Chroniques Décryptage

Médine : analyse de la cover de Prose élite

En attendant la sortie de Prose élite le 24 février, petit retour sur la couverture du cinquième album de la barbe la plus fameuse du Havre.

Médine est un homme de concept, et sa longévité tient principalement au fait que son rap engagé sait parfaitement évoluer avec son temps. On a connu l’Arabian Panther avec des longs textes ciselés, logiques, référencés, un style qui a pu lui attirer les foudres sous prétexte du « trop académique » comme l’a montré l’épisode avec Nessbeal. Depuis, il s’est orienté vers une écriture plus concise, à l’aide de phrases plus courtes, en supprimant des déterminants, tout cela enveloppé par des prods plus morcelées et offensives qui lui donnent le bon écrin pour changer de peau. Les images s’en trouvent renforcées, plus puissantes. En somme, Médine est passé d’une écriture académique à un style davantage cinématographique, permis par l’émergence de la trap.

Il y a un an, nous interrogions Thomas Guénolé (ici) sur cette évolution, en omettant l’hypothèse que le choix de la trap, qui demande une écriture filtrée pour ne garder que l’essence de la pensée, conjuguée au choc de l’image, pouvait desservir Médine en provoquant des incompréhensions textuelles, le message heurtant directement les cœurs avant les têtes, comme ce fut le cas pour Don’t Laïk. Aujourd’hui, cette évolution semble être la bonne car elle propose un bon contrepoids à la monotonie du rap conscient, grâce à la rythmique plus élaborée et aux flows variés, tout en permettant de fédérer.

Pourquoi ces précisions de style pour parler d’une pochette ? Parce que l’utilisation de l’image par Médine suit le même chemin que son écriture, c’est-à-dire des interprétations multiples et une puissance symbolique indéniable. La cover de Prose élite est intéressante car elle cristallise nombre des caractéristiques de Médine.

Afficher l'image d'origine

Factuellement, elle représente un mur sur lequel on a collé une affiche représentant Victor Hugo, sur laquelle on a ensuite apposé le visage du rappeur normand, déchirant en partie l’image du poète. Le fait de placarder dans les rues évoque en soi un acte militant, qui plus est à quelques mois des présidentielles, aussi, cela fait échos à l’indépendance du rappeur qui a souvent charbonné seul pour coller ses affiches promotionnelles, comme on peut le voir dans les images d’archives utilisées pour le clip Biopic. Le support est déjà une promesse de direction artistique. Pour ce qui est du double collage, c’est un procédé simple, mais où la symbolique est complexe et plurielle, comme le sont les punchlines de Médine autour desquelles les auditeurs, les intellectuels, les politiciens et les religieux s’étripent parfois. Mais voilà le changement radical dans son style : ne plus apporter une vision univoque et référencée, mais rapprocher des symboliques inattendues pour créer un cocktail explosif, et susciter le débat « à l’image de la main noir serrant la bannière tricolore ».

Ici, l’hommage n’est pas dénué d’offense, et heureusement. En 1687, Charles Perrault écrit un poème, Le siècle de Louis le Grand, dans lequel il fait l’éloge de l’Antiquité tout en privilégiant les artistes de son temps, une marque de respect pour les anciens, mais un refus de s’y soumettre et ainsi d’entraver la création des modernes : « Je vois les Anciens sans plier les genoux ». Même chose pour la cover de Prose élite : un hommage à Victor Hugo et à ce qu’il représente, la poésie et l’aura françaises, mais également une volonté de dépasser le modèle, une volonté marquée par les parcelles d’affiches déchirées et par l’opposition des couleurs : Médine est en couleur, Hugo en noir et blanc, soulignant ainsi le clivage présent-passé. Cela évoque une renaissance, la mise à jour des techniques littéraires sans rougir du glorieux passé de notre pays en la matière, il parle d’ailleurs de dé-momifier Louis Aragon dans le morceau éponyme. Une manière aussi de dire que ce visage berbère au mono sourcil et à la barbe soignée peut porter la tradition française et en manier la langue avec virtuosité.

Le titre Prose élite témoigne de ce message à valeur littéraire, les possibilité de lectures sont en revanches plus éparses grâce à  dans l’homophonie avec le mot « prosélyte », qui désigne quelqu’un qui recherche à faire adhérer un groupe de personne à ses doctrines. Bien sûr, on peut lire cela comme une promesse d’un rap engagé, mais il ne vous aura pas échappé que le mot de prosélyte désigne aujourd’hui pour le commun des mortels la recherche de la conversion religieuse. Ce double sens provocateur est une marque de fabrique de Médine qui oscille toujours entre le débat politique et social et les références à la foi. En 2005, il nomme son album  Jihad  avec le sous-titre « le plus grand combat est contre soi-même », et le clip Don’t Laïk a d’ailleurs créé la polémique pour ces glissements de sens et l’ambiguïté suscitée par le rapprochement de symboles sensibles.

L’image opère donc les mêmes mutations que l’écriture de Médine, mais plutôt que le mot « provocation », le terme « interpellation » semble rendre compte avec plus de justesse de la volonté du rappeur : évoquer des images, rapprocher des symboliques pour interpeller l’auditeur ou le spectateur, créer en lui un sentiment et peu importe lequel pourvu qu’il le pousse à s’interroger sur sa nature. Là où certains parlent d’un message durci et fermé, trop offensif, l’inverse parait être plus juste : Médine ne vient plus avec des conclusions personnelles mises en lumière par des processus logiques, il vient avec des questions qu’il nous balance à la figure en utilisant le choc des images, que ce soit dans l’écriture ou les visuels, il crée du débat et de l’échange au siècle de l’égocentrisme et du rejet de l’autre.

Etienne Kheops

À proposEtienne Kheops

"Je n'ai qu'une plume bon marché pour planter les cieux"

2 commentaires

  1. Merci à toi Clément, effectivement l’équilibre est difficile à trouver quand on parle de deux registres différents, content d’avoir été dans la bonne mesure du coup !

  2. Très bon article donnant des informations précieuses ainsi qu’une bonne analyse du personnage et du message. De plus, la prouesse est réussie de mettre au même niveay rap et littérature sans tomber dans la démagogie, ce qui est assez rare pour être saluer

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.