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[Chronique] Issaba – A la recherche du temps perdu

Au premier abord, Issaba ne paie pas de mine. Physiquement, on est loin de la mode rap actuelle à tendance métrosexuelle et, au-delà de l’apparence, le rappeur n’a pas de charisme évident. Vocalement, on se heurte d’entrée à un accent « banlieusard » que sa scansion ne parvient pas à dissimuler. Un accent si souvent entendu dans le rap français. Et pourtant, au fil de l’écoute, sans trop comprendre pourquoi, on se laisse prendre, pour en ressortir convaincu. Issaba se hisse effectivement bien au-dessus du lot des rappeurs qu’on découvre par hasard dans les méandres de Youtube.

Découvert par hasard ? Pas tant que ça. Issaba est affilié à Exepoq, label sur lequel on retrouve le Big Budha Cheez, c’est-à-dire Prince Waly et Fiasko Proximo. Autrement dit un label de qualité. Et au tour de Montreuil d’être, une nouvelle fois, mise à l’honneur.

L’album d’Issaba –   A la recherche du temps perdu – sort en octobre 2016 dans un certain anonymat. Mais la promotion (on parle de sorties sur youtube, pas plus) va mettre en lumière trois morceaux de l’album, remarquablement bien mis en images. Exepoq, qui avait déjà fait ses preuves en la matière avec le Big Budha Cheez, est évidemment aux manettes.

Venons-en au fait ; Issaba finit par séduire. Il fascine par l’authenticité et la sincérité qui se dégagent de ses chansons. Rien n’est feint, et le personnage est cohérent de bout en bout avec lui-même. C’est l’étendard de l’anti-bling-bling ; que ce soit dans ses textes, sa manière de les interpréter ou encore son attitude. Le rap d’Issaba est à la fois brut et touchant. L’atmosphère de nostalgie, mais de nostalgie heureuse, accentue cet effet.

Sans fioriture, le Montreuillois a un flow assez classique mais très maîtrisé : c’est propre et carré. Sa diction, appuyée, met en avant ses textes. Ses thèmes sont simples : la vie, le quotidien, ses débuts, la défense de valeurs. Sur quelques aspects, Issaba nous rappelle Aketo, notamment sur le timbre de voix, vous ne trouvez pas ?

Entrons dans le vif de l’album. Les seize titres qui le composent sont assez homogènes en terme de qualité, avec peu de déchets, et étonnamment bien varié en terme d’ambiances. Les morceaux leaders sont bien choisis, même si découvrir Issaba par Coup d’babouche n’est pas hyper représentatif de sa musique. Ce track relève, d’une certaine façon, de la recette du titre phare d’un album avec un refrain chanté et entêtant. Mais à la sauce Issaba, ce qui donne des phases du genre : « Ce putain de refrain de merde, je l’ai écrit sous la douche ». D’ailleurs avec Coup d’babouche, Issaba délaisse son rap qu’on qualifierait de terre à terre pour quelque chose de plus dérisoire. La babouche volante vers les étoiles au début du clip ne nous contredira pas.

« Ils pensent qu’ils font des thunes parce qu’ils font de l’autotune »

Plus significatif du projet d’Issaba que Coup d’babouche, J’rappe à la première personne est sans doute le meilleur morceau de l’album. Il se présente avec toute simplicité et humilité, avec une façon de rapper qui lui est assez caractéristique. Une façon de parler de soi qui tranche des habituels égotrips dont regorge le rap français.

Il convainc encore sur GTI, qui signifie Great Teacher Issaba, en s’amusant à générer une métaphore filée entre les mathématiques et la vie. Encore faut-il avoir un minimum de notions dans la matière pour comprendre le texte. Issaba ne fait pas que s’imaginer professeur de mathématiques pour le bien de la chanson ; par l’anacyclique de son blaze, Issaba est M. Abassi et exerce réellement ce métier. D’ailleurs, les deux lettres A retournées sur sa cover mettent en évidence le procédé.

Les instrumentales sont globalement assez oldschool et souvent bien enrichies par des pianos ou des cordes, comme sur Misanthropes Remix. Mysanthropes est d’ailleurs le nom du groupe qu’il forme avec K-1000 et Sagax. On n’en sait pas beaucoup plus, si ce n’est que Sagax est présent sur Apollo Creed. D’ailleurs, ce morceau détonne franchement du reste du projet de par ses sonorités trap. D’autres featurings viennent rythmer cet album, notamment ceux avec Prince Waly et Fiasko Proximo, team Exepoq oblige. Le premier s’occupe uniquement du refrain sur Dites aux rappeurs mais le deuxième propose un morceau plus intéressant sur Sans dents. L’ambiance change une nouvelle fois pour un univers plus aérien (prod signée Proximo ?) dans lequel les deux rappeurs posent avec habileté.

Autre morceau important : le titre éponyme de l’album, A la recherche du temps perdu, divisé en trois parties. Issaba présente son parcours dans le rap, les difficultés qu’il a rencontrées, les obstacles qu’il a surmontés. Il n’est pas le petit jeune qui vient de débarquer dans le rap, son vécu se ressent. Un dernier titre incontournable de l’album : Mes débuts. Réussi, il narre la genèse du rappeur sur un tempo plus rapide. La boucle de l’instru est prenante et reprend une partition d’un morceau de piano bien connu. Efficace.

L’écriture d’Issaba est faite d’allitérations et d’assonances, de rimes riches. On peut parfois lui reprocher un style trop académique, avec trop peu d’écarts. De même pour son flow dense qui gagnerait à être aéré. Mais l’album est loin d’être monotone et c’est une bonne surprise. On y trouve diverses ambiances, comme sur Apollo Creed, Sans dents, cités plus haut, mais aussi sur le bon En bref où le rappeur chantonne son refrain.

Malgré quelques productions actuelles, le projet n’apparait pas hyper moderne mais apporte paradoxalement, grâce à l’authenticité et l’humilité, une certaine fraicheur, en opposition à la raposphère d’aujourd’hui. Issaba se raconte sans se la raconter. Bien entouré et porté par Exepoq, on peut se demander s’il a suffisamment de potentiel pour être un rappeur en devenir, pour évoluer, pour varier, ou s’il reste, malgré la réussite réelle d’A la recherche du temps perdu, un rappeur somme toute limité. Souhaitons-lui le meilleur.

Vous pouvez écouter et acheter l’album en digital et physique sur Bandcamp.

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