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Portrait : Faya Braz, « il fallait être fou pour faire du beatbox. »

Près de trois heures. C’est le temps passé avec Faya Braz, champion du monde de beatbox par équipe avec son groupe Under Kontrol. Pendant ce café à rallonge, il a eu le temps d’aborder l’histoire de la discipline et de sa place dans le hip hop, son influence, son rôle, et plus généralement sa passion d’utiliser la bouche comme instrument de musique. Il est de ses rencontres qui cultivent et ouvrent l’esprit. Connaît-on vraiment le beatbox ? Portrait d’un art à travers le prisme de Faya Braz.

« À l’époque où j’ai commencé, il fallait être fou pour faire du beatbox. »

Faya Braz est une des figures de proue du beatbox. Sacré Champion du monde par équipe en 2009 avec son groupe Under Kontrol, il s’est inscrit depuis longtemps dans l’histoire de la pratique en France. L’homme est une véritable encyclopédie aussi bien de sa spécialité que de la musique en général. Passionné par tout ce qui touche à la rythmique, il fait du bruit avec sa bouche depuis son plus jeune âge. Ses premiers tests arrivent très tôt, dès l’âge de huit ans, quand il essaie de refaire Billie Jean.

Biberonné à Mickael Jackson depuis sa plus tendre enfance, ce n’est que vers l’âge de 13-14 ans qu’il tombe dedans, sans vraiment savoir ce qu’il fait. Deux ans plus tard, le lycée, les amis, l’émulation autour de la culture hip hop qui émerge et certains événement majeurs le marquent et lui donne l’envie de persévérer. « J’ai eu la chance d’avoir 15-16 ans dans la période que beaucoup considèrent comme la meilleure du hip hop. Aujourd’hui les gens écoutent ces classiques, nous, ils étaient notre actualité. La qualité musicale était incroyable, très entreprenante. Il y a avait plein de concepts, beaucoup d’équipes de rap, pas tellement de beatbox, mais quelques trucs trainaient ». Parmi ses souvenirs, on compte une cassette home made d’un album du Minister A.M.E.R. qui tournait dans son lycée où l’instigateur avait glissé une phase de beatbox à la fin et le jeu vidéo Killer Instinct vendu avec le CD d’instru qui offrait un morceau de beatbox.

En même temps, le jeune homme avait commencé le rap. Pourtant, c’est une vidéo de Rahzel qui le convint finalement de s’y mettre réellement. L’ancien membre des Roots tournait alors avec IAM et a offert une performance hors du commun lors d’un show privé de Canal +. Tous les pratiquants d’alors et des générations futures vont être influencé par cette prestation. Une page de l’histoire est écrite et marque Faya Braz. Aujourd’hui, à 32 ans, il peut se targuer de 16 ans de pratique, et cela se voit. Très jeune, il rencontre de nombreux beatboxers et prend de l’avance sur les autres grâce à son entourage. Son empreinte et son style sont marqués par les grands noms, bien qu’il fasse aujourd’hui partie intégrante de ce monde.

Crédit photo : Isabelle Blanc

Acteur de la démocratisation et de la prise au sérieux de sa pratique en France, celui qui est considéré comme un de ses tontons a œuvré sur beaucoup de techniques. On lui doit notamment le at the same time. Dans la funk, beaucoup de morceaux se jouaient à deux batteurs pour augmenter la puissance à l’heure où les compresseurs n’étaient pas monnaie courante. Cette spécialité des batteurs de James Brown a été reprise par Micspawn et Faya Braz avec la bouche : « Maintenant, c’est devenu un exercice de style à part entière. »

Mais, ce n’est pas tout, il a anobli le beatbox. À ses débuts, personne ne croit que les beatboxers peuvent tenir une scène. Faux. Et son groupe Under Kontrol leur montre leur erreur à chaque fois. Des programmateurs refusent de leur accorder un show entier ? Qu’à cela ne tienne, l’équipe démontre qu’ils peuvent mettre le feu en assurant les interludes. Si bien qu’on leur demande ensuite des morceaux supplémentaires. « Il y a des gens qui disent que le beatbox, au bout d’une heure, ça peut souler. » Une jolie manière de prouver le contraire. « On nous prend vraiment pour des branleurs. On arrive, on fait du bruit, on pue l’herbe, ça sent l’alcool, on se vanne, on drague. Mais quand on est sur scène, on est pro et on assure. Donc, quand on ressort, on peut se permettre les mêmes choses, ça passe tout de suite mieux.» C’est cela avant tout. Prendre du plaisir et s’amuser en faisant son métier, mais sans jamais négliger le professionnalisme. Une fois que l’on a compris ça, on ne s’étonne plus que Faya Braz parle du côté mathématique de son art, de son obsession de tout contrôler, notamment le temps, et de l’album entièrement composé de beatbox qu’il a sorti avec Under Kontrol : One, le premier du genre. Une autre porte que cette équipe a ouverte.

Côté musique, Faya Braz n’est pas en reste. Ses influences sont multiples et il est allé creuser dans tous les styles pour parfaire ses goûts et son beatbox. Le blues, la funk, le rock ou la soul n’ont plus de secrets pour lui. Il a appris seul, il se documente, il va chercher tous les styles et peut ainsi parler des différences qui existent entre les styles afro-cubains et brésiliens, sait de quel genre musical vient la dubstep et peut décrire précisément la deep house « C’est intéressant. C’est juste de la culture musicale. Pas dans le sens « je connais des trucs », mais « j’apprends quelque chose ». Je me documente. Je considère qu’aujourd’hui, mon métier c’est la musique ». Il admet avoir des facilités avec la musique, sans pour autant avoir l’oreille absolue. C’est avec son excellente mémoire auditive et son envie permanente de pianoter qu’il s’est formé. Ainsi, outre ses spécialités techniques comme la rythmique et son originalité, il joue un rôle important dans l’arrangement des morceaux. D’ailleurs, il s’est depuis initié au beatmaking. Avec le recul, il pense avoir fait le bon choix entre le rap et le beatbox « C’est super difficile d’être rappeur. Pour se distinguer, il faut être très fort. Un rappeur qui se lance, il a du courage, même si c’est un tueur. Et d’un autre côté, c’est tellement facile de choisir le rap, c’est le côté artiste qui parle. Je préfère ne pas parler, ne pas être politisé. On fait de la musique et c’est tout ».

Son groupe :

C’est sur deux optiques que le groupe Under Kontrol évolue. « On a toujours eu ce même esprit carré, cette espèce de rigueur. On est obsédé par le timing, par le contrôle, d’où notre nom. On veut maitriser notre musique, notre image, nos interviews, notre jeu de scène, notre beatbox, notre technique. Le beatbox, c’est un peu des maths, c’est du temps. Tu as une sorte de contrôle sur le temps. Tu voyages sur lui, tu le découpes, tu le ralentis, tu l’étires, tu le break, tu le doubles. Il faut quand même rester dessus, parce que si tu le perds, ça ne veut plus rien dire. C’est le fil directeur. Il y a un côté un peu spirituel, arts martiaux, maitrise du souffle. On voudrait maitriser tout ça ». Au delà donc de l’aspect bande de potes, c’est avant tout la passion du beatbox et la recherche de le comprendre et de s’améliorer en permanence qui réunit le groupe. Under Kontrol est l’association de 4 beatboxers : MicFlow, Mr Lips, Tiko et Faya Braz. Les deux premiers font partie du groupe Pure Human Music (PHM), Faya Braz d’Ekip d’Art-Hifis alors que Tiko vient de Dijon.

La rencontre entre Faya Braz et les membres de PHM se fait en 2003, lors de la première convention de Human Beatbox. Deux ans plus tard, ils croisent Tiko. À la base, l’idée est davantage un projet avec plus ou moins dix artistes, mais le tournant décisif s’opère en 2007 sur un coup du destin. PHM assurait la première partie de DJ QBert, l’un des plus grands DJ (il est d’ailleurs interdit de compétitions tant il a inventé toutes les techniques modernes de Deejaying). La salle leur laisse alors une chance. Ils ne se font pas payer ce soir-là en échange d’une résidence pour le groupe. Sur la dizaine de beatboxer proches, quatre répondent à l’appel. Under Kontrol nait ici « On a commencé à 4, ça a super bien pris, donc on a décidé de monter un groupe et de rester sur Under Kontrol. C’est le groupe avec lequel on a le plus tourné. On a défoncé pas mal de portes ».

En effet, les championnats de France par équipe en 2008 ne sont qu’une formalité pour eux et ils se retrouvent donc aux Championnats du Monde en 2009. L’appréhension est certes plus grande, mais les quatre sont déterminés. L’attente, la volonté, les sentiments éprouvés, puis le sacre … Cela reste d’ailleurs un des meilleurs souvenirs de Faya Braz. Après l’annonce de leur victoire et un mois d’état de grâce, le groupe enchaine les dates prestigieuses et se retrouvent à jouer pour les plus grands : Cypress Hill, De La Soul, M.O.P. et font également salle comble en leur propre nom. Passionnés de Deejaying et d’entertainement, ils ont apporté une nouvelle esthétique aux beatbox tout en gardant une maitrise technique hors du commun. Ainsi, Mr Lips excelle dans la batterie vocale, Tiko se charge de la caution bruits chelous et des grosses basses alors que les deux autres sont assez polyvalents.

Parmi les grands moments du groupe, on compte la rencontre avec Bernard Purdie, l’un des meilleurs batteurs du monde selon Faya Braz, une de leurs idoles. « C’est un maître du groove, le parrain de l’acid jazz, on s’entrainait depuis toujours sur ce qu’il faisait ». Quand ils font sa première partie à Marseille en 2011, les membres ne se doutent pas qu’ils seront aussi encensés par Bernard Purdie. Faya Braz en parle encore avec beaucoup d’émotion « C’est super valorisant, ça motive. Ce n’est pas pour ça que je vais m’arrêter là, ce n’est pas une fin en soi. Ça fait juste plaisir d’être validé par des mecs comme ça. C’est plus important que d’être validé par la télévision ou autres. C’est mon héritage. C’est notre univers musical ». Under Kontrol ne s’arrête pas à ça et prévoit un nouveau show ainsi qu’un projet autour du scratch vocal avec les plus talentueux beatboxers de la discipline.

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