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[Focus sur] Quand Le Merlu remonte à la Surface

Si vous habitez à Bordeaux, vous êtes sans doute tombé dessus au moins une fois dans votre vie : que ce soit sur les gouttières, sur les Abribus ou dans les toilettes de votre bar préféré, à un moment donné, vous avez forcément dû poser les yeux sur l’un des stickers Label Étoile. Le responsable de ce matraquage sauvage ? Le Merlu, l’un des membres les plus actifs du collectif Label Étoile. “La dernière fois, avec un pote, on a compté : j’ai fait fabriquer plus de 12000 stickers” lâche le rappeur. Preuve que la persévérance paye : sans cela, on n’aurait peut-être jamais tapé leur nom sur YouTube, et on ne se serait peut-être jamais intéressé à la musique du Merlu. Et vu les six titres de qualité qu’il nous a lâchés sur son EP Surface sorti en ce début d’année 2020, on aurait eu bien tort de ne pas le faire. Portrait.

L’histoire rapologique du Merlu débute au début des années 2010. Comme une bonne partie de ses potes à l’époque, Le Merlu, qui s’appelle encore Tomy le Merluchon, est matrixé par la Fonky Family. Un point en commun qu’il partage avec Fethi, rappeur qu’il rencontre en soirée. Les deux hommes sympathisent, et Fethi décide de venir s’installer une semaine chez Tomy, histoire de lui apprendre les bases du rap. Il a ramené une carte-son, son ordi, et il m’a appris à rapper dans les temps, à utiliser les logiciels… C’est vraiment un putain de bon mec. Dès lors, une émulation se crée, et plusieurs rappeurs de Bordeaux, mais aussi de Marseille ou encore de Toulouse, se greffent autour du duo, et commencent à enregistrer des sons ensemble. Au départ, juste comme ça, pour rigoler. Puis, à force d’envoyer les morceaux aux autres membres par mail, ils décident de tout mettre sur YouTube pour que ce soit plus simple. Le nom Label Étoile est trouvé, et le collectif est alors créé. 

Puis, en à peine quelques morceaux, et bien aidés par les stickers (puis plus tard les t-shirt) estampillés Label Étoile, le collectif commence à se faire un petit nom dans le milieu rap underground. Et notamment grâce à Fethi, Tomy le Merluchon et ses potes se retrouvent à faire les premières parties de Demi-Portion, Flynt, Grems, ou encore Don Choa. Mais lorsqu’on est plus d’une dizaine et que l’on est dispatché entre trois villes, voire même à la Réunion pour l’un d’entre eux (le meilleur rappeur du collectif d’après Tomy), difficile de faire perdurer une histoire. Alors, petit à petit, le collectif s’étiole, et chacun retourne à ses occupations. Aujourd’hui, Label Étoile en est au point mort. Il y a un album de seize titres qui dort dans l’ordi de Fethi. Des fois, j’ai envie de l’appeler pour qu’il le sorte, et qu’on n’en parle plus. Surtout que certains sons commencent à dater d’il y a trois ans, que l’on a payé des séances studio, que des clips ont été tournés… Il est lourd, ça serait dommage qu’il ne sorte jamais

Pendant ce temps, Tomy, lui, sort trois EP solo : Margoulin en 2016, Midnight Express en 2018, et Modération l’année dernière. Et de ces trois premières échappées en solo, Midnight Express reste celle qu’il a préférée. “Un jour, je rencontre Senor el Kalif en soirée. Il me dit qu’il a créé un studio d’enregistrement dans un container qu’il loue à la campagne, pas loin de Bayonne. Il se trouve que c’est à deux pas de chez mes grands-parents. Je me dis que c’est parfait pour enregistrer un nouvel EP. On a passé de sacrées soirées là-bas, à base d’apéro qui se commencent à 20h et qui terminent à 8h le lendemain… J’en garde un beau souvenir”. Un processus créatif à deux têtes qui lui plaît, et qu’il a décidé de réitérer pour son nouvel EP Surface

Enfin, pas tout à fait. Pour être exact, ils sont en réalité quatre à être à l’origine de Surface : Le Merlu, le beatmaker PCK, mais aussi Le Rôdeur, un ami d’enfance et membre de Label Étoile, et Harden, illustrateur et réalisateur de clips, sans qui Le Merlu ne ferait peut-être pas le même rap aujourd’hui, ou carrément plus de rap tout court. Après une énième envie d’arrêter le rap, je rencontre Harden en soirée. Il se trouve qu’il habite chez PCK, un beatmaker chez qui j’avais déjà enregistré quelques morceaux il y a longtemps, sans qu’on ait créé d’affinité particulière. Je sympathise avec Harden, je vais chez lui, et j’entends la dernière instru de PCK. Je bug dessus. Je commence à gratter un texte, Le Rôdeur se greffe sur le morceau pour chanter le refrain, et c’est comme ça qu’est né le titre Girasol. Face à la réussite de ce titre, le rappeur bordelais décide alors de se lancer dans l’élaboration d’un nouvel EP, en duo avec PCK. Ainsi, pendant neuf mois, tous les mercredis, les quatre hommes se retrouvent en studio pour faire du son. “J’ai toujours rêvé de faire ça comme ça, avec une petite équipe. Je trouve que les meilleurs albums sont créés comme ça : les lyrics, c’est un ou deux gars, les instrus un autre, et les visuels, une personne aussi, rien de plus. Ça donne une cohérence. Une cohérence qui s’est construite petit à petit. “Il y a eu beaucoup de recherche. Des fois, on faisait les cons, on disait n’importe quoi sur les instrus, mais parfois, on trouvait une bonne vibe qu’on gardait pour un refrain ou un flow. Il n’y a pas eu de méthode particulière, tout s’est fait au feeling. On a tout créé sur place. Parfois, c’était même évolutif, le même morceau pouvait être modifié trois fois dans la soirée. Il y a eu pas mal de déchets, des morceaux qu’on a jetés. Neuf mois pour six titres, on peut se dire que ça fait léger. Mais en vrai, on a vraiment gardé la crème de la crème.

Au final, une vraie alchimie s’est donc créé entre eux quatre. Sauf qu’au départ, ce n’était pas gagné d’avance : adepte du rap boom-bap à l’ancienne, la rencontre avec PCK a changé beaucoup de choses pour Le Merlu. Au début, on n’avait pas la même façon de voir les choses. Mais petit à petit, il m’a ouvert à d’autres sonorités, à d’autres façons de rapper… Il m’a fait évoluer. Une évolution qui engendra un changement de nom (exit Tomy), et qui au départ, n’a pas forcément été super bien acceptée par ses potes restés accrochés au rap de la FF et d’Hugo TSR. Les morceaux changent parfois quatre fois d’instru, les flows aussi, il y a de l’autotune… C’est méga actuel. Mais je peux comprendre que ça ait pu les déstabiliser. Même s’il se permettait déjà plus de folies que nous à l’époque de Label Étoile, ça nous aurait fait pareil à la première écoute du projet déclare Le Rôdeur. Un projet sur lequel on entend le quotidien d’une vie d’un jeune approchant la trentaine, cherchant à se sortir la tête hors de l’eau. D’où le nom Surface. Le studio est sous terre. On passait parfois huit heures d’affilée ici. Ça donne envie de revenir à la surface… (rires) C’est aussi le moment où j’ai monté mon entreprise, avec les hauts et les bas que ça engendre. Quelque part, ça parle aussi de ça

Lorsqu’on parle avec un rappeur bordelais, la question du manque d’exposition du rap bordelais arrive fatalement à un moment dans la discussion. Et sur ce sujet, Le Merlu a un avis tranché sur la question. Je pense que c’est une question de culture. Bordeaux, c’est une ville rock à la base. Ensuite, il y a l’electro. Et le rap arrive seulement en troisième position. Du coup, dans les concerts, y a personne. Alors qu’à Toulouse, à Montpellier ou à Marseille, à chaque fois qu’il y a un concert de rap, y a du monde. C’est d’ailleurs pour ça que Label Étoile ça a un peu marché, c’est pas grâce à Bordeaux. Même les rappeurs qui font des tournées en France ils le savent. Si tu regardes bien, il y en a plein qui esquivent Bordeaux. Et à entendre Le Merlu, ce n’est pas des rappeurs bordelais que viendra le salut. “À Bordeaux, tout le monde s’écoute, mais personne ne se donne la force. Les gens agissent comme s’ils avaient déjà percé, et ont peur de s’afficher avec untel ou untel… T’as fait 2000 vues, calme-toi ! Après, c’est peut-être dû au fait que personne n’ait encore percé justement. Tout le monde cherche à être le premier. Mais peut-être que le jour où quelqu’un aura percé, ça débloquera la situation.” Avec Le Merlu en guise d’heureux élu ? 

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