Chroniques Décryptage

PNL, la construction d’un mythe

Dans la nébuleuse rap français, Ademo et N.O.S sont les deux astres autour desquels tout gravite. Ces deux pôles ont électrisé l’attention au cours de leur retour tant attendu avec l’album Deux Frères, au centre de toutes les discussions. Au-delà des qualités intrinsèques du groupe, une irrésistible fascination s’est dégagée du duo, mais quelles en sont les origines ? Retour sur la création d’un mythe :

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« Il était une fois… deux frères/deux fauves/deux trous dans l’cerveau ».

Dans le titre éponyme du dernier album, Ademo introduit par cette formule caractéristique des contes pour enfants, une notion de merveilleux, qui se rattache directement à l’enfance. Ce n’est donc pas un hasard si le titre est placé au cœur de l’album. Ce même cœur, devenu l’icône du groupe, ne prendrait-il alors non pas le pouls de N.O.S et Ademo, mais plutôt celui des jeunes Nabil et Tarik ?
Cette thèse s’est confirmée le 03 mai dernier lors de la publication du clip, véritable aboutissement de leur univers.

Si le mastodonte Au DD balayait tout son sur passage à l’instar d’un blockbuster, Deux frères s’assimile plus à un film d’auteur où symbolique, flash-backs et moments présents s’entrecroisent dans un montage des plus touchants. Par un jeu de miroirs, le duo confronte le mythe et le matérialise par un regard jamais montré, une parole jamais entendue, celui d’un père sur ses deux enfants, que rien ne pourra séparer, et qui dans un dernier plan déchirant, porte et accompagne littéralement Tarik et Nabil vers leur destin.
À travers cette reconstruction du mythe, cette plongée dans ses origines, PNL reconnaît son pouvoir de fascination qui va bien au-delà d’un aspect marketing et/ou communicationnel comme le soulignent ses détracteurs.

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Gravir le Mont Olympe

Invisible pour les mortels, le sommet du mont Olympe n’était accessible aux dieux qu’après avoir vaincu les titans. De là-haut, ils pouvaient à leur guise contempler le monde et assister aux destins brisés des simples mortels. Pour notre duo, le Mont Olympe n’est autre que l’emblème de la capitale, la tour Eiffel. Depuis 2015, avec le clip de J’comprends pas jusqu’à Deux frères, en passant par Da, l’édifice parisien est le symbole de leur ascension vertigineuse. Seulement, si cette élévation rappelle le plafond de verre des débuts (« Igo, on est voué à l’enfer, l’ascenseur est en panne au paradis / C’est bloqué ? Ah bon ? Bah j’vais bicrave dans l’escalier »), elle est aussi le témoignage d’un changement profond de leurs préoccupations, qui en deviennent presque métaphysiques.

Au sein de l’imagerie PNL, des résurgences renforcent le sentiment de naviguer toujours entre différentes temporalités, les cafards dans le mouchoir, le iencli Hervé, la go du Venezuela, etc. Tous ces souvenirs d’une ancienne vie, font leur réapparition, comme ces démons dont N.O.S n’arrivent pas à se débarrasser. C’est là toute la force et la tragédie de leur écriture, plus le succès est grandissant, plus la découverte de leurs âmes est profonde. Déjà sur le morceau Athéna présent sur QLF, l’on pouvait percevoir une transition symbolisée par la dualité de la déesse grecque. D’un côté, le besoin de charbonner, pour aller vers un ailleurs, renvoyant aux représentations d’Athéna casque et lance en main. De l’autre, la sagesse et une certaine forme de lucidité, comme en témoigne Ademo « Chacal, j’fais que penser au temps, aux rides que j’vois sur le daron / J’sais que j’serai jamais content : la hass qui marche dans le salon ».

Le langage même participe au mythe, qui ne paraît intelligible que pour les initiés. Ce mélange des genres mêle langue française, arabe, espagnole, onomatopées, néologismes et renforce le sentiment d’appartenance pour ceux ayant saisi la richesse de cette variété. Qui n’a pas hurlé jusqu’à la déraison Gala, Gala en 2015 ? Quand les autres rappeurs restent terre-à-terre, la fratrie de Corbeil-Essonnes a toujours su quitter l’atmosphère terrestre pour s’isoler, que ce soit sur Namek ou Uranus.
Pourtant, ce n’est pas seulement un élément de langage récurrent qui collerait simplement à l’ambiance « cloud rap » dans le seul but de s’évader loin des hommes. Ici, s’évader se fait par la seule force de l’imaginaire QLF, avec l’ambition de créer un autre monde.

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Le nouveau monde

Désormais auréolés de leur statut divin, les deux frères ont pu user de leurs nouveaux pouvoirs : N.O.S qui incante l’orage et le bruit des vagues dans Jusqu’au dernier gramme ou Ademo qui se déconnecte du réel, « J’survole ce monde, terriens me pointent du doigt ». Tel Icare poussé par les ailes fabriquées par son père pour fuir ses démons et une mort certaine, les deux frères doivent créer un nouveau monde pour survivre, celui de l’intime.

Dédale, père d’Icare, mettait en garde son fils de ne s’approcher ni du soleil, ni de la mer, sous peine d’y trépasser. René Andrieu lui, somme à sa progéniture de ne jamais se séparer : « Papa nous a cogné tête contre tête, nous a dit : J’veux un amour en fer / J’veux personne entre vous, même pas moi, même pas les anges de l’Enfer ». Portés d’ambitions herculéennes assouvies, leurs âmes n’ont pas arrêté de souffrir pour autant, au contraire. Plus ils s’approchent des cieux, plus leur désir de retourner en enfer s’intensifie, concluant le dernier album sur une élégie à la misère. Ce paradoxe est illustré par les innombrables timbres de voix usés et étirés par NKF, trouvant son apogée sur le titre Déconnectés dans une ambiance guerrière, de fin du monde. On y retrouve N.O.S et Ademo comme revêtus de corps bioniques, l’esprit coincé entre deux mondes.

Pourtant, le destin de PNL a quelque chose d’irrévocable, comme cette phase qui paraît insignifiante sur Laisse en 2015 : « Nos clips méritent le festival de Cannes », qui résonnera avec l’aide du collectif Kourtjamé. En 2017, Mowgli est envoyé chercher médailles dans un clip où apparaît un extrait de l’émission Clique de Mouloud Achour, un des collaborateurs du collectif. Mai 2018, c’est au tour de Romain Gavras de réquisitionner le titre Le monde ou rien pour la BO de Le monde est à toi, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
Un mois plus tard, Kim Chapiron, autre figure de proue de l’équipe, réalise le clip de À l’ammoniaque, tout droit sorti d’un western de Sergio Leone (qui rappelle d’autres mythes…). Enfin, ce mois-ci, Ladj Ly, autre réalisateur de Kourtrajmé, boucle la boucle en présentant son film Les Misérables à la sélection officielle de Cannes en faisant grimper sur le tapis rouge, certains des acteurs des clips de PNL

Ainsi, par des interconnexions comme celle-ci, PNL transforme le réel par l’intime, d’un père à deux fils, de frère à frère, de frères à d’autres frères. Jusqu’à cette photo affichée sur Twitter par un fan du groupe ayant perdu un frère, qui a acheté les deux versions différentes de l’album en sa mémoire. En somme, PNL nous murmure : ne regrettez pas, souvenez-vous.

Quentin Riou

À proposQuentin Riou

Cherche de la poésie dans les choses de mauvais goût sous autotune.

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