Chroniques Grands classiques

[Chronique] 1996 – Première Consultation – Doc Gynéco

« Salut, j’ai 20 ans et j’aimerais lâcher une bombe ? Je peux le faire ici ? Parfait. » C’est un peu ce que l’on s’imagine après avoir écouté l’album tout en talent et en désinvolture du dénommé Bruno Beausir. Sa première consultation tombait au bon moment pour tout le monde. La loi Toubon venait de rentrer en application, forçant les radios à passer plus de chansons francophones. Skyrock passait au tout-rap avec les mélopées du Doc Gynéco en fer de lance. Juste le temps pour lui de vendre un million de galettes, de placer un album culte dans le rap en France et de se perdre ensuite. Une comète. Mais quelle comète !

Les productions.

Très inspiré par ce qui se fait aux USA, le doc avait exigé des musiciens pour enregistrer ses sons. Et mine de rien, cela s’entend. Des sonorités très funkys, un groove lancinant et entrainant portent toutes les compositions. Il en sort surtout une impression de professionnalisme et de recherche sur chaque mesure. Une réussite à ce point de vue. Ken Kessie a fait du très bon travail.

Le flow.

Son flow respire la confiance en soi, la maîtrise du tempo et le sens du rythme. Cet album fait sourire, il fait planer. La voix du Doc est envoutante. Il maitrise les variations, se permet de rapper parfois hors des temps juste pour le plaisir de se rattraper après. A ce niveau là aussi, c’est un succès.

Les textes.

A l’époque, la presse l’avait comparé à Serge Gainsbourg. Le ton irrévérencieux, mélange d’impertinence et d’insolence, a forcément pesé dans la balance. Loin de nous l’idée de jouer au jeu stérile des parallèles mais il faut bien reconnaitre que le gamin de Sarcelles a de l’esprit. En cela, il se cale dans une tradition bien française, de Cyrano à Brassens, le coq aime ces hérauts qui rient de tout et avec panache encore. Chez le Doc, ce n’est pas la sophistication des propos qui est recherché. Pour preuve, sur les 15 morceaux, seulement 70 occurrences d’un langage soutenu ont été retenues. Mais il est intéressant de souligner qu’elles interviennent très souvent lors de phases érotiques. Ainsi, Bruno arrive à placer sur Vanessa un couplet comprenant :

« Vaporeuse humide, suave et chaleureuse,
D’expériences sadiques, de plaisirs maléfiques,
De tétons mordillés, de cambrure et de volupté,
Pratique sans complexes du sexe. »

Il ne faudrait cependant pas se méprendre. Si le Doc utilise un langage très courant, c’est pour mieux exprimer des idées complexes. Et pas forcément joyeuses. Si l’ensemble ultra-funky gonflé par des basses énergiques fait oublier cette notion, les thèmes abordés sont parfois sérieux. Nirvana, tout comme J’appuie Sur La Gachette de NTM en 1993, aborde le suicide sans prendre de pincettes. Plus loin sur l’album, c’est sur Tel Père, Tel Fils que Beausir s’adresse à son père tout en poésie triste et en sample des Temptations :

« Je suis livré à moi même sur mon boulevard,
Deux francs dans la poche, multipliés par mes lascars.
Et si Marie Jeanne est toute proche de la flamme,
C’est pour enfouir ton absence tout au fond de mon âme. »

Tout dans les textes laisse filtrer l’arrogance et la confiance en soi. Ce n’est rien de le dire, rares sont les chanteurs qui ont réussi à être autant poétiquement incorrect. Un jour, cet album sera une référence au-delà du rap français pour ce qu’il véhicule d’images verbales et de trouvailles linguistiques. On prend les paris.

Conclusion.

Le cabinet est fermé. Le numéro n’est plus attribué. Le Doc Gynéco a disparu après avoir atteint les cimes du rap français et de la chanson française. Car quel artiste, tout genre confondus, a réussi depuis à placer autant de tubes sur un seul album ? Les cinq premiers morceaux sont devenus des classiques et plusieurs phases telles que le fameux « Est-ce que ça le fait ? Ouais ouais » sont toujours dans les mémoires collectives quinze pige après. La première consultation fut donc la dernière. Un gâchis.


À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

2 commentaires

  1. bon chronique , pour un grand album , dommage que le doc se soit un peu perdu par la suite (musicalement seulement car je me fiche de ses rapports avec sarko , ce qui compte c’est l’artiste et force est de constaté qu’a part quelques sursaut tel que caramel par exmple doc gyneco n’est plus que l’ombre de lui même .)

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