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[Chronique] Isha – La vie augmente, vol. 1

Il semble que le printemps fasse éclore les rappeurs belges au grand public comme des boutons de rose. Entre les albums de Romeo Elvis et de Damso, juste après l’épisode 1 de High & Fines Herbes, dans la foulée de la Grünt 33 et au terme d’un teasing subtil amorcé l’été dernier : la mixtape d’Isha La vie augmente, vol. 1 est enfin arrivée.

Isha (à ne pas confondre avec YSHA) rappait il y a plus de dix ans déjà sous le pseudo Psmaker, et nous sommes à peu près certains que peu d’entre vous le connaissaient à l’époque. « Ouais non mais attendez LREF, vous rigolez ou quoi ? Psmaker on l’écoute depuis Conçu pour durer (ici) ! Vous nous prenez vraiment pour des néophytes ou quoi  ?!»  S’offusquent alors nos lecteurs les plus avertis en matière de rap belge. Bon, bon. Okay. Nous on avoue qu’on ne l’avait pas trop vu arriver. Pour autant, on est plutôt satisfaits que le son d’Isha ait traversé la frontière une bonne fois pour toute et soit arrivé jusqu’à nous.

Isha n’est donc pas tout à fait une jeune pousse du rap belge. Il s’agit plutôt d’une graine robuste restée en dormance durant des années. Non pas que le rappeur se soit reposé sur ses lauriers au cours de la décennie passée. Anciennement Psmaker le Belge, Isha a déjà toute une série de projets à son actif, parus depuis 2008. Il n’avait juste pas eu l’occasion de parvenir aux oreilles d’un large public, comme il semble sur le point de le faire aujourd’hui. On espère que ce sera chose faite après que vous ayez pris connaissance de sa nouvelle tape.


Alors, pour ceux qui découvrent, Isha c’est un peu la fusion entre Kaaris, Ichon et Le Jouage. Une puissance toute en décontraction et en originalité du flow sur des instrumentales de haute qualité. Ce sont des lines comme « Mon adolescence j’l’ai vécue et j’l’ai défoncée par le cul » à vingt-deux secondes du début du disque immédiatement suivies de « J’crois en Dieu, il a un plan pour moi, je vois des signes qui m’encouragent », dans La vie augmente, le premier morceau très soigné d’un disque pensé jusqu’au bout.

L’intérêt du projet réside précisément en ce qu’Isha se trouve souvent sur le fil. La violence n’est jamais très loin des moments intimes, et les sentiments de l’homme peuvent toujours surgir au détour d’un égotrip. Riche, La vie augmente, vol. 1 ne tombe pas dans la facilité. Un twist se cache souvent dans ce qui apparaît à première ouïe comme une évidence. Il faut toujours tendre l’oreille pour découvrir le détail qui donne son sens à un projet généreux mais pudique centré autour d’un homme humble et de ses rêves en forme de Frigo américain.

La famille, tout comme la nourriture occupent une grande place dans La vie augmente, vol. 1. Isha parle de sa mère, de son père mort en pyjama alors qu’il n’a que dix-huit ans, des relations compliquées avec sa famille et de sa propre paternité sans chercher à tordre la réalité à son avantage « J’s’rais toujours le fils de ma mère et maintenant y’a mon fils aussi / Mais mon dealer a de la Bubble ; son Amnésia elle glisse aussi », scande t-il dans Yipiya.

De manière générale, La vie augmente vol. 1 est à l’image de la pochette du disque. Un beau sourire Noir avec les dents (du bonheur), une bonne bebar sympathique, le tout dans un sobre noir et blanc qui ne souligne que l’essentiel. Et même si nous avons eu un peu de mal à rentrer dans SOAB (à ne surtout pas confondre avec le groupe de rock arménien) parce qu’il faut bien l’avouer : entendre les rappeurs de tous bords répéter à longueur de disques qu’ils sauront se souvenir de ceux qui les ont abandonné quand la galère était leur quotidien devient inévitablement lassant ; on comprend le besoin d’Isha de prendre sa revanche sur ces derniers en écoutant le reste du projet.


A la fin, on a même un peu l’impression d’être l’ami du bonhomme, parce qu’il nous a raconté plein de choses qu’on ne dit généralement qu’à ses amis, ceux avec qui on rentre de soirée aux alentours de cinq heures du matin en marchant au milieu de la rue. « Oh l’mec comment il est relou là avec son blabla sur l’amitié, déjà qu’il connaissait même pas Isha a.k.a Psmaker le Belge, merci la chronique d’amateur quoi », soupirent nos lecteurs férus de rap belge mais pas trop de rapports humains, (thématique qui maille pourtant tout l’album) en roulant très fort des yeux.

Bref. La vie augmente, vol. 1, c’est bon : mangez-en, jusqu’à la dernière miette : le morceau caché aux accents électroclash/techno qui clôt définitivement le disque. Car lorsque dans l’implacable Yipiya, Isha nous dit « J’entends dire un peu partout qu’ y’a des nouveaux négros qui signent, mais c’qu’il savent pas encore : j’suis l’renouveau des nouveaux négros qui signent », on espère y voir une prophétie autoréalisatrice. Le volume 2 est déjà attendu avec impatience.

Jacques Bonoberje

À proposJacques Bonoberje

J'ai découvert le rap français au Tegzas. Absolument.

4 commentaires

  1. « Isha c’est un peu la fusion entre Kaaris, Ichon et Le Jouage ». Mais MDR comment vous osez le comparer à Kaaris ? Ils ont tellement rien à voir, l’un comme l’autre.

  2. « Mais mon dealer a de la Bubble » je pense plutôt qu’il parle de la beubeuh (la beuh, le shit)

  3. @Bwanga Pilipili – Je comprends tout à fait que la connotation géographique du terme « africain » puisse paraître inadaptée, et elle l’est sans doute à certains égards. Dans un souci de paix des ménages (je ne voudrai pas que la généralité du terme laisse penser à un sous entendu teinté de colonialisme bien pensant), je l’ai donc remplacé par « Noir ». N’y vois aucune autocensure, seulement l’amour du terme exact.

    A bientôt sur nos autres chroniques ! 🙂

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