« C’est le genre de trucs que t’écris, et après t’es dans la merde pour les rapper… »
La mort comme source de création artistique. Entreprendre d’écrire pour crever l’abcès et briser le tabou. Celui de la mort, le tabou absolu parce que difficile à évoquer, est pourtant devenu un thème récurrent dans le rap français. En ce jour symbolique, les MCs se placent en paix avec ceux qui reposent, le temps pour nous de leur voler quelques mots sur le chemin reliant le Vivant à la souffrance du deuil. Humblement, on vous a préparé une playlist collant parfaitement au thème et échanger quelques mots avec Vîrus pour s’entendre conter quelques mortelles confessions…
Les mots en réaction à la mort inévitable, une arme de défense qui sait trouver son public lorsque l’art entreprend d’occuper l’espace vide. Un public qui admire le parolier du deuil comme un illusionniste portant l’habit du verbe cachant la réalité de la mort, froide, nue, pathétique et sans saveur. Libre à chacun d’être touché par une mélodie, de se reconnaître dans un morceau qui a su capter notre souffrance réelle face à la perte d’un être aimé. Les exemples pleuvent dans le paysage rap, du Regretté de Rohff à au Si loin de toi de Pit Baccardi, de Mourir 1000 fois des Oxmo et Youssoupha à Dernière fleur de Less du 9.
« L’impression qu’on me voit mais que personne me perçoit… »
L’un des morceaux les plus marquants écrits sur le sujet reste toutefois l’œuvre de Vîrus, sur son EP Faire-part où la thématique de la mort occupe une place prépondérante. Avec Des fins…, notre MC aux écrits torturés montre bien que le deuil reste avant tout… une affaire personnelle : « Plus que personnelle, c’est une expérience intime pour chacun. Tout rentre en compte : le moment, la façon, le rapport que tu entretiens avec la personne, etc… ». Son morceau laisse donc libre court à l’interprétation et au ressenti de chacun, à un instant T de l’existence, dans chacune des deux parties distinctes qui le compose. La seconde, contant l’épreuve du deuil dans sa plus intime forme n’avait pourtant pas été écrite à l’origine. Sa place dans un tel titre demeure toutefois essentielle, « parce qu’il manquait de personnaliser un peu le sujet, de s’adresser directement au fantôme », confie Vîrus. « Et puis tout simplement, parce qu’en fin de morceau, on peut avoir un sentiment d’inachevé. Et ça, en général, ça gratte la tête. Surtout sur un titre qui parle de fin(s) ».
Non, la mort n’est pas vraiment belle mais le plus agaçant, c’est qu’elle aura toujours le dernier mot. Parler dans son dos est donc devenu un jeu entêtant et empoisonnant l’existence du rap français depuis sa naissance. Parce qu’« un décès ça reste récent », parce qu’écrire sur la douleur est certainement plus facile que d’écrire de joyeuses palabres flirtant avec la beauté de la vie nous diront beaucoup de plumes du milieu…
« Ton divorce avec ce monde a changé le cour de ma vie… »
Paradoxe ou finalement logique implacable, les morceaux sur le deuil touchant le plus de monde sont ceux qui touche au plus profond de la souffrance individuelle : que Youssoupha évoque sa peur de la mort lorsqu’elle frappe l’entourage (Mourir 1000 fois), que VII la contemple à la troisième personne pour mieux la ressentir (La pendule), parler du deuil revient à parler de soi, sans détachement possible. « C’est le genre de trucs que t’écris et après t’es dans la merde pour les rapper » résume bien Less du 9 sur l’introduction de Dernière fleur, récit croisé d’un enterrement dans la solitude et d’une enfance sans présence paternelle. A l’image des vies éteintes que Rohff énumère sur le morceau fleuve Regretté, ce ne sont pas les trajectoires identifiées et nommées mais plutôt ce qu’elles représentent qui frappe le cœur des auditeurs : un proche « sur le lit de mort » s’apprêtant à voyager avec la Dame faucheuse qui n’attend pas lorsque l’heure est venue.
A moins que le voyage soit en réalité plus court. Vivants et défunts dans le même jardin des peines et des souvenirs ? C’est peut-être l’un des seuls messages que Vîrus accepte de dévoiler de son côté. Là encore, les interprétations peuvent être multiples, laissons ainsi conclure le personnage clé de cette bien triste épopée sans fin(s) :
« A part que la mort n’existe pas, je ne crois pas avoir de message particulier. Long deuil à vous ! »
P.S. : Pour nos lecteurs désireux de poursuivre l’expérience plus longuement, une playlist en accord avec l’humeur du jour est disponible sur Deezer. On vous invite à y plonger les « yeux fermés »…
Sans oublier le troublant « Ma mort » de Fredy K d’ATK — troublant d’écouter la voix de cet homme mort désormais.