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[Chronique] Hippocampe Fou – Terminus

Hippocampe fou mise sur les contrastes au fil de sa discographie. En plus de réaliser des albums cohérents avec un thème précis se concevant comme un voyage, sa disco entière fait sens. L’eau avec Aquatrip (2013), le ciel et les étoiles dans Céleste (2015), et maintenant, le terrier où l’animal a fini par faire son nid. Si Céleste était une étape de maturité importante pour l’hippocampe, il nous invite à creuser encore plus profondément dans les entrailles de sa personnalité avec Terminus. Il nous annonçait cette évolution dès Quarantaine : « avant de finir cloîtré je voudrais faire le tour de la voie lactée ».

Comme l’ours des cavernes, Hippocampe fou a décidé d’hiberner dans un Trou et de prendre quelques vacances au calme. Il s’enferme dans sa cave-laboratoire de rimes et de sons et nous a concocté un album au poil.

« Comme un chimiste, j’ai le sens de la formule/Si t’as l’esprit étriqué, t’as qu’à augmenter le volume » Underground

Terminus est un album aux ambiances jazz, ce qui est plutôt logique si on fait le lien entre le terrier d’Hippo et un petit club de jazz sous-terrain new yorkais (Hippo est un expat à New York). Entre la contrebasse et l’outro du saxophone de Trou, le piano et la trompette de Mes Voisins, les percussions de Dormez-vous ; si le jazz ne fait pas l’unité de l’album, ce dernier accorde une place importante aux instruments de musique à vent et à cordes, ainsi qu’aux percussions. Autre nouveauté, Hippo ose les variations de flow et capture l’auditeur dans une écoute active : on comprend qu’il ne souhaite plus faire de la technique et de la vitesse un argument majeur pour sa musique, puisque l’on trouve moins de morceaux avec un gros débit comme dans Obélix. Hippo garde le pari qu’il avait initié avec Céleste de quelques passages chantés, souvent réservés aux refrains, et qui font toujours plaisir.

Ce cheval des mers qui se rêve réalisateur de films n’a pas fini de nous raconter des histoires. Les titres annoncent la couleur de l’album : Dans le fond, Triste, Fallait pas rigoler … Si l’ensemble est maussade, comme pourrait l’être un gars qui n’a parlé à personne depuis trois jours, un expat isolé, un reclus cherchant l’amour sur son téléphone, ou simplement un mec à côté de la plaque, Hippo n’en perd jamais son sens de l’humour.

L’humour, l’absurdité et l’auto-dérision sont sa force depuis le début, et il n’a aucune raison de s’en séparer. Les fans aquatiques de la première heure ainsi que les nouvelles recrues de Céleste seront ravis de retrouver le Mc inspiré, débitant jeux de mots sur jeux de mots, s’appuyant sur les homonymies et homophonies devenus sa marque de fabrique. Dans le fond fonctionne comme les devinettes et les blagues que l’on pourrait entendre de la part d’un papa un peu relou. On voit bien qu’il s’est fait plaisir et ne redoute absolument pas de perdre en crédibilité. L’humour berce une grande partie de son univers (on vous laisse trouver une référence probable aux Inconnus dans l’album) et assume complètement la plaisanterie de daron, sous-genre de l’humour à elle seule selon moi.

« je fouine sur le net à la recherche d’une belette » Trou

Inspiré par le Saïan Supa Crew, il n’hésite pas à raconter des situations personnelles qui tournent au sketch et à la dérision (Dormez-vous). Concernant le rire dans le rap français, on vous renvoie à ce très bon article de Slate qui souligne à quel point prendre le risque du rire peut autant marginaliser un artiste que le rendre plus « accessible » au grand public. Toutefois, lui même trouve dans l’humour qu’il adopte les limites de cet ami souvent pratique :

« quand t’as l’estomac noué quand tu bois la tasse/le rire c’est ta bouée c’est ta carapace/l’humour faut bien l’avouer peut sauver la face mais parfois vaut mieux pas glousser, attende que ça passe » Fallait pas rigoler

L’art maitrisé du story-telling (Du bout des doigts, Mes voisins..), les histoires un peu légères (Fallait pas rigoler, Dans le fond) de second degré, appuyés par des sonorités et rythmes dansant, vont certainement très bien marcher en live. D’autant plus que l’artiste s’appliquait pour le show Céleste à créer des mises en scène soignées et saisissantes, on en attend pas moins avec Terminus.

Mais ces morceaux nous proposent parfois un deuxième sens de lecture, une sorte de sous-texte se cache derrière ces paroles un peu déjantées. Au final, Fallait pas rigoler conte l’histoire d’un gars qui a perdu tout contrôle sur les événements de sa vie.

Ensuite, si on creuse un peu plus, on peut se demander pourquoi on s’enfermerait. Pour se couper d’un monde qu’on ne supporte plus. Par devoir, celui du père au foyer, (L’Hippocampe est Papa au foyer depuis Aquatrip), ou à cause d’un quotidien qui nous enferme dans une bulle, un entre-soi. Ou encore par isolement. La symbolique de cette grotte dans laquelle Hippocampe Fou nous invite dans le clip d’Underground est très riche. Avec Terminus, on s’éloigne vraiment de l’univers fantastique et chimérique de Céleste pour rentrer dans les sous-terrains obscurs du métro, où là encore malgré le côtoiement et la proximité, on reste dans un entre-soi où chacun se persuade qu’il n’a Pas le temps. Morceau angoissant parfaitement réalisé basé sur la répétition, exercice de style qu’il a adoptait  déjà dans Si j’étais. Malade de cet empressement, du « vite-fait » et du « vite-dit », il critique la société de la surface de la terre. Mais Terminus n’épargne ni les terriens ni l’Hippocampe, en particulier dans Underground qui livre craintes et colères.

« Perdu dans mon imaginaire, je me dis qu’j’n’ai rien vécu                                                                 Quand j’balance un clip, j’attends le buzz et j’suis tout l’temps déçu » Underground

Dans Terminus, Hippo est encore plus introspectif qu’avant : à propos de son rapport à la musique, des choses qui l’enfoncent dans la tristesse, et, comme dit précédemment, de son écœurement vis à vis de la politique, des médias, etc. Ce sont des paroles qu’on trouvait peu dans Céleste. On retrouve par contre des thèmes comme la famille et les origines, souvent très poétiques, avec des textes à bases d’infusion de racines pour digérer le passé » : se livrer, c’est aussi un peu un moyen de se soigner. Ainsi, de même qu’avec Arbre généalogique qui clôturait le précédent album, Hippocampe fou termine par un morceau intime, Langue paternelle, d’une simplicité assez émouvante. Le temps qui passe, les souvenirs, les enfants qui grandissent : qu’il s’agisse de lui ou de ses voisins, Terminus rassemble des contes qui ne flottent plus parmi les étoiles, mais qui éprouvent le passé et le présent terrestres.

« Il refaisait le plein d’ébats de fous rires de débats de soupirs dont je fus témoin revivant ces moments que le temps déteint  rembobinant avec soin le film avant la fin » Mes voisins

3 commentaires

  1. Excellent album, je viens de découvrir… les textes sont très bien écrits, c’est tellement rare. On est dans la lignée de Ferret et de Boris Vian. Les textes sont tantôt drôles, tantôt durs et parfois les deux mais ils sont tous excellents… C’est les gens comme lui qui laisse des traces, vraiment merci Hippo de relever le niveau du rap français !
    Sergio

  2. Encore un super album de l’hippo, tout en prise de risques. Très éloigné des gros clichés du rap.

    Une bouffée d’air frais.

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