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[Chronique] Axl Rose / Rocé : Gunz N’ Rocé.

Rocé est un leader incontesté du rap underground. Cet artiste représente la finesse de la plume, la justesse et l’intelligence d’écriture accordées à une musique épurée. Chacun de ses albums est un classique, et il avait annoncé, voilà un an, la sortie du suivant Gunz n’ Rocé. Il est aujourd’hui vraisemblablement le meilleur punchliner puisque chacune de ses phrases percute, comme il le prouve dans son premier single « en apnée » (à déguster sans faim et fin): Les MCs appellent punchline ce que j’appelle écrire. Retenez votre respiration, nous allons faire une plongée dans l’univers d’un des seuls trentenaires à rapper comme un adulte.

Ce qui frappe dans cet album est l’homogénéité des titres, qui s’enchaînent en toute fluidité. Les productions sont de haute volée et ne donnent que plus de poids et de conviction à ses paroles. Rocé nous délivre, avec brio et clairvoyance comme toujours, sa vision globale du rap, de l’homme et de son comportement social. Le plus bel exemple de l’album est le morceau Habitus, dans lequel il critique le regard que l’on a sur les jeunes, principalement de banlieue. Après tout un cheminement de constatations et réflexions, il explique comment notre enfance influence ensuite la façon dont on est perçu dans la société. Pour au final conclure que ces habitus ne nous quittent jamais. Ce sujet est souvent rabâché dans le rap, mais cette chanson est concise, précise et ne verse pas dans la caricature.

Rocé aborde par contre un thème original lorsqu’il dénonce une société qui veut aller trop vite dans la formation des jeunes: ne pas redoubler, obtenir rapidement des diplômes, choisir sa voie à 15ans. Ces derniers sont déboussolés, suivent un mouvement dicté par leurs aînés, et ne prennent pas de recul sur leur situation. Lui-même avoue perdre ses repères lors d’interviews. Le titre est bien servi avec cette musique oppressante qui défile tel un train.

L’autre texte marquant est le morceau Actuel interprété en duo avec JP Manova, rappelant le tandem MC Solaar-Bambi Cruz. Ils se définissent comme étant actuel et non à la mode, ce qui leur permet de durer. Un peu comme un certain groupe Jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction. Rocé critique un rap qui ne s’ouvre pas sur le monde, et souhaite lui-même échapper à ce modèle. Cela rejoint l’idée générale de l’album L’Être Humain Et Le Téverbère ». JP Manova, en rajoute une couche avec un couplet convaincant.

L’homme a le choix entre être un pantin ou tenir sur un fil. Rocé consacre le premier couplet de cette chanson à dénoncer le fait de suivre le mouvement, d’être le fruit d’un modèle unique. Il choisit pour sa part d’être sa propre marionnette quitte à être sur le fil du rasoir. Il opte donc pour la prise de risque et l’indépendance, on n’en attendait pas moins de lui.

Rocé se livre personnellement sur sa facette de rêveur dans le titre Assis Sur La Lune. Il évoque les nombreuses difficultés qu’il a rencontrées et rencontre encore dans « du fil de fer en fil de soie ». Il en profite pour accuser la télévision d’être le porte-voix de la médiocrité. Tout comme il critique le sourire des villes, synonyme d’hypocrisie, de méchanceté. Il n’est plus le signe de la spontanéité, mais il est un moyen d’arriver à ses fins. Le sourire des femmes est notamment façonné par l’homme, qui les pousse à en abuser.

Sur le titre anglophone Magic, on verse dans la définition poétique du travail d’artiste au travers d’un vibrant hommage à DJ Mehdi le Lucky Boy, dur d’en parler en restant pudique, j’abdique / Je préfère laisser la musique jouer son rôle magique. Avec le bref couplet de Manu Key, le trio magique est réuni. La présence de son ex-mentor semble d’ailleurs décontracté la diction de Rocé.

Alors que les deux précédents albums traitaient d’une thématique globale, où Rocé critiquait l’homme et son attitude d’individualisme ou d’immobilité, ici il évoque divers sujets. Il reprend certaines idées phares quitte à ressasser, mais comme il le dit si bien, la variété parle bien tout le temps d’amour. On retrouve aussi le cri de singes, déjà présents sur sa précédente galette. Cet opus réaffirme son militantisme et répond à la non-reconnaissance de son travail et de son talent (on ne nourrit pas sa famille avec un succès d’estime). Il contient moins de samples jazzy que les 2 précédents albums, et a même des touches plus hip-hop avec les quelques scratches de rap américains.

Rocé est donc loin d’avoir passer le gunz à gauche, et tel le sniper, il a observé, visé et touché sa cible en plein coeur, les amateurs de rap et de textes.

 

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

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