C’est le printemps, il pleut, il fait froid, on a pas le moral et on est pas épilés. On écoute de la musique classée dans le bac « sous-culture d’analphabète » en se disant que tout est foutu. La France, on l’imaginait sous hypnose depuis 2015, depuis le criant de vérité et le mélancolique Que la famille – on imaginait que le réveil du Tramadol à libération prolongée ne viendrait jamais, et on s’en foutait. Et puis en retroussant les paupières on a aperçu du mouvement. Ça bouge, ça fait du bruit, ça bloque les facs, les trains, les avions. Il y a même eu un peu d’excitation dans notre carcasse désaffectée face aux images du 1er mai : nous aussi on aurait aimé mettre un k-way, un casque et un masque de ski pour dézinguer la vitrine d’un McDo avec une batte.
Mais comme on croit plus en rien, ce jour là on était affalés sur un canapé en survêt devant un documentaire animalier. Et puis quand on a zappé comme un connard sur BFM pour connaître le nombre de morts, on a reconnu un souffle parmi les banderoles : les slogans ont changé. Bien sûr les éternels automatismes langagiers des militants persistent mais entre « Macron démission » et « travailleurs de tous pays, unissons-nous », on a reconnu Damso, Sofiane, Médine, Booba, et tous les autres : les comme nous, qui n’y croient plus et qu’on écoute pour se rassurer qu’on est pas seul à plus y croire.
Des lyrics qui se déplacent des enceintes jusqu’aux banderoles, on va pas se mentir, ça fait plaisir. Et comme le plaisir est de plus en plus mal remboursé par la sécu ces derniers temps, on va se faire un petit florilège gratos, comme en 2016.
Un reportage putaclic pas du tout en immersion pour réveiller le punk de canapé qui est en nous…
PNL est devenu un classique des manifs, cette année encore les références au duo sont de la partie :
Y’a du nouveau cette année : Niska inspire les foules et son « pouloulou » qu’on a du mal à se sortir de la tête s’est aussi incrusté sur les banderoles.
Dans les nouveaux invités des manifs, on a eu 13 Block et leur track Hors-la-loi :
Mais aussi Enfants Terribles. Ils ont eu le privilège de tourner en boucle sur BFM entre deux images chocs de poubelle brûlée et de vitrine cassée, avec un simplissime et efficace « à bas la hess » :
(On aurait bien vu une autre banderole pour ce track : Quand tout est noir on arrive en black)
Médine et son track phare de 2017 avec Youssoupha, Seth Gueko, Sofiane, Alivor, Ninho, Lino & Lartiste. Si « la banlieue influence Paname » , la formule se décline pour citer tous les vrais représentants du futur Grand Paris :
Damso, c’est sur les murs qu’on l’a lu.
« Je n’veux plus de toi, je n’veux plus de toi, […] Et si j’lui disais tout c’que je ressens sur l’instrumentale, avec de l’autotune ça passera p’t-être mieux«
Les manifs ont fait ressusciter la plus kickeuse des rappeuses, celle de la génération « non non » : Diam’s. Et il y a presque 10 ans elle sortait un track plutôt triste pour l’époque et pour sa discographie. Mais le boom-bap, le piano et le violon étaient encore là, il y avait encore ce kickage unique, garant d’un cœur qui bat à 70 bpm, disposé à se réveiller. C’était avant la codéine de Jorrdee. C’était avant Trump, avant l’affaire Platini, avant Snowden. Mandela et Framboisier étaient encore là, c’était avant l’extinction du dauphin de Chine et du rhinocéros noir, avant la mort de Mickeal Brown. C’était avant l’élimination de la Coupe d’Europe de l’OM en seizième de finale. C’était le bon vieux temps, celui où les moins de 20 ans avaient encore quelque chose de Tennessee. C’était l’époque où Diam’s rappait : « Elle a des airs de victoire ma jeunesse, mais elle a pas le choix des armes » :
Parenthèse enchanteresque fermée, retour à la réalité avec Kalash Criminel et Kaaris pour un détournement des paroles de morceau Arrêt du cœur : « Les armes sont payantes mais les rafales sont gratuites » :
On a vu des surprises cette année. Une référence à Fatal Bazooka et leur morceau Ce matin va être une pure soirée, un track hautement négligeable dans le paysage du rap français. Eux ne l’avaient pas oublié :
Pour démontrer la détermination de ceux qui n’ont rien à perde dans une ambiance bien dark Niro est l’homme qu’il faut avec son track Plus déter :
On a retrouvé SCH pour un discret « mathafack » détourné :
On a aperçu les paroles d’un track d’Hugo TSR de 2008 sur les murs (putain les mecs sont chaud). Tirés de l’album Flaque de samples, on pouvait les entendre dans Cendrier plein, stylo vide :
Tchikita de Jul, ou le morceau de lover qui inspire le plus de mutinerie. Bande originale des coups de coude de Booba en soirée, c’est sur des pancartes de manif qu’on l’a retrouvé. Quand on vous dit que Jul c’est street…
Un vieux morceau de Keny Arkana est souvent mis à contribution en manif. C’est le contexte idéal pour réécouter La rage du peuple. A savoir que « La rage du peuple » est aussi le nom d’un collectif altermondialiste marseillais. Allez l’OM !
Parce que c’est l’heure du dessert, on vous a gardé le Booba pour la fin avec par ordre d’apparition : LE signe de ralliement au Duc (la piraterie n’est jamais finie), LA punchline détournée (si j’traîne en bas d’chez toi j’fais chuter le prix de l’immobilier) et LA menace ultime version Notre-Dame-Des-Landes (y’aura jamais de trêve m’ont dit mes kheys du 93) :
Congratulations aux motivés de la banderole et de la barricade.
Si le style semble relever plutôt du stylo plume que de la bombe aérosol, l’article insuffle un vent de révolte qui ravive les braises d’une rue enragée, qui faire taire le silence de la violence quotidienne pour “faire émerger la parole des sans voix… car la vraie révolution viendra d’en bas” (Kery James) . Bravo, et.. “fous ta cagoule ou t’auras froid, t’rentreras dans le moule”.. see u in da street!