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[Interview] Vald : « Je dépasse le chaos grâce à l’amour »

Après avoir répondu aux questions de Clique.tv, c’est à notre tour d’aller discuter avec l’auteur du nouvel album qui fait le buzz depuis quelques jours : Agartha. J’avoue m’être préparée à rencontrer un personnage un peu cynique et quelque peu agacé par le monde médiatique ; mais je suis tombée sur une toute autre personne, à ma grande surprise. C’est avec un Vald très chaleureux, plaisant et plein d’altruisme que je me suis retrouvée. Inutile de vous préciser que ses réponses sont souvent à prendre au second degré !

Agartha, qu’est-ce que ça veut dire ?
Personne n’a la signification, surtout pas moi. Ou peut-être que moi je ne l’ai surtout pas et que les autres l’ont ! Plus sérieusement, ce serait a priori le nom d’un royaume sous-terrain. Ça sort de légendes très répandues, ce n’est pas moi qui l’ai inventé.

Tu es fasciné par tout ce qui est mystique, ésotérique ?
Tout à fait je trouve cela très intéressant. Fantastique, fantasmagorique …

Sur la photo de ton album, on te voit dans la peau de Jésus, tu te prends pour lui ou pour un de ses apôtres ?
Surtout pas, on se met dans des postures de sauveurs. C’est un peu marrant, on se met sur un vitrail, tout ça parce que j’avais dit il y a longtemps, qu’un jour il y aurait ma gueule dans une église peinte en aquarelle (Dans le titre Journal Perso, ndlr) ! Mais attention ce n’est pas du tout blasphématoire, je ne me prends vraiment pas pour Jésus. J’ai une toge, je suis sur un vitrail, j’ai les bras ouverts, …  c’est spirituel, mystique, mais pas religieux.

Tu dis souvent en interview que tu trouves que ce tu que fais est nul. Agartha tu trouves ça comment ?
Tu vois c’est pour ça que je stresse maintenant pour les interviews, parce que je me retrouve sous un mauvais jour à dire des trucs pareils (rires). En fait j’étais surtout agacé de comment étaient pris les morceaux tu vois. C’était à l’époque de Bonjour et Selfie. C’était la première fois que ça faisait du bruit et que ça résonnait et j’étais un peu énervé !  Mais non, j’adore mes morceaux. Ils sont tous mignons, c’est mes bébés. Et cet album là c’est le plus beau des bébés, il est incroyable, c’est le petit dernier quoi.

Tu t’écouterais si tu n’étais pas toi ?
Exactement, je n’écouterai que moi si j’étais pas moi (rires).

Est-ce que tu sais que tu tiens exactement le même discours que Brigitte Bardot à la fin de sa carrière quand on l’interrogeait sur son succès ? Elle disait que ce qu’elle faisait était nul et qu’il y avait beaucoup de cons pour aimer …
(rires) Brigitte Bardot c’est pas des animaux ? Elle fait de la chanson ?

Elle en a fait, mais je crois qu’elle parlait de sa carrière cinématographique.
Bah je suis avec Brigitte Bardot !

Cet album est différent des autres, on retrouve des morceaux comme Je t’aime ou encore Ma meilleure amie qui sont plus « sincères » … 
Oui, je suis presque d’accord avec ça.

C’est presque « romantique » ?
Tout à fait, en tout cas c’est parfaitement dans l’amour. C’est même totalement perdu dans l’amour. C’est pas que j’ai changé d’idée mais Ni queue ni tête ce n’est plus assez, en fait. Il faut aller plus loin, là je dépasse le chaos grâce à l’amour.
C’est vrai que maintenant je fais des morceaux plein d’amour, chose que je ne pouvais pas faire avant.

Pourquoi révéler cette facette de toi maintenant ?
Je ne la révèle pas, c’est moi qui change dans ma vie, j’arrive à évoluer et à m’améliorer je pense. J’ai effectivement vaincu le « chaos », ou du moins j’essaye de le vaincre avec des choses positives telles que la solidarité, le partage et l’amour.

Petite dédicace à Lorie dans le morceau Ma meilleure amie ?
Haha alors non pas du tout ! C’est même une fois que ça a été fini, masterisé, qu’on ma parlé du morceau de Lorie et j’étais un peu choqué. Mais en fait grosse dédicace à Lorie, c’est à peu près les mêmes sonorités, tout pareil.

Mêmes paroles et même couleur de cheveux aussi …
Exactement, et même chorée pour le clip !

Dans ton morceau Si j’arrêtais, tu dis « si j’arrêtais de faire semblant ». Faire semblant de quoi ?
De faire semblant, de pas être vraiment qui je suis, de mettre une espèce de barrière, de jouer un jeu, un rôle. De pas se laisser aller.

Que ferais-tu si tu ne faisais pas semblant ?
Je ne sais pas ça me fait très peur, donc je ne le fais jamais. Je fais toujours semblant, je me protège.

Tu fais semblant tout le temps ?
Oui. Après, dans la musique, j’essaye vraiment d’arriver à me laisser aller à un moment donné, au moment de le faire. En fait c’est très court le moment où tu fais un morceau, et pendant ces moments là j’arrive un peu à être vraiment moi. Le reste du temps, ça se referme tout de suite. Moi je suis un rigolo, je fais tout le temps des blagues, je ne suis pas très sérieux. Je n’aime pas vraiment la personne que je suis normalement, donc j’en deviens une autre.

Tu penses qu’on peut rire de tout ?
Oui évidemment, rigolons, rigolons, on est là pour ça. On va pas se prendre la tête, on va pas se faire chier non plus.

On a souvent l’impression que ta musique te dépasse comme une « fatalité » ? Où se place ton autodétermination par rapport au rap ?
C’est vrai, ça sort tout seul et je ne sais jamais si c’est bien ou si c’est complètement nul ce que je fais. C’est quelque chose qui est difficile à maîtriser. Le fait de réussir à un moment donné à s’ouvrir, à se laisser aller, c’est super compliqué. Et donc il y a des longues périodes où je n’arrive à rien faire, parce que je n’arrive pas à m’ouvrir. Je me dis que c’est pas bien ce que je fais, ce que je dis. Et à un moment  donné, ça sort tout seul, d’un coup, et puis voilà.

Mais c’est très dur de réussir à lâcher prise, c’est comme la méditation : quand tu y penses tu n’arrives pas à t’envoler, mais dès que tu arrives à ne plus y penser, que tu ne penses vraiment à rien, tu t’envoles tout seul. La musique c’est pareil. Quand je réfléchis à faire quelque chose ça ne marche pas du tout, et quand je n’y réfléchis pas ça sort tout seul. En fait une de mes techniques c’est de me dire que je vais faire de la grosse merde. Quand je me dis ça, ça sort, et quand  je réécoute, je me dis que finalement, c’est génial. Et ça c’est parce que je n’avais plus de pression …
Pour les morceaux les plus évidents, les plus efficaces, ça se passe comme ça en tout cas. Pour Bonjour, Selfie, et Smiley, déjà à l’époque, j’avais fait cette expérience de faire un morceau qui pour moi était genre immonde et nul à chier et pourtant j’avais des maxi-retours dessus.

Double discours ?
Non c’est-à-dire que c’est nul au niveau de la qualité, enfin je ne sais pas, encore une fois tu vois c’est une espèce de barrière que je me mets. C’est vraiment un des trucs qu’il faut que j’oublie en fait, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise musique. Enfin si, je n’en sais rien. C’est trop compliqué. En tout cas quand je réfléchis à faire de la bonne musique ça ne va pas du tout.

Tu dis souvent ne pas avoir de culture rap. Quelle est ta culture musicale ?
J’en n’ai pas, je n’ai pas le sens du rythme, je n’arrive pas à faire des notes justes, j’ai une très mauvaise oreille.

Tu rappes très bien quand même pour un gars qui n’a pas le sens du rythme.
Je pense que j’ai réussi à développer des nouvelles techniques … Évidemment j’ai le sens du rythme, je suis rappeur ! Mais par exemple imagine qu’il y ait une prod, avec les batteries, si à un moment tu me mets un trou, même sur une mesure, je peux me perdre. Je peux accélérer ou ralentir, me perdre totalement.
Qu’est-ce qu’on disait au début ? Tout se barre en couille ! Ah oui, ma culture musicale. Je pense qu’à la base je n’étais vraiment pas fait pour faire de la musique, mais il fallait que je m’exprime et il s’est avéré que le rap était facile pour moi. C’est facile pour tout le monde le rap, enfin accessible plutôt. On a des prods partout, t’as des micros partout, tu peux t’enregistrer très facilement, tu peux très vite avoir un morceau. Je me suis donc tourné vers ça et j’ai réussi.

Pour le concept pour le clip Eurotrap où tout me monde pouvait envoyer son clip, il y en a des ultra-chelous que tu aurais reçus et que tu n’aurais pas révélé au public ?
Non, il y a surtout eu des clips vite faits, qu’évidemment on a pas relayés, genre des gens qui ont mis un film de cul derrière nous. Mais Gandalf c’était très bien, c’était très drôle mais bon c’est pas très …
Moi les 4 que je retiens, c’est Illuminati, Shaky prod, Tate (?) et Stem. Ces quatre-là, c’est la folie, c’est incroyable. Vraiment très chouette, je ne sais pas combien il aurait fallu les payer pour qu’ils fassent ça en vrai mais c’est méga-chanmé.

Ils ont eu quand même beaucoup de visibilité !
Oui si ça a pu leur donner un peu de force j’en suis très content, en tout cas eux ils m’ont fait des clips que je trouve merveilleux. C’était une sacrée expérience.

Pourquoi avoir fait un hommage à Kid Cudi ?
C’est vraiment par rapport au post qu’il a lâché en octobre avant de sortir son album. Il disait qu’il allait rentrer en HP parce qu’il avait envie de se suicider. Cette publication m’a énormément touchée et est restée quelque part dans mon cœur. Au moment d’enregistrer Kid Cudi il fallait que je fasse un refrain, alors j’ai parlé de ça.

C’est un rappeur que tu écoutes, qui est symbolique pour toi ?
Non, pas énormément, je ne connais pas grand chose de lui. J’aimais beaucoup un morceau dont tout le monde se fout qui s’appelait Cudderisback. Day & night aussi j’aime bien. Je crois que les extraits qu’il a sortis de son album sont très chauds aussi, comme Vibe.
Il expliquait en gros que maintenant ça faisait peut-être 7 ans qu’il était exposé, connu et tout ça mais qu’il n’arrivait pas à rencontrer de nouvelles personnes, à faire confiance aux gens. Il disait qu’il était déprimé dans sa chambre, tout seul, qu’il en avait marre et qu’il avait lui aussi le droit au bonheur. Il ne pensait qu’à se suicider et donc il fallait qu’il se fasse soigner.

C’est ce que tu ressens ?
Je n’ai jamais pensé au suicide mais quand j’ai vu la manière dont il en a parlé, je me suis dit « putain il a raison, moi aussi j’ai envie de me suicider » ! Mais ce qui est beau surtout, c’est qu’il en ait eu envie et qu’il ne l’ait pas fait. C’est comme un message d’espoir.

Tu supportes mal la célébrité toi aussi ?
Oui c’est un peu gênant, je ne sais pas vraiment vivre avec ça. J’ai beaucoup de pudeur, je ne sais pas gérer les gens que je ne connais pas et qui viennent me voir. Le rapport est déséquilibré, tu me connais, tu m’adores, mais moi je ne te connais pas. C’est très gênant.

Avec ton air détaché et « je m’en foustiste », tu parles souvent de théorie du complot, de communautarisme, de capitalisme dans tes textes. Tu es engagé d’une certaine manière ?
Je pense que je suis engagé dans l’insoumission. Il y a des trucs qui me paraissent évidents donc je vais essayer d’en parler. Le morceau « Blanc » par exemple c’est un peu une réponse au n’importe quoi du communautarisme qu’on peut retrouver jusque dans le rap.
Ce que je dis toujours c’est que dénoncer « je m’en bats les couilles », ce que je veux vraiment souffler aux gens c’est l’insoumission, c’est la force, ne pas se laisser faire. Leur ouvrir l’esprit. Je m’en fous de dénoncer, de dire ça c’est pas bien ou ça c’est bien. Je préférerais fournir aux gens un autre point de vue et leur dire surtout qu’on est plus fort que ça, que l’on va dépasser ça. Ne pas se laisser écraser par un vieux truc comme le communautarisme qui est une vieille ruse.

Tu as dit pendant une interview que finalement les morceaux sur l’album disaient la même chose ?
Exactement, il disent qu’on a le choix d’être bons et qu’on a le choix de se soumettre.

Sur le projet on trouve plein de morceaux différents, il y a des prods sombres, des prods plus dansantes, des textes sensibles, d’autres plus énervés,  … dans quel style tu te retrouves le mieux ?
Effectivement c’est éclectique. Le meilleur morceau de tous c’est Totem;  ou alors Kid Cudi parce que le refrain est trop grave et la prod. aussi, c’est trop bien. Ces deux morceaux sont trop extrêmes ! Vitrine aussi, incroyable connexion avec Damso.
Non c’est chaud, il y a vraiment des morceaux que j’aime bien, comme Lezarman, c’est le meilleur storytelling que personne n’a jamais pensé à faire. Je t’aime c’est tellement sensible et je sais tellement de quoi je parle dedans que je trouve ça mignon, je trouve ça beau.

Tu n’as pas peur, justement, de perdre une partie de ton public avec ce morceau ?
Je pense qu’ils vont tomber à la renverse, qu’ils vont tous tomber par terre ! Tout le monde va être choqué, jamais personne n’a entendu un morceau aussi hardcore que Je t’aime.

Hardcore ? Au contraire, moi je le trouve limite mignon !
C’est brutal dans le rap de dire « je t’aime » à quelqu’un, de le répéter et surtout de dire « je t’aime encore ». En plus avec de l’autotune, c’est choquant. Comme on est dans un monde plein d’apparences et de violence, quand tu dis juste « je t’aime», c’est tellement pur que ça en devient violent. Le rap n’est pas habitué, l’auditoire non plus. C’est une expérience. C’est un album d’expériences.

Quelque chose à ajouter ?
Agartha, meilleur album de 2017, le 20 janvier dans les bacs ! Merci de m’avoir interviewé, vous êtes des amours. Merci de vous être déplacés.

Eleonore Santoro

À proposEleonore Santoro

"Si vous ne vous levez pas pour quelque chose, vous tomberez pour n'importe quoi." Malcom X

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