Sélections Tops

Les 10 meilleurs projets du premier semestre 2016

Honnêtement, on n’est pas souvent en retard. Bon, là c’est vrai qu’entre la fin de l’année, la glande estivale, les parties de pétanque dans le jardin et la gestion des millions d’euros qu’on gagne avec le site, ça a été compliqué de vous faire parvenir cette sélection rapidement. Cependant, et comme tout vient à point à  qui sait l’attendre, vous voilà en possession du top 10 le plus important, le plus significatif, le plus pertinent de tout ce que vous lirez cette année. Sélectionnés par les plus grandes critiques musicales du XXIème siècle, ces 10 projets ne pouvaient pas passer inaperçus. Rédigées par des plumes expertes et maîtresses, ces mini-papiers vous laisseront pantois. Et si vous êtes pas contents, tant pis, nous on l’est. Bonne lecture !

10. Alk et Butter Bullets pour Ténébreuse Musique

Un Alkpote au sommet de son art, un Sidi Sid plus vicieux que jamais en sparring partner, des prods de Dela faisant le pont entre l’influence de Three 6 Mafia et celle de la nouvelle scène d’Atlanta, des punchlines toujours plus crades, un hymne dédié à Patrick Sébastien, une pipe de Bruce Jenner, un Jok’Air qui sait s’adapter à toutes les ambiances, un projet enregistré en un week-end entre deux fondues savoyardes au champagne … Ténébreuse Musique a été au-delà du simple album commun sympa entre L’Empereur de la Crasserie et Butter Bullets, c’est le summum du rap mongol, fait d’allitérations improbables, de backs aussi puissants que les couplets et un auto-tune maîtrisé à la perfection. Elle démarre quand la campagne de financement pour un deuxième volume ?

Retrouvez la chronique de cet album ici.

9. Zekwe pour Frapp Musiq

Zekwé rappe, Zekwé chante, Zekwé produit, Zekwé fait des beats, tout ça d’une façon unique. Ainsi se décrit lui-même le rappeur, description à laquelle on se permet d’ajouter : Zekwé rappe bien, et produit bien. Véritable chef d’orchestre de son projet, le rappeur fait tout seul et depuis chez lui, Frappe Musique studio, le seul endroit de France où l’on produit ce nectar qu’on appelle la frappe musique. Quoi ? De la trap ? Non, non : ceci est bien de la Frapp Musiq. L’EP, d’une quarantaine de minutes, contient huit tracks originaux plus un remix du track Merco Benzo (présent sur le projet de Char du Gouffre, Nous contre eux vol. 1) à faire pâlir l’originale. Koidmieux comme entrée en matière qu’un track montrant le emcee kicker et chanter, avec et sans autotune, sur sa propre prod ? Si la patte musicale et vocale de Zekwé est particulièrement prononcée dans cet EP, qui a la cohérence d’un véritable album, les ambiances n’en sont pas moins variées : des grosses bastos comme Animos, Zombies ou Toutédebonkalité, la tension s’adoucit parfois (mais pas les basses, prévenez vos voisins) sur un thème ou un refrain, à propos d’une Princess, de celle qui part à l’heure du Premier Métro, ou sur le remix par Madizm de Merco Benzo, qui clôt dignement cet EP franchement réussi dont on ne parle pas assez.

8. Alkpote et DJ Weedim pour Sadisme et Perversion

DJ Weedim et Alkpote sont nos Gainsbourg et Gainsbarre du rap. Un compositeur aussi productif que talentueux et un manieur de mots hors pair, amateur de bonnes chaires et roi de la provoc (« Je vais me faire tatouer une croix gammée » est la version 2016 de Nazi Rock.) Depuis qu’il s’entoure de Weedim et de Butter Bullets, l’Empereur de la crasserie semble vivre une seconde jeunesse. Productivité hors-norme, flows, rimes et gimmicks largement au-dessus de la moyenne, prods sans faute de goûts : Atef dévore goulument le rap français. A l’image de Ténébreuse Musique, Sadisme et Perversion marque l’apogée de son auteur aussi à l’aise pour kicker (Pyramides) que chantonner à l’autotune (Survivant de l’enfer) et se permet de ressusciter le reggaeton en 2016 (Super Fluxxx). En bref, un projet solide à écouter d’urgence sauf si on est allergique au mot « pute ».

7. Jazzy Bazz pour P-Town

Avec P-Town, Jazzy Bazz poursuit sa quête de l’infini entamée en 2012 par l’EP Sur la Route du 3.14. Oscillant entre une recherche avide de liberté et des envies matérialistes, le premier album solo du rappeur de l’est parisien parvient à emmener l’auditeur dans une multitude de décors, du bel haussmannien (Les chemins) à la pénombre des rues parisiennes (3h33), en passant par les projecteurs du Parc des Princes (Ultra Parisien). Le rappeur au cheveu sur la langue le plus connu d’Hexagone (après Youssoupha) continue de porter fièrement les couleurs de la ville lumière. La richesse lyricale de P-Town le place aisément au rang des meilleurs projets de cette saison. Retrouvez la chronique de cet album ici.

6. Niro pour Or Game

Or Game, c’est treize coups francs pour presque autant de buts. Majoritairement conçue par Seezy (Wealstarr et Therapy posent aussi chacun deux pierres à l’édifice), la production du projet relève certes d’une trap que l’on ne connaît que trop, mais elle a le mérite d’opérer une rupture marquée à l’encontre des canons américains, s’inscrivant clairement et pleinement – on peut aujourd’hui le dire sans rougir – dans le style de la trap française, qui y atteint un paroxysme de simplicité et d’efficacité. Ce premier semestre 2016 n’aura pas été des plus féconds pour ce sous-genre que beaucoup voient s’essouffler : Or Game en est sans nul doute le représentant le plus abouti, et ce à tous égards. Musicalement oui, mais aussi et surtout poétiquement, et prosodiquement – la plume et le flow de Nourdine n’ont jamais été si aiguisés.

Niro est or game. Les titres des albums Miraculé et Si je me souviens montrent un contraste significatif avec ce dernier, qui s’éloigne faussement de l’ego du rappeur pour se rapporter plus généralement au game (sa couverture est la première à ne pas afficher son visage). Faussement, car il ne constitue finalement qu’un moyen pour le MC de se définir en négatif : Niro se situe hors du paysage rapologique mainstream, du game, qu’il ne mentionne que pour mieux s’en détacher. Cette idée est encore appuyée par l’absence quasi totale de featurings, à l’exception de Le compte y est avec Nino B, un rappeur dont la notoriété très obscure soutient justement cette volonté de distanciation vis-à-vis de l’industrie musicale et de ses ténors.

Niro est or game. Pas au-dessus, certainement pas en-dessous : ailleurs. La concurrence, la mode et la course à une prétendue originalité qu’elles génèrent, il n’en a cure ou, comme il le dit lui-même plus élégamment, « c’qui s’passe dans l’game hechek j’m’en bats les couilles » (À la source). D’où sa trap très classique, que certains verront comme un vestige de notre passé proche – je préfère y voir sa victorieuse persistance. Poser du gangsta rap sur de la trap énervée est devenu exercice banal ces dernières années ; mais en même temps que l’engouement diminue, les wacks et autres opportunistes sont peu à peu filtrés, puis oubliés pour ne plus laisser place qu’aux « vrais ». C’est bien parce qu’il n’a que faire de son temps, qu’Or Game est intemporel. Retrouvez la chronique de cet album ici.

5. Dooz Kawa pour Bohemian Rap Story

Si Dooz Kawa figure dans notre Top 10 des meilleurs albums du premier semestre 2016, c’est qu’avec son dernier album Bohemian Rap Story il apporte une cohérente continuité à ses précédents projets sans en être une simple prolongation stationnaire. Alors que Dooz Kawa n’était pas un habitué des feats, il accueille sur cet album 5 MC sur 4 des 12 tracks. Bien que ces feats contribuent à donner du relief à l’album, c’est surtout dans la musicalité davantage travaillée que se trouve la force de Bohemian rap story. Quand de nombreux MC semblent avoir oublié que le rap est avant tout de la musique, Dooz Kawa reste aussi exigeant et éclectique que son public dans ce domaine. Les nombreuses ruptures de stock à peine un mois après la sortie de l’album confirment notre impression, il est indubitablement un des meilleurs projets de ce premier semestre. Retrouvez la chronique de cet album ici.

4. Alpha Wann pour Alph Lauren 2

Début d’année, Alpha Wann faisait étal de la grandeur de son talent. Avec son deuxième EP Alph Lauren II, il est même parvenu à élever encore un peu plus son niveau. La qualité se retrouve dans tous les pans du projet. Sa voix tellement charismatique peut nous raconter mille histoires sans nous lasser. Ses flows épousent les instrumentaux majoritairement composés par son acolyte Hologram Lo’. L’atmosphère, posée et planante, lui sied à merveille. Ses thèmes, somme toute conventionnels, sont magistralement traités grâce à une écriture imagée originale et un sens de la formule indéniable. Une démonstration de force de plus qui place Alpha Wann toujours plus haut dans notre estime. En attendant l’album, on réécoute en boucle Sous marin, Barcelone, Lunettes noires. Et en fait tout le reste de l’EP. Retrouvez la chronique de cet EP ici.

3. A2H pour Libre

C’est sans surprise qu’on retrouve A2 putain d’H dans le haut de ce classement, fort d’un troisième album qu’il annonçait comme le premier, Libre. Extrêmement riche tant en terme d’influences musicales que de qualité de production, avec un A2H plus en forme que jamais (tonton a repris le sport, c’est pour ça !), virevoltant au mic’, chantonnant voire chantant ça et là, seul sur Branché ou bien entouré sur Mama ou Mélo, entre deux couplets kickés tantôt on fire, comme sur J’peux plus, Sur ma vie ou l’excellent A la base (bel exemple de la sincérité du emcee sur l’album), tantôt axé cloud sur la fin de l’album et ses nuits (Paname nuit, Nuit blanche). Il y en a pour tout le monde et pour tous les goûts, sans que jamais la qualité ne faiblisse sur l’ensemble des 17 tracks.

On a parlé de son album et de musique en général avec lui dans une interview à retrouver ici, quant à la chronique de l’album elle est là !

2. Lucio et Oster pour Oderunt Poetas

Alors qu’il semblait en mal de renouvellement depuis le quasi parfait L’art raffiné de l’ecchymose, Lucio revient à ses premières amours entre productions léchées de Lapwass et thématiques récurrentes qui parcourent son œuvre depuis toujours (critique du libéralisme, de la culture de masse, de la morosité et du cynisme de l’époque mais aussi de la nécessité d’une croyance naïve en les vertus de l’Art). Le titre éponyme se veut ainsi être une dénonciation du triomphe du « morne empire du concept » face à l’émerveillement résultant de la création artistique – « j’avais une citation de Kant, l’ai oubliée, tant mieux » – Rubaïyat. Oderunt Poetas recèle également quelques egotrips – qu’il a toujours confessé adorer – bien sentis et ciselés (Frank Michael, Kejserens nye Klaeder), où l’on retrouve un Lucio sûr de sa force et hardi, défendant son rap érudit et porté sur l’album par son flow tout en accélération et les prods énergiques de Lapwass, notamment sur Eau en poudre, qui, par son rang dans l’album et le flow aiguisé de Lucio, évoque Don Quichotte.

C’est donc un Lucio au sommet de son art – qu’il n’a cessé de polir et de mûrir depuis Sans signature – qui officie sur Oderunt Poetas, véritable poète prêt à en découdre avec la modernité. « Neandertal est mort de ne pas avoir prévu le capital » nous assène-il, le ton amer mais apaisé sur Oderunt Poetas, qui figurera sous peu dans le bréviaire des textes de l’ami Ludo. Retrouvez la chronique de cet album ici.

1. Damso pour Batterie Faible

Bien loin d’être déchu, la roi Booba cherche tout de même son successeur, l’héritier du trône qu’il devra bien laisser vacant d’ici peu. Après que Siboy ou 40000 Gang, deux autres poulains de l’écurie 92i, n’ont pas vraiment réussi à confirmer leur lancée, c’est le bruxellois Damso qui est fortement pressenti.
Le jeune prince belge découvert sur Nero Nemesis et digne héritier du Duc (auquel il rend hommage dès les premières secondes de l’album ainsi que dans son single BruxellesVie) a tout du conquérant. Une écriture classieuse et réfléchie dans laquelle s’entrechoquent un réalisme surprenant et une noirceur assumée (« La vie de rêve je n’y crois pas, comme la chatte refaite d’un travesti »), du respect envers ceux qui ont fait celui qu’il est aujourd’hui, avec des paroles emplies d’humilité et de reconnaissance « Je te le dis, ce n’est pas tout seul que je me suis fait » et un charisme inné, le tout largement arrosé de références pornographiques et sexuelles cachant un rapport à la femme beaucoup plus profond qu’il n’y paraît. Mélangez ces quelques atouts à la voix grave et à la richesse des tonalités du emcee, ça donne un excellent album, promis. Retrouvez son interview ici.

À proposLeo Chaix

Grand brun ténébreux et musclé fan de Monkey D. Luffy, Kenneth Graham et Lana Del Rey, je laisse errer mon âme esseulée entre les flammes du Mordor et les tavernes de Folegandros. J'aurai voulu avoir une petite soeur, aimer le parmesan, et écrire le couplet de Flynt dans "Vieux avant l'âge". Au lieu de ça, je rédige des conneries pour un site de rap. Monde de merde.

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