DJ Weedim
Beatmakers Interviews

[Interview] DJ Weedim : « Moi, je défends la scène avant tout. »

Depuis quelques années, DJ Weedim est devenu un visage familier du rap français. Au gré de ses nombreuses collaborations avec des têtes d’affiches (Vald, Alkpote) comme des nouveaux talents (K.S.A, Biffty) mais aussi des revenants du rap français (Iron Sy, Driver), le proche du Souye Gang a su créer une ambiance musicale qui lui est propre, un véritable savoir-faire placé sous le signe d’un entertainment de qualité. Le producteur, DJ, beatmaker mais aussi directeur artistique se joue des étiquettes simplificatrices et floues comme celle de la trap et préfère revendiquer l’art du turn-up,qu’il maîtrise à la perfection.

A l’occasion de la sortie de son premier album studio, Boulangerie française vol. 2, faisant suite à une mixtape remarquée en 2015, on a rencontré Weedim. L’occasion de découvrir un homme à l’image de sa musique : pas simple mais humble, pas prise de tête mais exigeant, pas prétentieux mais talentueux.

On se voit à l’occasion de la sortie de Boulangerie française vol.2, qui est ton premier album. Pourtant, tu le présentes comme la suite du volume 1 qui était une mixtape sortie sur « Haute Culture ». Du coup, est-ce que tu vois ça comme un vrai premier album, ou la suite de la première mixtape avec une plus grosse promo ?

Pour moi, c’est un album. Ça a été travaillé différemment techniquement, au niveau des mixs. Comment dire…. Chaque titre a été fait dans cette idée là pour faire cet album. C’est un album, c’est un vrai album, même au niveau des clips, c’est beaucoup plus travaillé.

Et du coup, pourquoi ce choix de l’appeler vol. 2 ?

De toute façon, le label c’est French Bakery Breadren, les Frères Boulangers en français. Je voulais juste marquer le coup une bonne fois pour toute sur Boulangerie Française, pour stamp le truc.

Et justement, le fait que ce soit ton premier album, j’ai trouvé ça intéressant, parce que c’est devenu assez rare les « vrais » albums de producteur dans le rap, il n’y en a pratiquement plus. Est-ce que tu trouves que ça manque un peu ?

Moi ça me manque pas, je m’en fous un peu… Chacun fait ce qu’il veut ! Quelque part c’est dommage mais… C’est comme ça en fait ! Moi je le fais. Il y a la Boulangerie Française volume 2 qui est disponible donc à partir de là… Mais je ne sais pas pourquoi les collègues ne font pas ça.

On dirait qu’en France, il y a un certain refus de se mettre en avant aujourd’hui, quand on est producteur.

Exactement. Moi, je suis arrivé, je suis DJ à la base, à mon compte. C’est seulement ensuite que j’ai travaillé avec des artistes. Forcément, il y a cette visibilité qui n’est pas la même. Donc il y a ce truc là qui a joué dans ce que je suis devenu.

Un des premiers trucs que l’on remarque quand on écoute l’album, c’est que t’as changé de tag. C’est la voix de Biffty, et finalement ça m’a fait penser à ce qu’a fait Metro Boomin avec la voix de Future. C’est le même genre de démarche ? Ta relation avec Biffty est aussi complémentaire que celle de Future et Metro Boomin ?

Complètement, on a le même genre de rapport que Future et Metro Boomin. On fait plein de trucs ensembles et il représente à fond pour la boulangerie. Après, je l’ai un peu pitché et modifié mais, oui, sinon c’est un petit clin d’œil. Le You make me feel so good, c’était sympa, mais c’était davantage un big up à moi. C’était un son, je me l’étais accaparé au tout début de quand je faisais de la musique. Mais là, je voulais que le Boulangerie française ressorte. Donc finalement, en 2017-2018 j’ai opté pour celui-là, mais ça changera peut-être, je ne sais pas !

L’album dégage une ambiance assez homogène. Les titres ont une sorte de cohérence, dans cette volonté d’ambiancer. Pourtant, on a encore un peu de mal à assumer que le rap français peut servir à s’ambiancer…

On y vient, on y va clairement, ça se voit de plus en plus. Les mentalités changent au niveau des artistes.  C’est pas tellement le public, mais plutôt les artistes qui sont moins enfermés dans ce truc de rap français classique. Nous, petits français que nous sommes – grands français que nous sommes pardon ! – on regarde ce que fait notre voisin américain, et on s’inspire toujours de ça de toute manière dans le rap. Et là, je trouve qu’aux states on est vraiment au top de ça, de l’amusement, de l’entertainment pur. Et on y vient petit à petit en France, et c’est tant mieux, parce que moi c’est ça qui m’amuse. Et je pense que le public aussi il a envie de ne plus réfléchir tout le temps consciemment en écoutant du rap quoi. Il y a un moment où tu peux aussi écouter du rap pour t’amuser.

Tu évoquais la forte influence cainri, c’est quelque chose que tu assumes complètement ?

Complètement, ouais ouais ! Pour moi, quelqu’un qui fait du rap s’inspire forcément du délire cainri. C’est du rap, ça vient de là-bas, ça a été créé là-bas, donc forcément on fait comme ça se fait là-bas. Après, on a notre culture française, et les rappeurs français ont amené un truc comme la langue française, le français. Pour moi, c’est ça la manière française de rapper, les lyrics. Mais on s’inspirera toujours.

Je pense à un morceau comme Bord de Marne, où ça se voit que tu as écouté tout ce qu’il s’est fait dernièrement, avec l’espèce de flûte qui fait penser à tout ce qui a été fait depuis Mask Off.

Ouais carrément ! Après, y a la tendance, c’est la tendance. J’écoute beaucoup de nouveautés de sons nouveaux, donc ma musique suit l’évolution de la mode de la musique.

Comment as-tu collaboré avec les rappeurs pour l’album ? Les prods correspondent vachement à l’univers des rappeurs, je trouve sur ce projet. Est-ce que tu as composé en pensant à eux ? Ou est-ce eux qui ont choisi parmi les prods que tu avais envoyé celles sur lesquelles ils allaient poser ? 

J’envoie pas, ils viennent au studio directement, je fais tout moi-même. Mais je ne fais pas du tout les beats en me disant que telle ou telle prod sera pour celui-là ou celui-là. C’est plutôt quand ils viennent au studio, je leur fais écouter des morceaux, et puis connaissant les talents de chacun, je fais en fonction de ce que j’ai. Je me dis que ça, ça irait bien avec ça, et généralement ça tombe dans le mille. Après, bien évidemment, il y a des mecs qui ont préféré d’autres choses. Mais non, ce n’est pas du sur mesure. C’est plutôt qu’on bosse le truc ensemble. C’est là où c’est important le travail en studio avec les artistes. Si je n’avais pas été là, c’est sûr qu’on n’aurait pas eu ce rendu là. On a deux esprits, donc forcément on construit quelque chose de différent que si le mec était tout seul.

Par exemple, je pensais au morceau avec Sidi Sid, où le délire un peu marécageux fonctionne vachement bien et est cohérent.

Oui, c’est ça, et en plus c’est Sidi Sid donc il excelle dans ce truc là ouais… Marécageux !

Dans la manière de poser des rappeurs, est-ce que tu peux leur donner des idées ?

Très souvent ouais, très très souvent ! Je participe beaucoup à la création des morceaux. On développe ensemble. S’il a des idées et que moi j’en ai, c’est du gagnant-gagnant. Vraiment, on fait le boulot ensemble, je change même des mots souvent, ou j’interviens sur quelques fautes de français !

Pour rentre dans le détail de l’album, un des morceaux qui m’a le plus attiré, c’est celui avec 13 Block, parce que ce rap sudiste d’entertainment c’est vraiment leur domaine. Et à l’écoute du morceau, il y a une forme de prise de risque surprenante, dans un délire très électro.

Ah mais c’est ce que tout le monde me dit ! Mais c’est un choix, ouais. Là, clairement, le beat on l’a fait, et je me suis dit que ça c’était pour 13 Block. Je sais pas pourquoi d’ailleurs, je me suis dit que j’aimerais bien voir 13 Block là dessus. Il y a un côté électro, limite indus’, et je voulais les amener un peu ailleurs, et ça a donné ça.

L’autre morceau qui surprend, c’est celui avec Biffty, avec des sonorités un peu baile funkMa Chambre. Pourquoi cette envie ? T’aimerais développer cette direction ?

Baile Funk c’est le truc un peu du moment dans les musiques tropicales. Il y a eu l’afro, le dancehall jamaïcain, et je trouve qu’en ce moment les influences sont vachement typées baile funk brésilien, le ghetto de la musique ghetto de Brésil. C’était une idée à moi, ça, j’avais envie de faire des morceaux comme ça. J’ai fait une série de beats comme ça, et j’ai pensé à Biffty, je me suis dit que ça manquait à sa palette de titres. Parce qu’on joue beaucoup en live donc il fallait quelques morceaux un peu plus jump up. J’ai amené le truc, et là pour le coup c’est moi qui ai vraiment tout fait, et Biffty est venu après poser les couplets, ça a donné ce morceau assez marrant. En tous cas, en live, c’est super cool.

Quand on voit la tracklist de l’album, il y a du rap suisse, du rap belge, du rap français,… C’est quelque chose qui te tenait à cœur de montrer qu’aujourd’hui il y avait vraiment un rap francophone ?

C’est plus du hasard, j’ai pensé en terme de personnalités plus que de nationalités. Dimeh et Slimka, c’est la mif de ouf ! Je les vois, je les suis sur les réseaux, où ils sont très extrêmes dans leurs lives

Oui, ça fait penser à tes lives avec Biffty.

Oui, c’est pour ça que l’on s’entend bien ! Et Roméo Elvis c’est pareil, j’ai vu les images de live, je me suis dit que c’était exceptionnel, qu’il fallait qu’on rentre en communication, que l’on fasse quelque chose ensembles, et voilà, ça donne ce morceau là. Mais voilà, c’est ce qui me plaît. J’ai juste été cherché les artistes qui me plaisent. Et voilà, il y en a un belge, et deux de suisses…

Et des canadiens, avec les Anticipateurs !

Ah ouais, ouais ouais ! Il y a nos amis canadiens effectivement ! Ah putain, on a élargi le spectre ! On est sur une mappemonde presque totale ! Les Anticipateurs, c’étaient limite les pionniers d’une certaine manière de faire dans le rap, c’est cool.

Justement, tu as écouté ces mecs qui étaient un peu pionniers là-dedans, dans l’entertainment ?

Pas du tout. Après, j’avais entendu parler d’eux, forcément, et comme tu dis, ils ont ce côté entertainment, ils viennent du Canada, ils ont une autre vision du rap parce qu’ils sont bilingues. Ils parlent couramment l’anglais, donc ils perçoivent le rap américain d’une manière différente de nous. Et ça existe depuis très longtemps aux States le rap pour s’amuser, donc ils ont juste suivi le truc. C’étaient les pionniers dans le rap francophone. Puis avec l’accent canadien, ça amène un folklore différent. C’étaient les premiers dans ce truc, je ne dirais pas marrant mais… Différent. C’est autre chose.

Sur le même morceau, il y a B.e Labeu. Il bosse avec toi au sein du collectif Nohell.

Oui, c’est son collectif, et moi je suis DJ, et je viens souvent faire des DJsets dans ses soirées.

Et c’est important pour toi de lier justement ce côté live avec ton activité en studio ?

C’est lié. Quoiqu’il arrive. Parce que moi, je défends la scène avant tout. Chaque titre, je sais qu’on va aller le jouer sur scène. Et B.e, je sais que c’est un bon rappeur, on a fait deux projets ensembles, et je trouvais ça cool de le faire rentrer dans la boucle avec les Anticipateurs, ça collait bien.

Un des mecs que l’on attendait moins sur le projet – on en parlait tout à l’heure, c’est Roméo Elvis, qui d’habitude est dans un délire différent avec Le Motel. Comment ça t’est venu de travailler avec lui ? C’était un défi ? 

Pas du tout, j’ai vu des lives de lui, et je me suis dit que ce mec était fou, mais dans le bon sens du terme. Je me suis dit que ça serait génial de faire un truc avec lui, donc je lui ai envoyé un message sur Twitter, tout simplement. Même pas en DM hein ! Un tweet quoi. Et puis il m’a dit que c’était trop cool, qu’il adorait mon taff, et on est rentrés en contact. Je lui ai envoyé une série de beats et il a pris celui-là, et on a fait ce morceau, je l’aime bien il est marrant. Il a une longue intro, c’est mon choix aussi, vu qu’il est un peu OVNI ce mec, donc je voulais une intro un peu space, d’une minute, un peu bizarre, tu vois. Je crois que ça colle bien. J’ai été content de bosser avec lui, et ça colle. Nous sur scène on envoie, et lui, il envoie pareil, avec une autre musique, mais on se rassemble. D’ailleurs, on joue ensemble en Mars, au Zénith de Lille, avec Vald, Roméo Elvis, Lorenzo, et Biffty. Donc tu vois les gens peuvent se rapprocher au final.

Oui, c’est ce que le morceau montre aussi. Son truc un peu plus écrit peut s’associer à un truc plus ambiançant.

Carrément, ça peut le faire ! C’est même carrément cool.

Un autre morceau qui m’a agréablement surpris c’est celui de Biffty et Iron Sy. C’est deux mecs qui viennent d’univers complètement différents (Biffty avec ce côté punk et déjanté, et Iron Sy qui est plus à l’ancienne), et finalement ce morceau… Et bien j’étais même pas choqué ! C’est quelque chose que tu aimes bien faire aussi, créer des ponts entre les artistes ?

Complètement ! Moi je me suis mis à Youtube récemment tu sais. Moi, l’image ça m’a jamais trop parlé. J’ai commencé la musique avec la musique. J’ai jamais checké les images. Je m’en fous. Quand j’écoute Biffty d’un côté, et Iron de l’autre, je me dis que les deux ensembles, ça va forcément faire un bon morceau. On en a un qui est un peu old school, un new school, un qui raconte ci, l’autre qui raconte ça,… Bon, à un moment on va arrêter les étiquettes, et faire de la musique ! Au final, on a juste un bon morceau de deux gars énervés sur une prod énervée… Et ça tue quoi !

Il y a aussi le morceau avec 6rano, et je voulais savoir comment tu avais trouvé ce mec. Je trouve que c’est vraiment l’un de ceux qui se détachent sur la tape et j’en avais jamais entendu parler avant.

C’est un gars de Reims, chanteur, c’est rare. Un vrai chanteur. Le mec faisait du gospel, des chorales, et on a pas mal de titres enregistrés, c’est vraiment un mec talentueux, j’aime beaucoup ce qu’il fait, et il amène quelque chose. Après faut voir comment on va sortir ça, mais il a vraiment sa personnalité à lui.

Aujourd’hui, t’as réussi à te constituer tout un crew, avec le Souye Gang notamment, mais pas que. Je me demandais si sur le long terme tu te voyais peut-être comme un directeur de label ?

Ouais, un directeur artistique ! J’ai un label de musique, après c’est pas fermé, c’est ouvert absolument à tout, mais l’idée c’est de se construire une team. On est là pour faire du long terme, mais on peut aussi faire des one shot. Moi, je fais de la musique, j’ai aucune barrière. J’ai envie de collaborer avec tout le monde, tant que l’ambiance est bonne et que l’on fait de la bonne musique. Même de l’électro, j’ai des projets.

Ah oui, c’est quelque chose que tu vas pousser ? 

Ouais, sur le projet d’Alk tu sais, il y avait un remix de Pyramides, qui était vraiment house. Et vu que je bosse avec ce producteur qui s’appelle Cinnamon, je m’étais dit pourquoi pas faire des choses dans ce style là. Après, des idées j’en ai plein. Mais ça serait bien.

Ton projet sort le même jour que celui de Ghostkiller Track, et vous avez pas mal de mecs en commun dans vos entourages (Cheu-B, John Dess par exemple). Finalement, vous êtes un peu les deux références sur le même créneau en France. Est-ce qu’une collaboration entre vous deux, ça pourrait se faire ?

Moi, je ne connaissais pas trop. Je l’ai découvert par Cheu-B, et j’ai vu que, ouais, il était pareil ! Il développe son truc et tout, et ouais ! Shout out, Ghostkiller Track. Et ouais, c’est possible, tout est possible. Franchement, je te dis, une fois de plus… Si on trouve un intérêt commun à bosser ensembles bah allons-y. Je suis là pour la musique moi.

Guillaume Echelard

À proposGuillaume Echelard

Je passe l'essentiel de mon temps à parler de rap, parfois à la fac, parfois ici. Dans tous les cas, ça parle souvent de politique et de rapports sociaux, c'est souvent trop long, mais c'est déjà moins pire que si j'essayais de rapper.

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