Chroniques

[Chronique] M.A.R.S., histoires et légendes du hip-hop marseillais.

Mars

Voilà, nous sommes arrivé à la fin de M.A.R.S., histoires et légendes du hip-hop marseillais. Il nous a fallu du temps pour le lire. Pas parce que l »écriture est pénible ou le sujet inintéressant. Non, c »est tout le contraire : le livre est riche, très documenté, les anecdotes nombreuses et les analyses sans concession. M.A.R.S. est une plongée dans l »histoire du rap à Marseille. Et des livres dans ce genre, il en faudrait plus à une époque où le rap reste peu considéré malgré sa longue histoire. Cet écrit permet de prendre le temps de regarder et reconsidérer ce qui a été une belle odyssée. Il donne aussi la parole à des personnes qu »on entend peu. M.A.R.S. ? Une encyclopédie qui se lit comme un roman.

Le livre s »ouvre sur un certain nombre de photos qui pour quelques-unes sentent bon la fin des années 80 et le début des années 90. Toutes montrent les différents protagonistes dans leurs univers : concert, atelier d »écriture, au quartier, à la plage. Ce sont trente années de rap à Marseille que l »ouvrage balaie, trois décennies que l »auteur découpe en trois phases : des premières vibrations aux sentiers de la gloire (1980-1995) à l »âge d »or (1995-2001) jusqu’à l »âge de raison (depuis 2002).

Le livre interroge les acteurs des mouvements sur les raisons qui ont amené ces différentes périodes. Julien Valnet a en effet opté pour une approche globale : il s »intéresse à toutes les disciplines du hip-hop, essaie de donner la parole à un maximum d »acteurs et pas seulement aux rappeurs (qui sont bien souvent considérés, à tort ou à raison, comme la face visible de l »iceberg et captent toute la lumière). On parle donc des DJ, des danseurs, des beatbox et même de graff.  Généralement, quand on parle de Marseille à la télévision ou à la radio, on entend souvent vanter son côté cosmopolite, une ville où les populations venues de tous les pays vivraient ensemble et en bonne entente ; on n »y échappe pas ici mais abordée d »un point de vue musical. Quand les acteurs s »expriment, ils font part de leurs influences : New York bien entendu, mais aussi de la soul du funk, du raï, du ragga et du rap français.

Pourquoi le rap éclot à Marseille ? Une des thèses développées est que la ville connaît une crise identitaire profonde depuis les années 60 : son modèle économique s »effondre, le port doit se réinventer et les circuits de la drogue changent. Parallèlement, le maire de l »époque, Gaston Defferre, maintient la ville sous une chape de plomb. Les prémices du rap naîtraient alors en réponse, en opposition à tous ces phénomènes. Et il ne faudrait pas non plus négliger le poids de l »histoire et de ses hasards : les sous-marins américains accostent à Marseille et le rap de New York résonne dans les rues de la ville, les radios libres puis associatives émergent (Radio Grenouille pour n »en citer qu »une) au début des années 80.

Puis l »âge d »or, dans les années 90, symbolisé par la Fonky Family fait quasiment de Marseille la capitale du rap français (pour preuve, l »anecdote de groupes et de rappeurs, comme Rohff ou le 113, qui viennent à Marseille chercher l »inspiration et enregistrer leurs projets). Comme ailleurs en France, le rap marseillais bénéficie de l »engouement des majors et maisons de disques qui voient là de l »argent à se faire et de la Loi Pelchat qui impose aux radios la diffusion d’œuvres francophones. Dans le titre du livre, on retrouve le terme légende. Marseille est composée d’endroits mythiques, d »autres moins connus mais tout aussi importants : la Maison Hantée, l »Espace Julien, l »Affranchi, La Friche, Au Bon Burger, l »Enthröpy sans oublier des studios comme la Sound Musical School, La Kave, Ballard, etc.

La construction du bouquin l »amène à mettre en avant certains événements tels que la cassette Concept. La légende est connue et même si le projet aura été fait avec peu de moyens, il permettra de situer Marseille sur la carte du rap en France (le projet suscite l »intérêt de Joey Starr et des membres d »Assassin entre autres). On ne peut parler du rap marseillais sans parler d »Ibrahim Ali (« Un devoir de mémoire pour Ibrahim Ali », Sat sur Marseille City). Sa tragique et violente disparition aura fait réfléchir certains et des groupes auront disparu de la circulation (Soly, « (…) un événement qui a traumatisé une génération. Jusqu »à aujourd »hui, certains n »arrivent pas à passer le cap. Ils sont grillés à vie »). Dans le livre, on apprend que le Rat Luciano n »a jamais été vraiment tenté par l »aventure en solo, que Keny Arkana a vécu quelque temps dans des grottes,…

Marseille, ce n »est pas qu »IAM ou la FF, c »est aussi des groupes moins connus ou moins médiatiques mais dont les cas sont tout aussi révélateurs : le 3ème Œil est un groupe qui aurait pu monter plus haut mais qui n »a jamais trouvé la bonne attitude avec les maisons de disque, la Division Marseillaise indépendante elle aussi marquée par la mort d »un membre sans oublier la  Puissance Nord à la longévité remarquable et pourtant toujours dans l »ombre. La vitalité actuelle de la scène marseillaise s »expliquerait, entre autres, par les ateliers d »écriture adressés à différents publics  et qu »ont fréquenté certains leaders de la scène actuelle (Keny Arkana pour ne citer qu »elle) mais aussi par la participation à des concerts et, à des mixtapes des anciennes têtes d »affiche.

Le rap marseillais a-t-il une identité propre ? Sans doute car on trouve tout le long du livre des faits saillants qui se répètent peu importe la période : entraide, débrouille, studio dans des caves. Une anecdote résume parfaitement l »état d »esprit : en parlant de la FF, Karim raconte qu » « on niquait le train pour aller les voir jouer à Paris. On allait dans les loges. Il y avait à manger et à boire. On faisait la fête avec eux. Ils nous filaient leurs billets de train retour, et ensuite ils appelaient la maison de disque pour dire qu »on les leur avait volés. Et nous, on rentrait sur Marseille à l’œil. » Et comment ne pas parler de l »accent, des inclinations mystiques de certains, d »un rap plus brut pour d »autres et de la nécessité absolue pour tous de se revendiquer de Marseille. Et comme ailleurs en France, le rap change. Les styles se rapprochent, les ventes de disque chutent et les rappeurs deviennent des entrepreneurs qui vendent plus un produit qu »une musique. Même chez les historiques (IAM), la crise frappe : AKH signe en maison de disques, l »Oncle Shu doit sortir son deuxième album solo en auto-distribution. Les temps changent donc : il n »y a jamais eu sans doute autant de rappeurs à Marseille et pourtant les moyens ne suivent pas. Pourquoi ?

L »analyse est parfois cruelle comme lorsqu »il est évoqué les questions liées à l »indépendance, aux structures, et donc  l »organisation. On trouve une idée intéressante : le rap à Marseille n »a pas grandi trop vite mais il a manqué d »un lien entre les premières générations assez confidentielles et les nouveaux groupes et rappeurs, plus nombreux, actifs mais avec peu de moyens. DJ Faze pense que « le pont générationnel entre les 40 ans et les 20 ans ne s »est pas fait » Adikson va dans son sens : « La FF, qui n »a pas résisté au temps, n »a pas construit de label, de structure.  J »ai l »impression qu »il y a eu un manque à cette période. » Pour autant, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l »eau du bain. Des structures qui ont réussi, il y en a eu. Le Côté Obscur qui a vendu des Cds en grande quantité comme Kif Kif et Da Mayor Industry.

Et ce n »est qu »une infime partie du livre qui est abordée dans ce court article. Car le livre nous parle de l »aventure Hip Hop Parallèle, des Turntablists, de l »apparition du bien connu « Nique tout ! », du concert de Bob Marley un an avant sa mort, des émissions de radio de la seconde moitié des années 80 etc. Pour plus de clarté, nous vous conseillerons de commencer par l »épilogue qui présente rapidement le travail de recherche de Julien Valnet et plante le décor du contenu. Et d’apprécier l’immense réussite de cet ouvrage très complet.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

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