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Du Rap au Cinéma – #1 Fabe.


En tant qu’auditeurs rap, on sait tous ce que c’est que d’être interrompu entre deux pistes, à la fin ou au début d’une chanson par un dialogue. Il vient souvent du répertoire des grands noms du cinéma, généralement un film de mafia, un film noir avec des paroles sombres. Remarquez qu’on tombera rarement sur du Eddy Murphy. Généralement, le rendu se veut harmonieux et efficace : la citation doit être en adéquation avec le thème, les paroles ou même l’ambiance musicale des pistes. De quoi amener le texte vers une autre dimension. On mélange les genres et les arts pour enrichir ou illustrer la piste et la chanson gagne en impact.

En tant qu’auditeurs rap, on sait aussi ce que c’est que d’entendre ces dialogues et de ne pas savoir d’où ils viennent ou pire encore, de ne plus savoir d’où ils viennent. Nous vous proposons une série d’articles pour tous ces moments où on s’est mordu la langue en maudissant notre mémoire. Cette semaine, c’est Fabe qui va nous parler cinéma.

S’il existait un film pour illustrer la discographie de Fabe, on chercherait dans le Spike Lee. C’est comme ça, ça vient naturellement puisque les deux artistes partagent le même univers : l’amertume, le réalisme, la sincérité. Fabe est friand des samples cinéma, si bien qu’à certains films de Spike, on peut s’attendre à tomber sur les citations écoutées des centaines de fois. J’aurais pu parier sur Do the Right Thing. En fait, non.

“Tu sais c’qu’il y a de marrant ? Quand j’suis avec les potes ou à la maison et tout, et qu’il y a plein de bruit, j’me sens seul quand même…”

Tu connais la suite. La voix enfantine précède “Plus il y a de Monde”, et le texte de Fabe fait littéralement écho à la citation. Une osmose parfaite, puisque Fabe paraphrase le film en fil directeur : “Plus il y a de monde et plus je me sens seul”. Ce prélude, on le doit à Fresh, de Boaz Yakin. Un film centré sur un garçon qui transporte de la drogue pour des dealeurs et qui se jouera de ses ennemis comme dans un jeu d’échec avec un seul but : changer de vie. Autour de lui, des guerres de gangs, le crack, la prostitution, une famille d’accueil, un père alcoolique, un jeu d’échecs, un fanfaron de 12 ans. Le tout dans une ambiance sombre et brute, pas de faux semblant ni de grand sentiment. On y est loin du folklore ghetto cinéma. Non, Boaz Yakin n’est pas un pseudonyme de Spike Lee.

“Le lavabo de la salle de bain, le sol, et les toilettes […] Qu’est-ce que tu fais, toi dans la maison ?
– Moi je ne fais rien dans la maison, excepté payer les factures, mettre à manger sur la table et te payer de quoi t’habiller.”

C’est évidemment à la fin de Correspondance, le très bon featuring de Fabe et Al. Pas de Spike Lee non plus ici, l’extrait de dialogue est tiré de Boyz N the Hood, par John Singleton. Une intrigue basée sur un garçon vivant seul avec son père en plein ghetto à Los Angeles, un film parfumé West Coast donc, Ice Cube y jouant même un rôle important. On voit le garçon évoluer, entre racisme, délinquance et pauvreté et essayer de s’en sortir par les études.

Les deux films ont plusieurs points communs. Le premier, évidemment, est l’environnement : un ghetto américain des années 1990, avec ses dangers et ses désillusions. Parmi les thèmes, plusieurs trouvent écho dans la discographie de Fabe. La désillusion vis-à-vis de l’Occident, le retour vers ses origines : Tre, de Boyz N the Hood, parle de l’Afrique comme de l’endroit où sont nés les premiers Hommes. Et c’est dans Code Noir, sur l’album Détournement de Son, que l’on entendra “les premiers hommes sur Terre venaient d’Éthiopie”.

Plus intéressant, les deux films développent le même rôle du jeune homme enfermé dans un environnement néfaste, qui utilise ses ressources intellectuelles pour s’en sortir. Sans s’enfoncer dans la spirale de l’illégalité. Fabe n’a jamais tenu de discours encensant la violence ou le milieu carcéral. Dans ses paroles on retrouve la dignité, la respectabilité et un mordant amer, une fierté basée sur des références culturelles, un amour de la réflexion. Et un refus de tout cliché exaltant la violence, le ghetto et ses “codes” trop souvent fantasmés. Les yo, les tchek, les mecs qui s’appellent nigger… Tu connais la suite.

En somme, ces deux films, c’est du Fabe au format cinéma.

Soufiane Khaloua

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À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

6 commentaires

  1. Y aurait il un visiteur de cette page qui sait d’où vient l’extrait de film introduisant la mixtape Bonjour la France :

    « Le monde entier est alcoolique et nous, nous sommes les cocktails à la mode… »

    ?

  2. @Rey Profitant du fait que tu parles d’Oxmo, je pensais à l’intro de  » Visions de vie « , c’est l’excellent Mississippi Burning ! Pour la Scred, je pense à Salut Couzin, mais ici la réponse est sous notre nez; car le titre dont est tiré le dialogue avec Gad El Maleh n’est autre que le nom éponyme du son.

  3. Très bonne idée pour la scred! Le film s’appelle Carandiru, c’était aussi le nom d’une immense prison au Brésil. Barbe est un taulard interrogé par un médecin qui travaille dans la prévention du Sida. A ton service l’ami !

  4. Bonne idee. Bien vu de commencer avec Fabe, par extension on pourrait parler de la Scred qui fait beaucoup ca aussi.
    En passant, sur la mixtape La Réconciliation d’Oxmo, il y a une interlude (« barbe ») dont je ne trouve pas la provenance. Assez grisant..
    Si jamais tu trouves hein 🙂
    bon courage

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