Chroniques Focus sur

Focus sur un beatmaker – Myth Syzer

On ne sait pas vous, mais nous, on se pose souvent la question de ce qu’est un bon morceau de rap. Ou plutôt : qu’est-ce qui fait un bon morceau de rap ? Un MC technique aux flows étourdissants ? Un message qui pousse à remettre en question l’ordre établi ? Une ou deux bonnes punchlines qui fracassent le crâne au détour d’un couplet ou tout simplement le moment où le morceau entre dans une vie ? On suppose que toutes ces réponses ont leur part de vrai et leur part de faux. Pour nous, la réponse dont la part de vrai serait la plus importante serait sans doute : l’alchimie entre l’instrumentale et le rappeur.

Combien de vos morceaux préférés perdraient-ils une partie de leur intérêt s’ils n’étaient pas posés sur ce sample incroyable qui vous a fait vous lancer dans une recherche effrénée à travers tout Internet, demander conseil à votre disquaire préféré et surtout, exploser le bouton repeat ? Combien n’auraient même pas attiré votre oreille si vous n’aviez pas été fascinés par l’imbrication de la musique et de la voix du emcee ? En ce qui nous concerne : beaucoup. C’est précisément sur cet aspect musical que se focalisera ce nouveau dérivé de « Focus sur… »  qui, comme son nom l’indique, sera consacré aux beatmakers.

Longtemps restés dans l’ombre, les compositeurs (puisque c’est ainsi que l’on dit en bon français) se font depuis quelques années maintenant une place au soleil. En tant que membres à part entière de leurs collectifs mais aussi en tant qu’artistes complets individuellement. Des samples old school de Khéops à la trap rageuse de Therapy en passant par les mix Ghettotech de DJ Orgasmic : FOCUS SUR UN BEATMAKER.

Pour ce premier spin-off de votre rubrique préférée (si si c’est elle), nous avons choisi de nous intéresser à un beatmaker tout à fait emblématique de la nouvelle vague du rap français : Myth Syzer.

A la fois membre du groupe Bon Gamin et du label Bromance, Myth Syzer est à de nombreux égards l’illustration parfaite de l’évolution récente de la place du beatmaker dans la scène rap française. Alors que les gloires des années 2000 se contentaient souvent de nommer leur beatmaker au début ou à la fin d’un morceau, là où les rappeurs des années 90 ne se donnaient que rarement cette peine, l’avènement d’Internet et particulièrement de Youtube ont modifié la façon de distribuer la musique. Le public ayant désormais un contact direct avec le groupe émettant un morceau, impossible pour les rappeurs d’échapper à la question de l’auditeur curieux : « C’est quoi le sample ? » ou « Est-ce qu’on peut trouver l’instru’ quelque part ?» et encore « C’est qui qu’a fait le ceau-mor ? ». Une bonne occasion pour les rappeurs de mettre leurs beatmakers en valeur, et pour les beatmakers de faire connaître leur style, à tel point qu’ils en deviennent une marque de qualité et un signal de ralliement.

Myth Syzer, c’est ça. Une marque de qualité et un signal de ralliement. Tout comme ses pairs (en vrac, Hologram Lo, Cookin Soul, Skread etc.), le nom de Myth Syzer apparaît de manière bien distincte à côté des titres des nouveaux morceaux et même, fait plus rare pour un compositeur, sur la pochette des albums auxquels il participe comme le récent (et très agréable) Junior de Prince Waly ET Myth Syzer.

On a tendance à cliquer systématiquement sur les morceaux estampillés Myth Syzer tant on apprécie le son proposé par le garçon. Pas étonnant d’ailleurs de le retrouver sur le label de musique électronique le plus hip-hop de ces dernières années : Bromance, qui fêtait ses cinq ans en novembre dernier.

Alors Myth Syzer musicalement parlant, qu’est-ce que c’est ? Eh bien tout d’abord, Myth Syzer est le beatmaker du groupe Bon Gamin. Cette formation (composée par ailleurs de Loveni et Ichon) était déjà présente au début de la décennie lors de l’avènement de L’Entourage et de ses excroissances, et fait un peu figure de late bloomer ; son heure de gloire semblant enfin pointer le bout de son nez en compagnie de celle d’un certain Prince Waly (Big Budha Cheez). Avec Bon Gamin, Myth Syzer propose une trap vaporeuse et sombre, qui évoque volontiers l’ambiance anxiogène d’une mégacity « Blade Runneresque ». Lorsqu’il s’éloigne un peu de ses collègues rappeurs, sa musique se fait volontiers plus douce et plus rêveuse tel qu’en témoigne un titre comme Diamand paru sur l’album Zero, projet complètement weedy à écouter en regardant le plafond et en questionnant le sens de la vie, et sur lequel se trouve également le très étrange Bonbon à la Menthe avec Bonnie Banane.

Enfin, son EP Cerebral, produit conjointement avec son binôme Ikaz Boi – chez Bromance également – lui permet de dévoiler une facette beaucoup plus américaine de sa personnalité musicale. Le projet n’est ni un EP de rap ni une beat tape puisqu’il regroupe deux titres purement instrumentaux que ne renieraient pas Brodinsky lui-même et deux titres rappés, l’un avec Hamza, l’autre avec l’américain Wicced.

Plus généralement, Myth Syzer est de ces artistes suffisamment intelligents pour comprendre ce qui suscite l’intérêt du grand public à un instant T tout en y apportant une modification subtile capable de générer à son tour un nouveau sous genre à la manière d’un gène mutant dans l’arbre de l’évolution des espèces.

Sa casquette à deux visières (plutôt que double casquette) de beatmaker / producteur de musique électronique (les deux exercices étant sensiblement différent comme en témoigne Myd du groupe Club Cheval également signé chez Bromance et qui a collaboré à la production du morceau Champs-Elysées de SCH entre autres) lui offre probablement plus de possibilités qu’à ses homologues. C’est sans doute cette polyvalence combinée à un choix méticuleux dans ses collaborations qui permettent à l’homme de se retrouver sur nombre des projets les plus intéressants de 2016, et qu’il pourrait bien en être de même pour les années à venir…

 

Jacques Bonoberje

À proposJacques Bonoberje

J'ai découvert le rap français au Tegzas. Absolument.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.