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Top beatmakers 2018

Pour notre plus grand plaisir, rédiger un top « beatmakers » n’a jamais été aussi complexe que cette année. Nous l’avons souvent répété mais le terme « beatmaker » nous a toujours mis mal à l’aise tant il nous paraissait réducteur au vu du talent des artistes que nous citions. Plus que de simple « placement de beat », le travail permet la création d’univers sonore dans lesquels les rappeurs s’épanouissent. Au delà des qualités techniques et musicales, composer pour autrui demande une certaine compréhension de l’autre et une bonne production résulte toujours d’une alchimie complexe. Pour ce top annuel, c’est cette qualité que nous souhaitions mettre en avant.

Aujourd’hui, la reconnaissance artistique du « beatmaker » est réelle et beaucoup plus forte qu’il y a quelques années. Protagoniste à part entière du paysage musical, ils sont devenus des alter egos indissociables des rappeurs, associés à leurs réussites comme à leurs échecs. Que ce soit par la construction d’une vraie relation artistique (Katrina Squad / SCH ou Proof / Medine) ou par une quête de reconnaissance personnelle (Ikaz Boi ou Myth Syzer), leurs noms arrivent désormais beaucoup plus facilement sur le devant de la scène et parlent au publique. Il sera donc encore plus compliqué de ne pas faire de mécontent cette année.

 

Ikaz Boi : l’évidence

Comme une évidence, Ikaz Boi fut le premier nom à avoir été couché sur la liste de nos producteurs favoris. Si son nom ne souffre d’aucune contestation, c’est que l’ensemble des critères objectifs permettant de juger un beatmaker ont été atteints chez Ikaz Boi cette année. Commençons d’abord par évoquer la quantité. Que ce soit aux côtés d’autres artistes (Damso, 13 Block, Hamza) et avec la sortie d’un projet solo, Ikaz Boi a été omniprésent et très plébiscité en 2018. La principale raison de cette reconnaissance est évidemment à chercher dans la qualité de ses productions.

Pour en juger, on ne s’arrêtera que sur Brutal, son projet solo sorti cette année. A lui seul, il justifie amplement la présence de Zaki dans cette liste. Pour résumer, Brutal est à la production ce que le une-deux est au foot. Une action létale qui combine prise de risque, jeu collectif et sens de l’espace. Avec l’alternance volontaire de beats lourds portés par un casting de MC talentueux et ces plages instrumentales aériennes et soignées, Ikaz Boi démontre son sens de l’équilibre et sa maîtrise technique. On ne saurait d’ailleurs trop recommander à ceux qui retirent au beamaker la possibilité de transmettre la moindre émotion à l’aide d’une simple boucle d’écouter les solos d’Ikaz Boi sur Brutal. Ceux-là risquent de prendre une leçon.

 

Katrina Squad : le clair-obscur

Difficile de déterminer ce qu’est réellement Katrina Squad. Un groupe, un collectif, un label ? L’effectif étant assez fluctuant, le rôle de chacun de ces membres dans les projets crédités par le Squad sont flous. Reste une musique et un son identifiable en un coup d’oreille et ce quel que soit le beatmaker posté derrière les machines. Avec un son puissant qui ne s’embarrasse pas de fioritures inutiles, Katrina Squad a accompagné l’ascension vers les sommets d’un SCH désormais starisé. La recette est connue et plutôt simple mais elle fonctionne systématiquement. Comme l’explique Guilty, tête de pont de Katrina Squad : « On essaie d’amener une mélodie différente de ce qu’on peut entendre dans la majorité de ce qui sort dans le rap français ».

VNTM est l’application parfaite de cette ambition affichée. Après une introduction à la sonorité baroque (qui sera utilisé pour colorer l’ensemble), le morceau s’ouvre sur une mélodie entêtante et des drums percutant qui font de VNTM un hit instantané.  Autre exemple, Tokarev et ses quelques notes grattées qui prennent toute la place sur le beat. Finalement, peu importe que la formule expliquée ainsi paraissent simpliste. Elle fonctionne à merveille et on en redemande.

 

Myth Syzer : l’ambiance pop

Il en faut nécessairement un par top et à l’évidence ça ne pouvait être que lui… Myth Syzer est en effet devenu le beatmaker connu par les amateurs de non rap et celui que tout le monde se plait à citer. Avec Coco Love, titre crossover par excellence, l’audience de Myth Syzer s’est incontestablement élargie. Loin d’être infamant, ce mouvement montre toute la qualité de ce producteur inclassable qui s’affranchit des barrières les plus communes. Pour obtenir ce son si décomplexé, Myth Syzer a fourbi ses armes avec patience. Après quelques années – notamment au côté de son acolyte Ikaz Boi – à se chercher en passant d’un style à l’autre, il semble aujourd’hui avoir les moyens de ses ambitions. Que ce soit par le choix de ses samples et leurs utilisations, la disposition de drums percutants ou son choix de chanter sur ses productions, Syzer semble avoir la capacité d’aller et venir entre les styles et trouver la combinaison qui fait mouche.

Illustration en deux temps avec tout d’abord la sortie de Bisous en milieu d’année ; Syzer s’y éclate et crée un style à l’ambiance pop ouateuse teintée de drums rap. Cet album a pour ambition de remettre au goût du jour le « rap variet » si cher à Doc Gyneco. Dans un second temps, Bisous mortel  revient à un son plus « classique » et Syzer colorie ses instrus rap féroces de couleur pop. Deux faces de la même pièce qui font de Myth Syzer l’un des beatmakers les plus intéressants du game.

 

Rrobin : l’art du contre-pied

« Rrobin, c’est celui qui bosse le plus avec moi, dans un délire house bien spé« , dit de lui Grems. Les deux comparses ont en effet travaillé ensemble sur Sans titre 7. Quand on connait l’éclectisme de Grems, cette phrase vaut toutes les cartes de visite. D’ailleurs, on aurait pu s’arrêter au surprenant Sans titre 7 pour justifier la présence de Rrobin dans ce top. Cela aurait été une erreur tant le projet solo de Rrobin est la principale raison de la mention de ce producteur injustement méconnu. Déluge, album concept réalisé avec son acolyte Grems, marie les influences houses évidentes de Rrobin et sa maîtrise des beats hip hop qui tend à la maestria.

Maestria n’est pas employé à la légère ici tant la volonté de Rrobin de tenir son auditeur en éveil est patente. Il y parvient en multipliant les cassures et autres effets surprenants qui ne laissent aucun répit comme sur le morceau introductif Never dont l’album n’est finalement qu’une déclinaison. Tout au long de ce cocktail détonnant, où malgré la qualité des intervenants au micro, on ne retient finalement que la cohérence de ses arrangements électroniques à l’ingéniosité rafraîchissante parsemés sur des beats entraînant. A l’issue de ces 13 titres, Rrobin atteint son objectif de déstabilisation auditif et se délecte à prendre le contre pied de son auditeur.

 

Mattia : l’enchanteur

Difficile de prédire où finira Odezenne. Depuis leurs débuts, l’évolution du groupe bordelais est constante. Album après album, il semble s’éloigner des poncifs d’un rap obsédé par ses propres limitations. Si ce démarquage passe volontiers par l’écriture et le choix des thèmes abordés, il est surtout audible musicalement avec le travail de Mattia, l’unique compositeur derrière la musique d’Odezenne. Principal garant du « son » Odezenne, son travail sur Au Baccara semble avoir franchi un nouveau cap tant la variété des styles abordés dans cet opus est impressionnante. On y trouve des références rap avec des rythmiques trappistes très actuelles comme sur En L ou Bonnie ou une pop décomplexée comme sur James Blunt.

On pourrait penser que l’abondance de styles abordés empêche toute idée de cohérence de l’ensemble. Il n’en est rien. Mattia digère ses influences et développe un son qui lui est propre et crée une oeuvre homogène. Avec lui, tout commence probablement avec ses nappes enjoués et la maîtrise de ses synthés vintage qui irriguent Au Baccara et qui sont un réel délice. En guise d’exemple, James Blunt, morceau à la beauté froide marqué par ce jeu de synthé grave en guise d’introduction et terminé par un crescendo subtil sublimé par ce chant choral prophétique.

Il semble compliqué de dire de Mattia qu’il est un beatmaker/producteur. Il semble également compliqué de dire qu’Odezenne est un groupe de rap. D’ailleurs, les intéressés eux-même s’en défendent. Néanmoins, et peut être à leur corps défendant, Odezenne nous a une nouvelle fois offert avec Au Baccara un album contenant une ébauche d’un rap différent. Et indirectement, contribue à repousser les limites du genre.

 

Varnish La Piscine = Pink Flamingo : l’exubérant

Derrière cette double identité se cache probablement le beatmaker le plus déroutant de ce top 2018. Membre éminent de la SuperWak Clique, sorte de confédération de talent à la sauce suisse, Pink Flamingo (on choisit arbitrairement ce nom) est l’un des meilleurs fournisseurs de beats du trio Makala/Di-Meh/Slimka qui déferlent actuellement sur le rap francophone. On avait déjà eu un aperçu de la pertinence de cette combinaison avec Ginger Juice, banger funk imparable avec son explosion de batterie et un synthé qu’on croirait volé à Georges Clinton.

Le morceau datant de fin 2017, il ne peut pas être pris en compte. Aucun problème pour notre ami Varnish qui démontre le même niveau d’excellence tout au long de 2018. Pour preuve, jetez une oreille sur Crazy Horses présent sur No Bad vol 2 de Slimka et observez comment Pink Flamingo s’appuie sur un thème absurde pour aboutir à un beat plus que solide. Deuxième étape, écoutez Dynastie toujours sur le même opus et délectez-vous de ses synthés vintages à souhait et ses claps p-funk. Depeche Mode quand à lui achève de démontrer que le producteur suisse maîtrise aussi l’art du banger. Trois beats, trois styles, deux noms pour un talent unique qui devrait tout autant faire parler de lui en 2019 avec un album concept sortant mi-janvier et qui annonce déjà une pluie de productions de haute qualité.

 

Yung Cœur / Kairos : double face

On vous en parlait déjà longuement ici sans nous douter qu’il trouverait une place dans ce top. Membre du Dojo, proche de la 75ème Session, Yung Cœur a multiplié les productions sous diverses identités cette année. En effet, certain voit en lui l’alter ego de Kairos, un autre beatmaker estampillé Le Dojo. C’est pourtant bien sous le nom de Yung Cœur qu’il intègre ce classement avec le remarquable travail effectué sur le projet de Sheldon dont nous vous parlions il y a déjà quelques mois.

RPG, l’EP entièrement produit par ses soins, est un condensé de l’univers pop culture de Sheldon qui parsème de name dropping un univers glitch à souhait. Tout y est électronique au sens premier du terme. Des beats aux mélodies empruntés à des jeux vidéos en passant par les arrangements robotiques, le Jeune Cœur réussit l’exercice difficile consistant à créer un univers sonore propre à un artiste pourtant des plus clivants. Pour autant, Yung Cœur est également capable de s’illustrer dans un registre plus sobre. On l’aurait notamment aperçu au côté d’Hash24 (sous le nom de Kairos) sur le morceau introductif de sa Wait Tape vol sur Eve, exit les excentricités glitch pour une boucle de piano tout en efficacité qui permet à Hash24 de dérouler mécaniquement son flow. Une polyvalence appréciable qui donnent envie de suivre la carrière de ce(s) beatmaker(s) avec attention.

 

Proof : la force tranquille

Cela fait plusieurs années que Proof échoue au porte de notre top 10. Preuve s’il en est de sa régularité. Moins extravagant qu’un Yung Cœur ou un Varnish La Piscine, Proof est tout de même l’architecte sonore de Din Records, un label qui compte dans le rap français indépendant. Par sa régularité et surtout pour sa conception du rôle de beatmaking, on se devait de l’intégrer à un moment ou à un autre dans l’un de nos tops. C’est désormais chose faite et peut être au moment le plus judicieux qui soit.

Incarnant mieux que nul autre la capacité à s’adapter à ces artistes, Proof a su accompagner la mutation artistique de Médine ou les vagabondages sonores récents de Brav‘. On a d’ailleurs pu s’interroger sur le tournant musical décidé par Médine il y a quelque temps maintenant. Si certains ont pu crier à l’opportunisme, il convient d’admettre avec le recul que ce tournant a constitué un second souffle pour Médine. Proof a sans doute été un acteur décisif de ce changement, lui qui voit dans la trap l’occasion de retrouver la brutalité originelle du son de Queensbridge qui l’a toujours inspiré et surtout l’occasion d’explorer de nouvelles façon de créer. De fait, le tournant de Proof n’est pas un bouleversement total. Le principal changement réside dans ses rythmiques modernes qui offre aux artistes de nouvelles façons de rapper et une musicalité décuplée. Cependant la couleur des sons et l’aspect maîtrisé qui sont caractéristiques de Proof sont toujours présents. Bataclan en est le meilleur exemple.

Plus qu’une révolution dans le son, il s’agit bien là d’une évolution. Pour décrire cette dernière, Proof expliquait récemment en interview avec une certaine justesse : « On n’a pas dit qu’on prenait un virage, en fait tout était déjà là ».

 

Flem : la surprise du chef

A vrai dire, on a longtemps hésité. « Pas assez de matière pour espérer sérieusement intégrer un top 10 ». Cet argument a en effet un certain poids… Beaucoup moins cependant que les (quelques) productions que Flem a placé sur Projet Blue Beam permettant à cet album d’intégrer le podium de nos projets préférés de l’année 2018. Déjà, en 2017, on trouvait que la production de Jolly Roger dégageait de belles promesses. Promesses qu’on a eu du mal à suivre par la suite. Quasiment deux ans plus tard, les morceaux  Jeremy Lin ou LRH agissent comme un rappel brutal mais salvateur. LRH avec sa boucle de piano au séquençage parfait instille une ambiance glaçante contrebalancé par la lourdeur de la rythmique. On est pas loin du beat parfait, celui qui fracasse la nuque à chaque écoute et qu’on repasse en boucle des jours durant sans se lasser le moins du monde. Certains diront que c’est peu mais c’est tellement à la fois.

 

Baloji : le sous-côté

137 avenue Kaniama est sûrement un des postulants au titre de l’album de rap de l’année le plus sous-côté qui soit. Hélas comme à peu près à chacune de ses sorties (et de manière assez incompréhensible), Baloji est boudé par le public rap classique qui le trouve probablement trop intello’ mais aussi par le grand public car pas assez consensuel. Passé ces sombres histoires de positionnement marketing, reste une musique d’une qualité bien supérieure à la moyenne. Si la principale qualité de cet album réside dans la finesse d’écriture et dans l’intelligence du propos de l’interprète, la musique est loin d’être en reste tant la richesse musicale de 137 avenue Kaniama est grande.

En pleine vague Afro rap/trap/pop qui semble devenir la ficelle sur laquelle on commence à trop tirer, entendre un artiste utiliser la richesse de la musique africaine et l’utiliser à bon escient est une réelle bouffée d’air frais. Sur cet album, Baloji fait se rencontrer la rumba, l’afrobeat ou le bikutsi avec la trap, le jazz ou même le disco. Il s’amuse à sampler/rejouer des groupes voués à tomber dans l’oubli (comme le groupe somalien Dur Dur Band). On pourrait multiplier les exemples tant chaque morceau est l’occasion d’un mélange unique et savoureux qui célèbre la diversité musicale africaine dans son ensemble.

Jusque dans ces arrangements soignés, cet album mérite le détour et il peut s’écouter plusieurs fois sans gêne tant les niveaux de lecture sont nombreux. Si cet album n’aura pas rencontré pleinement son public, il aura eu le mérite de confirmer que Baloji est un artiste total qui a pleinement sa place dans ce top.

 

À proposZayyad

Singe Jaune. Le plus Hip Hop des frères Bogdanoff

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