Chroniques Grands classiques

[Chronique] 1998 – Quelques Gouttes Suffisent – Ärsenik

En novembre 1998, la France n’avait pas encore fini de se réjouir de son état de grâce black-blanc-beur. Il aurait pu se prolonger encore longtemps si l’hexagone avait été véritablement féru de rap français. Car un des plus grands albums de l’histoire du mouvement venait d’atterrir bruyamment à la surface de notre mère patrie. Le A tréma venait de lâcher une bombe. Quelques gouttes suffirent.

La couverture.

Face caméra, les deux frères en Lacoste regardent sans sourire l’objectif. Loin de toute ostentation, la pochette se veut sobre et simple. Comme pour dire que l’essentiel n’est pas là. 13 ans après malgré l’apparente facilité de l’image, c’est de celle-ci que l’on se souvient. Et il faut l’avouer aussi, du bob de Lino. Un collector du rap français.

Le flow.

« Qu’est-ce que je pourrai dire qui n’a pas encore été dit ? » Rien de franchement inédit. Les amoureux du rap français se souviennent tous de l’osmose entre les deux frères qui s’unissait au point d’en finir les phrases de l’autre. Cette habitude empêchait toute lassitude à l’écoute et créait une verve inimitable. Ch-Ch, le flow coup de fouet faisait merveille.

Les textes.

On peut jaser tant qu’on veut autour de cet album mais c’est au niveau de sa littérature qu’il a fait la plus grande des différences. On emploie le mot punchline aujourd’hui mais pour Calbo et Lino, il faut parler de citations. Quand une rime est aussi censée qu’une pensée de Pascal, elle atteint un autre degré.

Pour exemple, il suffirait d’écouter les entrées des deux rappeurs. Calbo dit : Je danse sur l’air de la lame, le chant des fusils / L’air est malsain, c’est une époque à damner un saint et Lino y va de son : J’évite les non-sens comme un virus / Superstar dans le ghetto comme à la roulette russe.

La plume est acérée mais il ne suffit pas toujours de dire de belles choses. Les natifs de Villiers-Le-Bel l’avaient bien compris. Loin de se contenter d’écrire profond, ils ont pensé leurs textes. Ainsi, cet album est une véritable ode à la littérature française. Le nombre de figures de style est impressionnant. Passons sur les lieux communs du rap français comme les comparaisons, métaphores et autres assonances et allitérations que le Ä maitrise sans mal et balance à foison. Il faut souligner la maîtrise qu’a Lino des rimes annexées. Pour les profanes, la rime annexée consiste à terminer un vers par le début du suivant ce qui a pour faculté de créer un décalage. Tu peux coffrer un révolutionnaire mais pas la révolution, cramer / Une boulangerie, ça met en chien qu’un boulanger faut changer ! Sans rentrer dans plus de détails techniques, cet album pourrait être une mine d’or pour un professeur de français en mal d’attention tant il est fourni. Les deux lascars ont le mérite de faire passer un message clair en martelant leurs thèmes : l’anti-censure, la pisse sur l’extrême-droite et la haine du racisme.

Après l’écoute attentive de l’album, la rédaction a accolé « très bien écrit » à 11 des 16 pistes. Et au-delà des couplets, Ärsenik était peut-être l’un des meilleurs bâtisseurs de refrains. Que ce soit sur Jour 2 Tonnerre avec le fameux : Ce monde est ainsi fait mais s’il faut s’y faire / Autant kiffer, se défaire de ses liens en fer / Étouffer l’enfer et j’ai tout fait / J’ai plus l’temps de m’en faire, d’pleurer sur mon sort en clair / J’ai bouffé le tonnerre, ma bouche recrache l’éclair. Ou bien sur Chrysanthèmes : Ça tient à rien la vie, la mort demande jamais ton avis / Elle ravit ton corps, encore des larmes et du sang sur le parvis / Pour tous le même sort le diable est ravi / Ça tient à rien la vie, ça tient à rien la vie. Niveau featuring, le défi est aussi bien relevé. En 1998, compter Passi, Neg’ Marrons, Doc Gynéco et MC Janik comme invités d’un album, c’est presque convier une dream team au banquet.

Conclusion.

L’un des albums préférés de la rédaction. Les raisons sont multiples mais logiques. C’est même avec un certain honneur que nous étrennons la rubrique « grand classique » par ce chef d’œuvre. Avec pour conclure cette chronique, un petit bonus : nos phases préférées de l’opus. N’hésitez pas à dévoiler les votres !

– « Les vrais amis se font rares comme les pucelles rue Saint-Denis. »

-« Tu peux coffrer un révolutionnaire mais pas la révolution. »

– « Faut pas se tromper de cible, seuls les plus convaincus ont vaincus. »

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

8 commentaires

  1.  » La jalousie ronge l’envieu comme la rouille ronge le fer / On ira tous au paradis car c’est ici l’Enfer. « 

  2. La presidente ne conniat pas le rap et vient de lire avec un vif interet votre article. tres bien écrit. il lui donne envie de continuer à deambuler sur votre site pour construire sa « culture rap ». elle attend la suite avec impatience

  3. Excellent article qui me donne l’envie de ressortir la galette. Good job le(s) mec(s) et merci pour cet espace webien.

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