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[Interview] Roméo Elvis : « J’essaye d’être touchant, de parler aux gens avec des mots simples »

Après ses deux premiers EP Bruxelles c’est devenu la jungle en 2013 et Famille nombreuse en 2014, Roméo Elvis a décidé de s’associer exclusivement au beatmaker Le Motel pour la conception de Morale, son dernier projet en date. Résultat ? Les instrus sont moins boom-bap, plus actuelles et laissent plus de place au talent de Roméo Johnny Elvis (c’est son vrai nom) pour s’exprimer. Une expérience réussie, qui l’a poussé à récidiver avec un second épisode de Morale, qui sort aujourd’hui. Son processus créatif, sa nouvelle vie de mec posé, son problème d’acouphène, la politique française… Rencontre avec la nouvelle coqueluche du rap belge.

Bruxelles arrive, tube dont le clip dépasse les deux millions de vues, n’est pas sur l’EP. Pourquoi ce choix ?

C’est parce que ce n’est pas Le Motel qui a fait la prod. Le concept de Morale 2, c’est que je travaille avec le même beatmaker sur tout le projet, comme sur le premier Morale. Donc Bruxelles arrive, c’est comme Tu vas glisser, ce sont des trucs qui n’ont rien à voir. C’était juste histoire de donner des signes de vie.

On peut se dire que c’est dommage, car les deux titres ont bien marché…

Bien sûr. Mais ça reste une publicité comme une autre. Ça a attiré beaucoup de gens, qui se sont intéressés à ce que je fais à côté. Et en écoutant Morale 2, ils auront la chance d’écouter de l’inédit à 100 %.

Dans le clip de Tu vas glisser, on te voit avec les yeux noirs, comme possédé par un démon. C’est un clin d’œil à Tyler the Creator dans le clip de Yonkers ?

Oui, tout à fait. Ce n’est pas du tout un pompage discret ou quoi que ce soit. On a clairement voulu faire une référence : le fond blanc, le tabouret, les yeux…

Tu as déjà dit en interview que tu aimais bien son univers.

À fond. J’suis fanatique. C’est pas un rappeur très engagé, mais tu sais l’écouter quand il dit quelque chose de vrai, de sincère. Et en même temps, il a ce côté un peu fou… Ces mecs-là, ils ont gagné. Parce qu’ils peuvent tout faire maintenant.

Tu vas glisser a un peu bousculé ta fan base. Certains te reprochent notamment d’avoir posé sur une instru plus trap que d’habitude… Tu t’es d’ailleurs gentiment moqué d’eux en leur répondant directement sur Facebook.

Ouais, j’ai repris les aspects négatifs de certains commentaires… Mais j’ai fait ça avec humour hein. Dans le fond ça m’a un peu touché, parce qu’on ne reste pas indifférent à la critique. Mais je prends ça comme de l’amour. Ils se disent que ça y est, je suis passé à la trap, je fais du commercial… Je trouve ça dommage qu’ils pensent ça, parce qu’ils se bloquent vite sur une idée, alors que moi c’est du rap que je kiffe tout autant.

Comme le précédent EP, Morale 2 a uniquement été travaillé à deux têtes avec le beatmaker Le Motel. Comment est-ce que fonctionne votre duo ?

Ça peut m’arriver d’avoir écrit des trucs de mon côté, qu’il ait bossé des trucs du sien, et qu’au moment où on réunit les deux, on se rende compte que ça colle bien. Mais c’est souvent un travail en étape. D’abord, on commence par la mélodie. Une fois qu’il a trouvé un chouette truc, moi j’écris dessus. On analyse le résultat à trois avec mon ingénieur du son. Ensuite, la troisième étape, c’est celle qui donne la couleur du morceau : on change des tonalités, des mélodies… Et puis on termine par la quatrième étape, où on peaufine tout ça.

Ton mode de fonctionnement a changé entre le premier Morale et le second ?

Oui. Il y a de moins en moins d’étapes. Il y en avait plus au début parce qu’il y avait énormément de retouches. Mais au fil du temps, on a appris à mieux maîtriser notre art. Ça a réduit notre temps de travail, parce qu’on connaissait déjà les étapes à skipper. On est passés de dix étapes sur le premier Morale à 4 sur Morale 2.

Est-ce que tu as aussi évolué dans ta façon d’écrire ? Tu as déclaré que désormais tu écrivais d’abord les refrains et les couplets venaient seulement après.

Ouais. J’ai travaillé différemment, parce que je cherchais plus des mélodies. Et pour ça, je commence souvent par écrire le refrain. Après, le fond, je le traite toujours de la même manière : c’est toujours un peu loufoque, tout en étant touchant. J’essaye d’être touchant, de parler aux gens avec des mots simples.

Tu penses avoir réussi à simplifier ton écriture ?

Oui. Parce qu’avant c’était parfois complexe, les gens ne comprenaient pas forcément tout ce que je disais. Et la meilleure manière de savoir ça, c’est de faire écouter à tes parents. Et maintenant, mes parents comprennent tout ce que je dis, donc je sais que j’ai réussi à évoluer sur la forme. Mais sur le fond, j’ai gardé les mêmes thèmes : les relations humaines, l’amour…

Dans l’EP, tu dis que le samedi soir, tu préfères écrire plutôt que de voir des filles… C’est vrai ?

Oui, d’autant plus en ce moment puisque je suis en couple… Mais de base, carrément. Avant, j’étais un gros fêtard. Et puis j’ai commencé à calmer un peu les excès. J’ai même fini par arrêter de boire. Du coup, j’étais beaucoup plus isolé. Je suis aussi devenu plus casanier depuis que j’ai un appartement. J’ai vraiment perdu cette vie nocturne quand j’ai commencé à habiter seul. Et maintenant, c’est complètement fini. Je suis totalement insociable. Je travaille le jour, je vais chez des amis le soir, et puis voilà. Pourtant, je travaille la nuit, je suis souvent en studio. Mais j’me bourre plus la gueule, et je suis à vélo tout le temps donc… Mon style de vie m’a amené à ne plus faire la fête. Je la fais en concert le week-end en fait. Mais oui, je suis beaucoup plus calme et casanier maintenant.

Au cours de l’EP, tu parles pas mal de ta consommation de cannabis. Il y a même un morceau qui s’appelle Bébé aime la drogue. C’est quoi ton rapport à ça ? Est-ce que ça te permet d’être plus créatif ?

Non. Je ne pense pas que ça m’aide dans quoi que ce soit. Au-delà du fait que moi j’en fume, le thème m’a toujours plu. C’est un peu bâton comme truc, mais ça revient souvent. C’est un peu un des thèmes récurrents dans le rap : les meufs, la bagarre, « je rappe mieux que toi »… Et la verte, la plante, ça fait un peu partie de mes thèmes, parce que je suis vachement nature, jungle. Donc il y avait déjà quelque chose qui collait. Esthétiquement aussi, je trouvais que c’était plus joli de parler de ça plutôt que de parler d’alcool, que je trouve plus sombre à représenter. Mais moi, j’en fais pas l’apologie. Je dis que ça me calme, parce que ça a ce genre de vertu. Mais je n’essaye pas du tout d’en faire une potion magique.

En tous cas, ça te cause visiblement quelques problèmes de sommeil à en croire ce que tu dis…

Non, c’est plutôt à cause de mon problème d’acouphène que je n’arrive pas à dormir. Au contraire, quand j’ai l’oreille qui siffle, la verte ça me calme, ça m’aide à dormir. Mais je suis un insomniaque, donc forcément, ce sont des mondes qui se mélangent : la fumette, la nuit, être seul chez moi, l’écriture…

Contrairement au précédent EP où l’on pouvait entendre tes potes de L’or du Commun, ils ne sont plus présents. Pourquoi ce choix ?

C’est juste qu’ils bossent sur leurs trucs pour l’instant. Et que quelque part, c’est une évolution assez saine. Moi, j’ai de l’amour pour eux, et ils en ont pour moi. Mais ce n’est ni bon, ni pour moi ni pour eux, de continuer à faire des feats que tout le monde attend. C’est bon aussi que les gens ne s’attendent pas à nous voir tout le temps ensemble. Parce qu’au bout d’un moment, ça devient rébarbatif. C’est comme les festivals où tu vois toujours les mêmes artistes, les soirées où tu vois toujours les mêmes têtes, les rappeurs qui font toujours les mêmes feats avec les mêmes gars… C’est relou au bout d’un moment. C’est pour notre bien commun. Mais on continue à se côtoyer : il y en a un qui est mon backeur, il y en a un autre qui est devenu un peu mon directeur artistique… Les rôles ont changé, l’énergie s’est dispersée différemment. On collabore d’une autre manière.

En parlant de collaboration, est-ce que l’on peut espérer un jour un feat avec Veence Hanao, dont tu as dit que tu étais fan ?

On a failli en faire un sur Morale 2. Veence Hanao, c’est un des artistes qui nous a influencé Le Motel et moi. Pour l’instant, il travaille avec ma sœur. Ma sœur fait de la musique et il lui écrit des paroles. Donc il est déjà un peu dans la famille. Mais ça se pourrait très bien que ça arrive. Carrément.

En plus, il a des problèmes d’acouphène comme toi. Ça ne peut que vous rapprochez…

Ouais. Mais lui il a plus des problèmes d’oreille interne, c’est encore pire. J’espère vraiment que ça va s’améliorer pour lui.

Et toi, ça pourrait s’empirer ?

Oui. C’est une situation assez instable, dans le sens où j’ai un acouphène chronique. J’ai deux couches de tympans qui sont trouées, donc il m’en reste plus qu’une. En gros, mes tympans sont très fragiles. Je dois les protéger… Je suis à l’abri de rien. Ça pourrait m’empêcher de monter sur scène. C’est quelque chose qui me tourmente, qui me torture un peu l’esprit en ce moment.

Dans Bruxelles arrive, tu dis « J’ai attendu 3 ans avant de réclamer les pépéttes ». Tu arrives à vivre uniquement du rap ?

Oui. Pas comme un chef, mais oui c’est bon, ça y est.

Pourquoi tu dis qu’il a fallu attendre 3 ans ?

Parce qu’au début, je n’attendais pas vraiment de retours financiers. C’était pour le fun, un hobby. Puis au bout d’un certain temps, on s’est dit que ça serait quand même cool d’être payé. Ça m’a pris 3 ans de ma vie. Donc soit j’arrêtais, soit il fallait commencer à être payé. J’allais avoir 24 ans, j’étais encore au Carrefour, j’avais fini mes études… Il fallait bien que je prenne une décision. Donc au bout d’un moment, je me suis dit qu’il était temps de réclamer des thunes… Mais j’ai voulu le faire de manière subtile, une seule fois. Je ferais jamais un album entier là-dessus.

Sur Facebook, tu as partagé une interview de Benoit Hamon. Fan du PS ?

La politique française, c’est intéressant pour un Belge : c’est plus divertissant et ça ne m’engage en rien. C’est quelque chose que je regarde de loin, et de près en même temps, à travers Le petit journal, des choses comme ça. Je trouvais l’interview assez rigolote et si ça peut intéresser un minimum sur le sujet, ce n’est pas plus mal.

Au premier abord, on pourrait penser que tu es complétement désintéressé de ces sujets-là.

Pas du tout, j’ai un avis là-dessus. J’suis pas positionné, j’suis pas là à défendre des causes. Mais je ne suis pas insensible à ce qui peut se dire en politique. Et il m’arrive de relayer des trucs comme ce Fast & Curious de Konbini qui était assez rigolo.

Tu as également fait une rime sur Cambadélis dans le premier Morale.

Ça, c’est parce que j’entendais tout le temps son nom à la télé à un moment. Et je me disais que ce nom, il sonnait trop comme une rime, qu’il fallait le faire rimer. Et j’ai trouvé « en bas des listes ». Quand je me suis rendu compte qu’il était secrétaire du PS, je me suis dit qu’il y avait un jeu de mot à faire.

Est-ce que tu penses que malgré ta phrase « on achètera une carte pour les gars de Konbini », ils vont quand même faire une interview avec toi ?

J’en reviens… On leur a amené une carte de Bruxelles et ils ont beaucoup rigolé. Le clin d’œil a marché. C’était par rapport à la vidéo de Damso, où ils s’étaient trompés sur plusieurs endroits dans Bruxelles. C’était une manière de rire du truc.

Dernière question : ça veut dire quoi Strauss ?

Ça veut dire plein de choses… La base de Strauss, le premier qui m’a touché, c’est le professeur dans la série H. Après il y a eu Dominique Strauss-Khan, Richard Strauss et Johann Strauss les compositeurs… En fait les Strauss sont répartis dans la société, dans plein de domaines : dans la politique, dans la musique, dans le divertissement… Ça m’a fait rire de voir qu’il y avait tous ces liens avec ce mot-là. Et puis je trouvais aussi le mot très rigolo.

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