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[Chronique] Tasco – DeadLine

Tout commence par une interview d’Havoc, de Mobb Deep, s’adressant aux jeunes rappeurs de la nouvelle génération. Le message du vétéran est clair : si tu pètes pas avant trente piges, c’est dead. Plus qu’un constat, la déclaration déclenche une réaction en chaîne dans l’esprit brumeux de Tasco, qui en fait le point de départ de la conception de son premier EP, DeadLine, qui a vu le jour malgré sa conception nocturne en mai dernier.

L’influence de Mobb Deep, et en réalité de l’ensemble de la scène new yorkaise des 90’s, ne se limite pas à la motivation sans faille que s’est imposée Tasco : que ce soit dans le flow, l’écriture ou les productions, le emcee fera plaisir aux amateurs du genre ; les codes pontificaux du hip hop sont respectés, Tasco ne se fera pas d’ennemis parmi les conservatistes. Avalanche de samples de soul et de funk, avec tout le lot cuivres et de cordes que ça implique, arrosés de basses généreuses, de scratchs grinçants et de gros kicks pour marquer le rythme. Cette prédominance de la classique formule sample / boom-bap, le emcee n’a toutefois pas empêché le emcee de saupoudrer légèrement, juste une pointe, de trap, de relents électroniques : rien qui ne gâche la sacro-sainte ambiance rétro jazzy atteinte, juste de quoi donner au projet un punch suffisant et correspondant à la détermination du rappeur. Car en plus de brûler le micro, Tasco est également aux manettes de la production de l’intégralité du projet, supervisant l’ensemble comme un cinéaste derrière la caméra. Son amour pour la belle New York du 20ème siècle concerne autant des Mobb Depp qu’un Scorsese, et s’il est loin d’être le premier à aimer sampler des extraits de films dans ses tracks, il aime aussi quand les enceintes crachent autant d’images que la bobine, et c’est à ça qu’il travaille. Cette empreinte cinéphile dans la démarche artistique du rappeur offre un projet avec une réelle couleur présente dans chaque track, et le refrain d’un Soir de pleine lune ou l’introduction de Vague à l’âme débordent d’images, comme si DeadLine était la BO d’un vieux polar nerveux ; et lorsque l’EP s’achève sur Tascosphère, on voit presque l’épaisse fumée brumeuse du studio de Tasco se diffuser dans la pièce.

Derrière le mic, Tasco dépeint sa vie à tendance fortement je-m’en-foutiste, celle d’un gars qui n’en a rien à battre, et trinque à la folie des glandeurs. On sent à l’écoute de l’album que l’envie de chiller de Tasco est constamment rattrapée par une réalité financière qui tend à l’en empêcher ; et le travail qu’il a lui-même réalisé sur l’album, au mic et à la prod, est loin d’être l’œuvre d’un glandeur – celle d’un fou, peut-être. Le découpage des samples est minutieux, et entre des grosses doses de soul et de funk, on apprécie la minute Sacha Distel dissimulée dans le projet, aussi inattendue que sacrément bien vue !

« J’veux laisser une empreinte sans passer par une fin à la James Dean / J’fais mon cinéma loin d’Hollywood, j’aime distraire les auditeurs comme Juicy à Memphis / J’suis pas un d’ces charlots qui se prend pour 2pac, en rappant de la merde, fils »

Lyricalement, le emcee fait le taf sur le projet, et sait mettre sa plume au service de thème plus profonds, abordés de façon très réaliste : Vague à l’âme est l’exemple parfait du contraste entre la douceur de la production et la violence des thèmes abordés. Pas moins percutant sur Soir de pleine lune ou Cadeau empoisonné, le rappeur a des choses à dire. Loin des « yoyoyoyo, nique la police, nique la justice », Tasco arrive dans le rap par la petite porte, dans un style musical classique mais toujours délicieux, et agréablement remis à neuf. Comme une abeille dans la ruche, rien à battre des autres mais le taf est fait, du pollen comme motivation. Le miel, c’est cet EP, DeadLine : doux, mais avec du caractère.

À proposHugo Rivière

Entêté monocellulaire impulsif, sentimental, très humain et complètement dingue

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