de spleen que s’il sort son album, « on va dépenser du fric » : voyons si on en a pour notre argent !

Rétro, mais pas trop

Même si son rap est plus que fortement influencé par l’ancienne école cainry, Jazzy Bazz dit en interview refuser l’étiquette old school. Et les puristes crient au scandale… P-Town est sorti le 26 février 2016 et s’inscrit parfaitement sur la scène rap actuelle, grâce à une finition musicale et un mixage moderne, qui n’a en rien à pâlir face au reste du game actuel (les choses sont faites proprement au Grande Ville Studio). Mais rassurez-vous, moi aussi j’attendais de cet album du gros boom bap, des basses rebondies, de beaux samples de piano et une pluie de cuivre ici ou là (coup de coeur pour Adrénaline), et c’est ce qu’offre P-Town : l’album semble avoir été composé en 96 et mixé en 2016.

Lyricalement, le Jazzy Bazz ne fait qu’exceller, sur à peu près chaque phase de chaque son. Son flow, posé et calme, est la seule chose sur laquelle on peut ne pas accrocher, pour des questions de gout totalement subjectives ; mais son aisance à faire valser les mots dans un torrent de multisyllabiques et autres rimes riches ne peut qu’être au moins saluée, au mieux grandement appréciée.

« Mes jots-bar sont malhonnêtes, car ils veulent s’octroyer le fric / Le moral dans les chaussettes, car il aime côtoyer le fric / Bienvenue dans P Town / Où l’on justifie l’injustice d’un air condescendant / Parfois j’aimerais voir des bouches de condés sans dents / Bienvenue dans P Town / Mais c’est l’amour que je prône, pas la tolérance / Dans ma 3.14 ville ou j’ai connu tôt l’errance » (P-Town)

« Gars, j’ferai carrière, s’il y a des rageux, j’vais rappeler la règle / C’est pas parce que tu comprends pas que c’est de la merde / Bouffon / Qui Jazzy Bazz est-il ? Un mec attaché à l’éthique / Et au travail d’équipe, acharné, j’me caractérise / Tel un casanier, ravagé, souvent tracassé / Qui se moque de la mode, quand la mode est à la bêtise » (Le Roseau)

« Sur ma clique, ils ont d’horribles stéréotypes / Pourtant elle est composé de profils hétéroclites / C’est la Bosnie-Herzégovine quand j’démolis les néophytes / On a proscrit les égoïstes lors de sordides cérémonies / On est trop vite des terroristes, à leurs yeux, comme des pratiquants syriens / En arrivant si loin, on est des gars qui s’en tirent bien / Les regrets d’un trafiquant qui craint le châtiment divin / Mais qui comme Paris en Ligue 1, facilement s’distingue » (Le Roseau)

Au bout de la route du 3.14

On entend souvent le Jazzy parler de sa 3.14 ville, Paname, sa capitale adorée : pourquoi 3.14 ? Parce que Paris commence par P, à la cainry ça devient P-Town, π Town, et π c’est 3.14, donc 3.14 ville. Vous suivez ? Et Paris, Jazzy Bazz en a fait le thème principal de l’album, son armature : l’album s’ouvre sur le track épnoyme P-Town, une manière pour le rappeur de nous inviter dans sa 3.14 zone, par la suite dans son 3.14 Boogie, plus tard il nous montrera sa 3.14 Attitude. Le track central, Le syndrome, servant d’interlude, est également dédiée à sa capitale, et Jazzy Bazz nous explique qu’il « a tous les symptômes du syndrome de Stockholm envers Paris« . Décrivant son quotidien, les couloirs du métro, la beauté de la ville la nuit, l’eau de la Seine, comme s’il la connaissait par coeur – probablement parce que c’est le cas.

Au delà de l’amour pour sa ville, Jazzy Bazz dévoile aussi son amour pour son club, le PSG, avec le track Ultra Parisien, finalement l’un des morceaux les plus tristes de l’album, malgré l’apparente légèreté du thème. En tant qu’ultra parisien, le Jazzy regrette l’époque où le Parc avait une âme et une fierté, et ne se prive pas de le chanter : passionné, engagé, nostalgique, que vous soyez ultra ou non, parisien ou non, que vous aimiez le foot ou non, difficile de rester de marbre face à tant de détermination et de justesse dans les propos.

« C’est trop facile, faire un morale réprobatrice / Pour mettre tout le monde dans le même panier, ruiner nos acquis associatifs / C’est tendu, on chantait mais on n’étais pas entendu / Tout notre amour pour le club, vous ne l’avez jamais rendu »

Outre celui pour sa ville, son crew, et son club, le parisien parle aussi de l’amour envers la femme. Et il y a toujours un envers du décor, n’est-ce pas ? « T’as tout fait saloper, salope« , dit le rappeur dans Trompe de Fallope. Story-telling ou égotrip ? Écoutez le son jusqu’à la dernière phrase, les textes du Jazzy sont de ceux qu’on réécoute pour comprendre. Le thème de la femme est également amené d’une façon plus légère sur Visions, un featuring avec une Bonnie Banane qui n’est clairement pas étrangère au fait que ce track soit particulièrement rétro – et réussi. Au niveau des collaborations d’ailleurs, on retrouve également Esso Luxueux sur le 3.14 Boogie, l’ancien compagnon de Jazzy à l’époque de la Cool Connexion, mais la plus grosse collaboration de l’album s’est faite outre-atlantique : le track Lay back, avec Freddie Gibbs, à ajouter au palmarès des feats transatlantiques réussis –  comme Nas ft NTM, pas comme La Fouine ft T Pain – et des morceaux à écouter pleine balle dans une gova avec ses homies. D’urgence.

Enfin, après une touche de mélancolie et des prières avec Amen, l’album s’achève sur un morceau plus engagé – mais finalement pas le plus triste – qui boucle ce qu’avait commencé P-Town au premier track : un rap 100% pur parisien qui s’adresse à tous, qui allie fond et forme, superbement rétro et terriblement d’actualité. Voilà bien longtemps qu’on avait pas vu un premier album solo si percutant, et je ne peux vous souhaiter, moi aussi, que la bienvenue dans P Town !

« Démocratie et religion sont des symboles détournés / Invoqués pour tuer, imposer tous ses objectifs / Je vous implore d’écouter car la faute est collective »

 

 

 

À proposHugo Rivière

Entêté monocellulaire impulsif, sentimental, très humain et complètement dingue

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