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[Chronique] Senamo – Des lendemains sans nuage

senamo

Ma plus grosse claque de l’année dernière m’a certainement frappé à l’écoute des 16 titres qui composent cette tape. L’adjectif génial ne la réduirait à rien de plus qu’un simple projet de rap paru pendant cette année prolifique dans le paysage du rap indépendant, tant au niveau qualitatif que quantitatif. Mais si génial ne convient pas, comment exprimer la puissance auditive de cet LP ? Disons qu’il est extraordinaire, phénoménal, excellentissime, parfait et, selon moi, anthologique. Et si vous ne me croyez pas, lisez cet article, calez bien vos écouteurs dans vos esgourdes et perforez-vous les tympans grâce au flow pare-choc de l’un des artistes le plus prometteur du rap belge.

Il fallait s’y attendre dès le début. Avec le clip très bien filmé et alléchant de la chanson Dans le sofa, Senamo de La Smala nous avait mis l’eau à la bouche: sur une instru aux gros claps accompagnés de petites guitares calmes, installé sur un canapé dans un van avec son gang,  Senamélomane nous décrit joyeusement ses aspirations (« Une femme cool et câline, douce et fragile« ) et ses pensées, plus réfléchies que ce à quoi on pourrait s’attendre pour un jeune adulte (« J’ai perdu l’appétit face au monde on est petit tu le sais / Je suis le sceptique du siècle pire le mec triste, funeste« ). Cette chanson, grâce au refrain chanté et aux belles images au ralenti, met du baume au cœur, mais n’est pas représentative du projet. L’intro nous le fait comprendre dès les premiers retentissements de l’instru, grâce aux violons profonds et  aiguisés comme des couteaux, qui font ressortir l’avertissement de Senamo: prépare-toi, pour des lendemains sans nuage.

On dégurgite, on s’accroche et on se laisse emporter par une déferlante de puissance, de rage et de flow percutant qui nous entraîne au fin fond du rap que l’on apprécie: celui qui naît dans les tripes et vit dans le cœur. États d’âme, vient remettre le paquet juste après, instrumentalisant des pianos sur lesquels se livre le belge, regrettant l’époque de l’insouciance infantile durant laquelle il n’était pas confronté à la dure réalité qui l’entoure (Et tu te demandes/Pourquoi tout le monde te ment/Pourquoi être môme te manque/Et doucement, les coups se sentent). Ce vague à l’âme est tout de suite suivi, et rompu, par L’Exutoire, nom éponyme de l’ancien groupe, formé avant La Smala et composé de Senamo, F.L.O et Seyté. Gros flows sur instru saccadée (La Smala ça s’écoute tard le soir/À 4 pattes, tout foncecar/C’est pas du rap de foire), le mélange corrosif vient casser avec le morceau précédent pour annoncer l’ensemble hétérogène qui va suivre tout au long de l’album, oscillant en parfait équilibre sur le fil traditionnel du conscient/egotrip. Senamo suit sur Quand j’y pense, où, de façon très introspective, il nous explique avec beaucoup de lucidité qu’il ne fait que se cacher derrière un voile pour ne pas attrister son entourage sur sa vraie condition d’existence (Je m’épuise et je feins mes sentiments/Je déguise mes peines, presque en silence). De nouveau, ce morceau vient briser l’égotrip précédent et confirmer la bipolarité de l’album.

Malgré cette dualité, le cannabis relie tous les 16 du rappeur: il en est un sujet central, un thème récurrent qui revient dans chacun des sons. De l’Intro (Fais fumer ton bob/7  sur 7 on smoke) à l’Outro (Frère les gens aiment quand j’fume ça) en passant par Dans le sofa, véritable déclaration d’amour à la weed et à son effet (Trop explosé en scred sous cool-al/On est posé en def dans l’sofa/Flow défoncé mais beaucoup trop sale/Toujours posé en def dans l’sofa) ou L’Éxutoire (Des joints pour calmer toutes nos angoisses), la fumette est constamment présente. Tantôt présentée comme une façon de s’amuser, tantôt comme une façon pour lui de s’évader, elle est étudiée sous tous les angles. Mais loin de s’enfermer dans une apologie de la frappe, Senamo case habilement quelques phrases éparses sur ce sujet, les distillant à petites gouttes sur chaque son, telle une piqûre de rappel, évitant ainsi le piège classique: se concentrer sur ce sujet trop banal et communément répandu dans le milieu du rap.

Quelques anecdotes amusantes sont à soulever sur le projet. Par exemple, sur le son MC’s éméchés, en featuring avec Thibault, les deux rappeurs ont chacun écrit un texte, puis se les ont échangé, et chacun a rappé le texte de l’autre. Dans la chanson  É-A-O et A-O-I, partagée avec K-otic, Senamo ne fait que des rimes en A-O-I (qui riment avec K-otic), tandis que K-otic de fait que des rimes en É-A-O qui riment avec Senamo. Un ceau-mor arrive là où on ne l’attend pas: Santoryu, une ode aux mangas et à la culture pop nipponne. Avec l’arrivée de la nouvelle vague de rappeurs, les mangas sont de plus en plus plébiscités sur la scène francophone (Sango, dont la pochette de son premier projet le voyait habillé en Sangoku; S-Crew, dont le titre le d’album Seine Zoo fait référence au fameux senzu, le petit haricot magique de DBZ; la poignée de punchline de RES, où tous les mots à placés sont issus de la culture japonaise; Georgio, et sa 75ème session; Joke et son délire japonais…), et le rappeur ne déroge pas à la règle. Il nous fait découvrir une flopée de noms de mangakas (dessinateurs de BDs japonaises), de héros, personnages et lieux de référence dans le monde des mangas, auxquels il se compare, nous dévoilant une toute nouvelle facette de lui-même. À noter que sur la tape Laisse-nous faire Vol.1 de Caballero, il kickait sur un son appelé Otaku, avec le Pistolero belge et Neshga, une autre déification de la culture manga.

Entouré de quasiment toute la scène belge émergente (l’ours Caballero, son crew La Smala, l’excellent VIK, le calme Jean Jass, le jeune Thibault…) et le Parisien Lomepal, issu du sud de la capitale, l’emcee dévoile des featuring à très grand caractère, renforçant l’hétérogénéité d’un projet haut en couleur, permettant de varier les flows: on ne s’ennuie pas et chaque track nous amène sur un nuage différent, parfois teinté de tristesse, d’allégresse, d’introspection, de chagrin ou de joie. Côté production, Senamo s’est entouré de beatmakers comme Jean Jass, Killodream, Eli Prod et Césarienne: un éventail de talents qui dynamise une tape finement ciselée.

Tout simplement, Senamo vient perturber un rap belge qui avait du mal à émerger. Mais grâce à de tels albums, ce dernier commence enfin à faire des vagues au niveau international. Le concert au Petit Bain le 17 Mai 2013, donné à l’occasion de la tournée belge À notre tour, m’a fait découvrir une véritable fourmilière de talent, sachant mettre en scène leurs morceaux et créer une réelle atmosphère proche du public. Les lendemains sans nuage de Senamo ne sont rien de plus que des perles lyricales distillées à chaque instant sur des beats tamponnants. L’élixir parfait pour se changer les idées, écouter un style de rap encore très peu exploré. L’ami Senamo est à suivre de près. De très très près.

Pour télécharger la tape, cliquez ici
 

 

À proposLeo Chaix

Grand brun ténébreux et musclé fan de Monkey D. Luffy, Kenneth Graham et Lana Del Rey, je laisse errer mon âme esseulée entre les flammes du Mordor et les tavernes de Folegandros. J'aurai voulu avoir une petite soeur, aimer le parmesan, et écrire le couplet de Flynt dans "Vieux avant l'âge". Au lieu de ça, je rédige des conneries pour un site de rap. Monde de merde.

1 commentaire

  1. Yes très bon projet de la part de Sénamo. Au sein de La Smala, tout le monde apporte sa touche et on les apprécie autant en projets solos qu’en projets de groupe.
    Big up à ces gars et puisque l’article concerne Sénamo, big up à ta plume, à ton flow et à ton avenir prometteur ! 😉

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