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[Chronique] Panama Bende – ADN

Après moult sessions freestyle, collaborations, projets seuls ou à deux, il était temps que les sept membres du Panama Bende unissent leurs forces sur un véritable album. Les fans de la première heure attendaient ça depuis trois ans maintenant et leur patience se voit récompensée avec ADN, le premier projet long du (plus si) jeune crew parisien.

Si vous écoutez du rap français depuis au moins trois ans, vous n’avez pas pu passer à côté de Panama Bende. Sept garçons aux allures d’ado de banlieue parisienne, le regard déterminé, cultivant un goût affiché pour la résine de cannabis et les flows techniques, soudés comme une escouade de Navy Seals. Par ordre alphabétique, on trouve Aladin 135 le polyvalent, à l’aise en rap et en chant, ASF et son énergie débordante, Elyo nonchalant et éraillé, Lesram le technicien minutieux, le ténébreux Ormaz, PLK le vanneur et Zeu a.k.a Zeurti l’expert en flow de destruction massive.

Ceux qui les ont vu en live savent la puissance qu’est capable de dégager le groupe sur une scène, et si vous n’avez pas eu cette chance, nous vous recommandons de jeter un œil à la Grünt #20 (ici !) parue il y a déjà trois ans. Paradoxalement, c’est en substance tout le drame de l’album.

Sans doute à cause de leurs visages et de leurs voix juvéniles, on avait un peu tendance à percevoir la Bende Mafia comme un crew de rookies et on attendait, après trois ans de présence sur la scène rap francophone, un album capable de revendiquer un statut différent. Un pari gagné à moitié seulement.

Les raisons à cette demi-victoire sont multiples. L’une d’entre elles tient en substance dans le titre de l’opus : ADN. L’ADN, c’est la base ; le récipient de la totalité de l’information génétique d’un organisme, et ADN (l’album) a indéniablement été conçu comme le récipient de l’identité du groupe. Une sorte de carte de visite d’une heure découpée en onze séquences. Une intention louable, certes, mais a-t-on encore besoin de faire les présentations quand les membres du Panama ont participé à plus de 12 projets en trois ans (en comptant les 6 EP et Mixtapes d’Aladin et les projets des Tontons Flingueurs auxquels Lesram participe) ?

On vous laisse avoir votre propre avis sur la question (rhétorique), car un autre aspect de l’album contribuent à le limiter à sa forme de CV musical : l’égotrip. ADN est un album d’un égocentrisme absolu. On ne s’attendait pas à ce que le crew parisien lâche un album lourdement conscient pour son entrée dans la cour des grands, mais on aurait pu envisager que son horizon ne s’avère pas aussi limité. En onze morceaux de presque 5 minutes et demi de moyenne, les sept MCs n’abordent aucun autre sujet qu’eux, eux même et leur nombril. Leur quartier, leur shit, leur business, leur musique. « Normal ! » nous direz-vous avant d’avaler une lampée de Ballantine’s. Mais les choses vont plus loin car l’album se révèle pratiquement dépourvu de toute référence à autre chose qu’au crew. On se plaint souvent que les rappeurs ne parlent que de Tony Montana et de DBZ, mais le Panama Bende nous fait prendre conscience qu’au moins ils en parlent. ADN est d’une pauvreté parfois affolante quand il s’agit pour nos sept MCs d’évoquer autre chose qu’eux même.

A ce niveau-là, ç’en devient même intriguant, car au fond le groupe nous pousserait presque à nous faire remettre en question ce que l’on tenait pour acquis en matière de rap et même sur l’art en général. Le rap peut-il exister vidé de tout discours, en tant que simple démonstration technique de maniement de la langue ? Peut-être bien. Toujours est-il que ce manque de curiosité à l’égard de l’extérieur du groupe qui transpire par tous les pores d’ADN produit un autre effet, délétère celui-là : l’absence de synergie entre les membres du groupe.

Isolés du reste du monde à travers leur égotrip, Aladin et ses comparses semblent même coupés les uns des autres, chacun trop occupé à bien se présenter au public avec son assortiment de punchlines bien senties. Bien sûr, les couplets s’enchaînent, et les membres sont quasiment tous présents sur chaque morceau – ceci expliquant la longueur des tracks –, mais jamais les uns avec les autres. Plutôt les uns à côté des autres, presque pas complices, alors qu’on sait à quel point leurs lives peuvent se révéler efficace lorsqu’ils décident de s’amuser au micro tous ensemble. Parce que les morceaux sont en réalité constitués de freestyles juxtaposés, l’album acquiert une dimension modulaire, interchangeable, qui au final donne sens à son titre. Si les couplets sont des gènes, (l’) ADN en permet toutes les combinaisons. Prenez une envolée mélodique d’Aladin, combinez là avec un couplet bien sombre d’Ormaz et à quelques subtiles allitérations de Lesram, ajoutez une dose de raillerie made in PLK et constituez-vous votre propre morceau de Panama Bende.

Reste néanmoins une dernière question, peut-être la plus importante : la qualité des ingrédients de la recette pour un bon morceau de Panama Bende, car c’est effectivement dans la qualité des MCs que l’album trouve sa rédemption. En gros comme en détail, tous les ingrédients sont de bons. Peut-être pas au goût de tout le monde, (la voix de fausset d’Aladin ou les nombreux décrochages vocaux d’ASF ne seront assurément pas au goût de tout le monde) mais de qualité. Malgré un manque de fond évident, les couplets sont solides, les MCs sont techniquement au point et pour peu que l’on veuille bien faire l’effort de se mettre dans l’ambiance de hall sombre dans lequel nous plonge ADN, on trouve carrément son compte question rap, avec de grosses tueries comme Molo, Yuhi, ou encore le très chillax Lunettes de Soleil. Plutôt que du sale (notion très en vogue en ce moment), les membres de la Bende Mafia on fait du propre. Aucun laxisme dans l’album, et on sent que les mecs ont durement travaillé leurs textes pour délivrer un produit de qualité. La conception de l’album est méticuleuse, léchée, à l’image du design de la pochette. Alors même si on a un peu l’impression d’écouter un exposé un peu scolaire en cours de rap (la rédaction travaille activement à l’intégration de cette matière indispensable dans tous les programmes de l’éducation nationale dès la rentrée prochaine) où chaque membre a bien fait son travail, on a quand même envie de leur mettre une bonne note pour l’effort et le sérieux.

Jacques Bonoberje

À proposJacques Bonoberje

J'ai découvert le rap français au Tegzas. Absolument.

2 commentaires

  1. Comment te dire, tu as su analyser, résumer un sujet bien complexe ! Ton auditoire apprécie ton esprit critique ,fort alambiqué. Un grand merci !
    Ttf

  2. Comme toujours vous avez résumé ma pensée !. Les instrus sont puissante, les flows précis mais l’album est carrement vide. Pour moi, il faudrait sauver Elyo, couler Aladin et égarer les autres haha.

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