Chroniques Dossiers

On compte sur eux pour la rentrée (3/3) : 6rano, le chanteur dont le rap français avait besoin.

Pour la rentrée, on vous a préparé une petite série de portraits de nos poulains dans le rap français : trois rappeurs et beatmakers dont on a suivi la progression fulgurante la saison passée et sur lesquels on mise pour les mois à venir. Le dernier d’entre eux, c’est 6rano. Comme pour s’échauffer, il nous a gratifié d’une série d’EP l’année dernière, qui annoncent le meilleur pour un premier album solo, dont on espère qu’il paraîtra cette année. Retour sur le parcours et les perspectives de l’un des talents à  suivre du  rap  français.

Qui est 6rano ?

Vous aurez sans doute noté que dans le titre de l’article, je parle d’un « chanteur » et pas d’un rappeur. Ce choix, je ne le fais pas seulement pour éviter de répéter trois fois le terme « rap » dans le titre. Alors que dans le rap, la maîtrise des mélodies est devenue un atout indispensable, rares sont les rappeurs à avoir pour autant un vrai goût pour le chant et ses techniques. 6rano, formé à l’école du gospel, aime pousser la  mélodie, souvent avec une utilisation des logiciels de transformation vocale minime voire inexistante.

Originaire du quartier de Croix-Rouge à Reims, le rappeur a été découvert par beaucoup – notamment par moi  – grâce à ses collaborations avec DJ Weedim. Son morceau Nourrice accrochait l’oreille, et l’on sentait se profiler ce qui ferait ses qualités pour la suite. En réalité, le rappeur rappe depuis dix ans, et avait déjà sorti une mixtape, Mitch, parue en 2017 avec une relative discrétion. Il sortira ensuite avec Weedim et Chapo le projet Mise à feu avec des titres franchement réussis. Mais j’avance un peu dans le temps, pour me concentrer sur ce qui m’a permis de rentrer dans son univers : la série d’EPs en 2019 et 2020 que j’évoquais plus haut.

Qu’est-ce qu’on aime chez lui ?

Le premier d’entre eux, Shwifty est sans  doute le plus hétéroclite. Il commence dans une atmosphère résolument drill et trap. Mais là où ça devient original, c’est que le rappeur ne se contente pas  de poser comme les modèles américains du genre sur ces instrumentales. Sur le morceau Répondeur par exemple, 6rano s’amuse à varier ses flows et ses mélodies,  avec décontraction sur une production drill implacable, allant jusqu’à placer un air de Stromae. En fait, 6rano est un mec de Croix-Rouge, qui peut poser comme un mec solaire de la west coast sur des productions froides du Midwest et du Sud des Etats-Unis. Cette influence west coast majeure, quelque part entre Max B et Snoop Dogg, donne au rappeur un côté taquin, nonchalant, qui n’hésite pas à  jouer sur ses intonations au cours des  morceaux avec malice – au point que l’on n’est pas surpris de le  voir  faire un petit morceau ragga-zouk rétro au milieu de l’EP.

Ce grand mélange gospel/west coast/trap/ragga-zouk pourrait sembler assez indigeste, mais  6rano arrive à harmoniser tout ça avec une maturité notable (on sent l’expérience du rappeur) sur un morceau comme Vive le twerk. Le rappeur crée un univers identifiable, avec des mélodies et un ton plaisantin que l’on reconnaît facilement et qui accrochent l’oreille. Sans doute que c’est sur Negro EP et son successeur Negros EP, en collaboration avec son acolyte reimois Laazy, que l’univers de  6rano se développe le mieux, sur des productions pour le coup franchement west coast pour la plupart, aussi tranquilles que mélodieuses. On pense souvent à Doc Gynéco – que le rappeur cite d’ailleurs. Outre la nonchalance du flow, on retrouve  aussi une thématique commune importante entre les deux rappeurs, à savoir la drague.

C’est d’ailleurs dans le domaine des thèmes de ses morceaux que 6rano pourrait sans doute encore un peu travailler, car même si l’écriture du jeune rappeur a de vraies qualités (son humour fait souvent mouche), on tourne parfois un peu en rond, et le  côté « tombeur macho », même s’il n’est pas toujours présent, peut être lassant. Cela n’a rien de surprenant qu’un héritier du gangsta rap de la west coast parle essentiellement d’argent et de filles. Mais dès que 6rano sort des tartes à la crème du genre, comme par moment sur le morceau Argent facile  teinté de mélancolie, on écoute immédiatement davantage ce qu’il dit.

Qu’attend-on de lui cette année ?

Alors 6rano va-t-il  devenir le nouveau mec west-coast du rap français, comme a pu l’être à une échelle mainstream Doc Gynéco  a une époque, et dans une plus grande fidélité à  la côte Ouest, Aelpécha ? Sans doute pas, car le rappeur a une  grande  versatilité, qui a fait la saveur de sa série d’EP cette  année. Sans perdre sa marque chantée, il nous a ainsi livré en collaboration avec Shut! le French Drill EP. Sur  ce projet, le rappeur joue toujours de son ton haut perché et insolent, mais cette fois pour prendre une dimension plus inquiétante. Dans la vague de projets drill cette  année, celui de  6rano est l’un des seuls à préserver une dimension personnelle, et à ne pas juste imiter plus ou moins bien les modèles de Chicago, New-York, et Londres. Plus globalement, avec Captain Roshi, dans un tout autre genre, il  fait partie des rookies du rap français, à avoir amené quelque chose de nouveau cette année, tout en s’inscrivant dans les grandes tendances musicales de l’année (la vague drill notamment). Son empreinte vocale, sa manière de poser, son énergie, son goût pour les blagues, font que 6rano peut s’intégrer à des courants musicaux divers sans perdre sa marque de fabrique.

L’année de 6rano a permis de découvrir un rappeur capable du grand écart musical, tout en développant un style reconnaissable, rafraîchissant. L’enjeu pour lui en 2021 sera d’ailleurs sans doute de sortir des exercices de style et de la versatilité dont il nous a gratifié cette année, pour rassembler ce qu’il sait faire de mieux dans un projet. Il nous a montré qu’il pouvait faire du west coast et de la drill avec une aisance rare, le tout influencé par Raggasonic. Mais on a  envie maintenant  de l’entendre parler un peu de lui, sans posture, quitte à  – comme  tous les bons élèves doivent le faire à un moment – renoncer à rendre une copie parfaite.

Guillaume Echelard

À proposGuillaume Echelard

Je passe l'essentiel de mon temps à parler de rap, parfois à la fac, parfois ici. Dans tous les cas, ça parle souvent de politique et de rapports sociaux, c'est souvent trop long, mais c'est déjà moins pire que si j'essayais de rapper.

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