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[Chronique] IAM – Rêvolution

Ah, IAM ! En tant que Marseillais d’adoption depuis mon plus jeune âge, IAM a toujours fait parti de mon paysage, comme la Bonneuh Mèreuh et le Stade Vélodrome. Ils sont là, eux et quelques autres, à veiller sur la ville, gardiens de son esprit bordélique et combatif. En 2017, les Imperial Asiatic Men nous gratifient d’une nouvelle sortie de 19 titres (+19 instrus en édition Deluxe) : Rêvolution. Que vaut ce nouvel opus ? Le rap à 50 ans est-ce encore possible ? Qui a imposé ce jeu de mot comme titre de l’album ? Enquête.

Rêvolution : ce paradoxe

Comment faire un album centré sur un seul et unique thème présent du titre aux rimes, à savoir l’envie de changement (Rêvolution, Révolution, Rêve d’évolution, vous avez compris le truc), tout en se revendiquant orthodoxe dès le premier morceau de l’album ? C’est le tour de force réalisé par IAM pour ce nouvel album.

Orthodoxie

L’orthodoxie est, comme vous le savez tous, un mot savant formé à partir des mots grecs  « orthos » (la droiture) et « doxa » l’opinion. L’orthodoxe est celui qui pense droit, qui pense bien, et qui n’a de fait aucune raison de chercher à changer.

IAM, bien au courant de cette définition, nous fait connaitre sa position dès la troisième minute de l’album « Nous, orthodoxes aujourd’hui, hier et demain, IAM aka scratch et cut dans le refrain » (Depuis longtemps), et restera fidèle à sa parole jusqu’à sa toute fin, à peu près une heure et dix minutes plus tard.

Les puristes et autres fans de la première heure regretteront peut être un glissement qualitatif dans les instrumentales, mais dans l’ensemble, Rêvolution s’inscrit très majoritairement dans la continuité des œuvres du collectif marseillais. Il semble honnête à ce propos de vous renvoyer, chers lecteurs avides de précisions, au très intéressant NoFun de nos amis de l’abcdr dédié à ce nouvel album d’IAM.

Alors bien sûr, les gars d’IAM frisent la cinquantaine, et très franchement, on n’est pas sûr qu’on ait envie de les voir lâcher de gros dabs énervés sur des prods entièrement électroniques de Myth Syzer ou de Brodinsky avec un flow emprunté à Kalash Criminel. Rêvolution, c’est la force tranquille, les voix graves d’AKH et Shurik’n font le taf, et nous gratifient de jolis textes comme Grand rêves, grandes boîtes, La lune c’est le soleil des loups. Décomplexés quant à leur âge, les écouter parler de leur vie a presque quelque chose de pédagogique. Shurik’n nous chantonne quelques refrains et, au fond, on serait tenté de voir dans ses textes introspectifs le désarroi d’anciens qui constatent que les jeunes pousses ont les mêmes problèmes qu’eux à leur âge, parce que justement : rien ne change. Pour enfoncer le clou, Rigamortis rappelle aux nostalgiques que si le futur n’est pas radieux, le passé n’est certainement pas meilleur que le présent et que des territoires ont malgré tout été conquis. Le rap n’est il pas passé du statut de musique pour jeunes sauvages de banlieue à premier genre musical de l’hexagone ?

Danse pour le hood se charge également de rappeler cette réalité «On dit de chez nous : qu’est-ce que c’est glauque ces blocs, mais tout c’qui en sort à chaque fois ça défroque le globe » tout en rendant hommage à tous les habitants des quartiers périphériques et déshérités qui se battent pour vivre leur vie décemment.

Révolution

« J’ai fait la guerre pour habiter rue de la paix, je ne manque jamais à l’appel quand c’est le jour de la paye. » nous disait Booba dans Izi monnaie (0.9, 2008). Cette line du Duc de Boulogne peut, avec un peu d’exégèse rapologique, nous éclairer sur le message d’IAM.

À l’époque, Booba s’adressait à l’auditeur à la première personne du singulier « je ». « je » était le sujet qui livrait un combat pour s’élever seul dans l’ordre social par l’acquisition d’un capital économique. Le but de ce sujet unique « je » était d’habiter Rue de la Paix, rue parisienne bien connue menant entre autres à la prestigieuse Place Vendôme et Saint-Graal des joueurs de Monopoly. Ce même sujet unique « je » nous expliquait ensuite qu’il était toujours présent quand la fin du mois arrivait et que les sous tombaient, comme un bon salarié. Lorsque Kery James parle de rap capitaliste, c’est exactement de ça dont il parle. (Ironiquement, Booba a choisi d’adopter le titre de duc, un symbole de l’aristocratie opposée à la Révolution Française par excellence).

En 2017,  les MCs d’IAM mènent le combat par tous les moyens opposés à ceux employés par Booba. Le combat d’IAM est collectif. C’est un combat de classes, de masses, dont le but n’est pas la réussite individuelle mais un bonheur de tous, ou du moins le rétablissement d’un équilibre et d’une égalité toujours plus bafoués au 21ème siècle. Plus que collectif, le combat aux accents révolutionnaire d’IAM est global. Dans Rêvolution, le morceau éponyme, l’instrumentale s’inspire de la musique d’Afrique de l’Ouest. On repense au film Bamako d’Abderramhane Sissako qui racontait en 2006 le procès de la société civile malienne contre le FMI et la Banque Mondiale. Les rythmes caribéens sont aussi convoqués dans Chansons d’automnes et Rigamortis, et à la fin de l’écoute, Rêvolution a acquis sans avoir l’air d’y toucher une portée qui dépasse les frontières et les époques, et qui nous incite à aller voir un peu plus loin, à s’intéresser au combat des autres car ce dernier n’est peut-être pas si différent du nôtre, quelle que soit la période.

Cette tendance à vouloir concevoir l’humanité dans sa totalité, unie par ses ressemblances plutôt que divisée par ses différences, a également un autre impact sur l’ambiance générale de l’album.

On entend de-ci, de-là, (Depuis longtemps, Résister) des foules de concerts se mêler aux instrus. La foule est aussi mise à l’honneur dans les refrains (Fiyah). Il semble bien que si IAM a choisi des instrumentales moins exigeantes que ce à quoi ils nous avaient habitués dans leurs jeunes années, c’est que Rêvolution est en réalité un album taillé pour le live plus que pour l’écoute au casque. AKH ne s’en cachait d’ailleurs pas le 2 mars dernier sur le plateau de l’émission Quotidien, où il décrivait IAM comme « plutôt un groupe de scène » avouant à demi-mots que Rêvolution était aussi un prétexte pour remonter sur scène, et n’avait pas nécessairement la prétention de changer la face du rap.

Conclusion

Au final, Rêvolution ne sera pas le nouvel apogée du mythique groupe marseillais. Rêvolution est plutôt un manifeste, un appel à continuer le combat contre les « fanascismes« , « un cri de révolte lancé à leurs frères opprimés pour en finir avec la résignation et l’indifférence », comme dirait l’autre. L’occasion de retourner faire la fête en concert avec cet album rempli d’hymnes et de refrains catchys. Même s’il n’a rien de novateur d’un point de vue musical, Rêvolution reste un album sympathique et bienvenu en ces temps troublés, un album qui donne envie de se lever le matin et de faire la fête le soir, aux sonorités chaudes assez éloignées de la dureté métallurgique de la trap hégémonique actuelle.

 

Jacques Bonoberje

À proposJacques Bonoberje

J'ai découvert le rap français au Tegzas. Absolument.

3 commentaires

  1. C’est l’occasion de parler d’un groupe inconnu, Nec+Ultra, qui avait fait un titre intitulé « Rêvolution » en 1989. Son interprétation sur scène à L’Elysée Montmartre en costume d’ époque, XVIII s., leur avait valu de se faire copieusement siffler et insulter par la quasi totalité du « HipHop » parisien, précipitant leur sortie définitive et dommageable à l’ensemble des amateurs du genre. Qu’IAM en fasse le titre de leur album n’aurait été que justice s’ils avaient eu la délicatesse de leur adresser ne serait-ce qu’une dédicace, je serais surpris de leur ignorance de l’existence de ce groupe et du texte de ce morceau qui surprend aujourd’hui encore de part sa précocité sur le propos, c’est bien sûr à contextualiser…c’était il y a prés de 30 ans…NTM avait commencé leur carrière en reprennant leur « Je Rap » si IAM termine la sienne sur leur « Rêvolution » la boucle sera en quelque sorte bouclée, toute ironie du sort gardée, bien sûr. Je vais me le prendre en Vinyl pour me le faire dédicacer, en bon parisien, j’ai toujours été un fan de ces marseillais auxquels j’ai toujours trouvé l’excuse de ne pas savoir ce qui se passait dans la Capitale et puis 50 piges c’est le début de la jeunesse quand on porte le blaze d’une momie.

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