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[Interview] Espiiem : « Je suis en train de me bâtir, de me construire. »

Espiiem, un nom bien connu dans le rap game. Salué pour son talent, son éloquence évidente et son savoir encyclopédique, il apparaît dans la plupart des coups de cœurs de passionnés. Son mini-album Haute Voltige est sorti en début de mois et a confirmé combien il fallait désormais compter sur Le Noble. Doux, posé et réfléchi, l’homme est à l’image de son flow. Pendant l’interview, on découvre un artiste sincère, en phase avec sa musique et avec qui il fait bon discuter. Espiiem, un nom qui gagne à être connu en dehors du rap game.

D’où viens-tu Espiiem ?
Mon parcours est un peu sinueux parce que je suis issu de la formation Cas de Conscience qui est une formation très rap, des grosses sonorités New Yorkaises, assez sombres. Puis, j’ai basculé vers un autre groupe, qui est The Hop, qui est à mi-chemin entre Soul, Jazz, avec beaucoup de musiciens et une chanteuse. Et en solo, je fais un peu le lien entre ces deux influences très différentes. J’arrive à me frayer un chemin un peu étrange entre toutes ses sonorités-là pour faire ce que je fais maintenant avec Haute Voltige. Je ne sais pas encore vraiment que sera la suite. Mais en tout cas j’espère que ce sera lié à davantage de compositions, faire appel à pas mal de musiciens et essayer de développer toujours un son assez différent, qui me plait.

Qu’est ce que tu tires de chaque étape ?
On était quatre dans Cas de Conscience. C’était pour nous le moyen de progresser, c’est vraiment ce qui m’a formé. On écrivait tous, puis on se voyait pour faire le bilan, se jauger les uns. Ça m’a donné une véritable assise en tant que MC. Avec The Hop, j’étais MC dans un groupe de musiciens, ça m’a donné une approche plus musicale pour aborder un morceau dans sa globalité. Ça m’a apporté un savoir-faire sur les structures de sons. Je sais maintenant choisir les instruments par rapport aux morceaux. Maintenant en solo, je prends du plaisir. Grace à mon parcours, j’ai l’assurance de savoir ce que je fais.

Comment les connexions se font avec tout ton entourage ? Dans The Hop il y a Kema et Sabrina. Sabrina travaille avec Jimmy Whoo qui a le studio Grandeville.
En fait, avec Jimmy Whoo, on était en classe ensemble au lycée, donc on se connaît depuis très longtemps. Sabrina, ça s’est fait via The Hop. Les connexions se sont faites très naturellement parce qu’on trouvait qu’il y avait un talent mutuel. Avec Sabrina, ils ont bien accroché donc ils ont fait des morceaux ensemble. Tout s’est fait vraiment naturellement et on se connaît tous un petit peu. On fait chacun nos projets avec les avis des autres donc les connexions se font au feeling parce que l’un connaît un beatmaker, un studio, un autre artiste et puis ça fait d’autres liens et ça ne fait que croître.

Et The Hop, c’est fini aujourd’hui ?
The Hop, ce n’est pas fini pour l’instant, on va dire que c’est en phase de stand by. On est très nombreux, donc au niveau de l’organisation, c’est à chaque fois compliqué de mettre un morceau en place. L’un travaille, l’autre est en vacances… Chacun se dirige sur ses propres projets. Il y a Loubenski, qui était le bassiste et qui fait ses propres projets avec Sabrina. Il y a Benjamin, le batteur, et Kema, l’autre rappeur qui font leur truc, donc on part plus sur nos projets solos. Mais, j’espère, en tout cas, pouvoir revenir sur cette formation pour quelques morceaux. Ils prendraient plaisir à le faire aussi. On reste très en contact. On suit ce que fait chacun de très près, mais pour l’instant, il n’y a pas de morceaux estampillés The Hop à venir.

Les rappeurs travaillant avec des musiciens sont assez rares dans le milieu, comment tu y es venu ?
En France, ça n’a pas été fait énormément parce que les gens associent peut-être les instruments à quelque chose de trop léger, de manière presque péjorative. Ils auraient peut-être le sentiment, à tort, de perdre ce côté rue, ce grain. Alors qu’au contraire, ça permet d’ouvrir encore plus ta musique, d’aller encore plus loin. C’est pour ça que ce n’est pas fait suffisamment. Et puis, on est arrivé maintenant à une génération, où même les musiciens, qui sont dans The Hop par exemple, ont écouté beaucoup de rap et ça leur fait plaisir d’apporter leur touche sur cette musique. Peut-être qu’il y a 20 ans, les musiciens n’écoutaient pas de rap donc le brassage se faisait moins facilement. C’est aussi pour ça que j’espère qu’on va en voir davantage.

On sent qu’il y a toujours une alchimie entre ton texte et la production. C’est voulu ?
Je suis content que tu mettes ce point là en évidence parce qu’avant j’écrivais sur des instrus, parfois même sur les morceaux d’autres artistes. Maintenant, j’écris uniquement sur mes instrus pour vraiment être dans l’esprit. Donc je suis content que tu puisses ressentir cette symbiose. Comment je fais ? Ça se fait naturellement. Dans le processus créatif, avant ce n’était pas le cas. Je faisais un peu à droite, à gauche. Maintenant, j’ai besoin d’avoir l’instru pour pouvoir partir. Même en ayant des instrus originales, ça te permet de pouvoir être original, d’essayer de t’adapter au niveau de la prod. Donc je pars de l’instru pour pouvoir y apporter ma propre touche et être réellement en adéquation avec elle.

Tu n’écris jamais avant d’avoir une prod’ ?
Avant c’était le cas. Maintenant ça peut arriver, à des rares occasions. Tu peux être dehors, avoir une phrase qui te vient, puis une seconde, donc tu commences avant. Mais des morceaux entiers, maintenant non. J’essaie de pousser mon innovation de la musique plus loin et d’être en phase directe avec mon instru.

C’est une vraie démarche artistique. Tu te considères comme un artiste ?
Ah … Bonne question. Pour moi, être un artiste ce n’est pas uniquement le fait de produire de l’art. Ce n’est pas parce que, à mon sens, tu vas faire un morceau ou un CD que tu es un artiste. Sinon, tu peux dire que n’importe qui est un artiste. Mais pour moi, artiste dans le sens noble du terme, c’est presque quelque chose qui s’acquiert. Il faut y réfléchir mais le fait qu’il y ait une osmose parfaite entre ta vie, ce que tu es et l’art que tu proposes, je pense que c’est quelque chose qui s’acquiert au fil du temps. Je pense qu’on devient artiste et on le cherche. Ce n’est pas uniquement le fait d’en produire qui te rend artiste.

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