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[Interview] Hugo Délire – « Je ne mens pas, je ne joue pas un rôle, ce mec au fond c’est moi. »

5 vidéos seul face caméra. Plus de 100.000 vues sur les plates-formes de vidéos en ligne. Un petit exploit pour un homme qui était encore inconnu du rap français il y a un an. Après s’être livré derrière le micro, il nous explique tout ce qui fait son personnage. Discussion avec un futur grand.

On va commencer ça classiquement : peux-tu nous expliquer qui est l’homme derrière le rappeur ?

Je suis un grand couillon de 24 ans tout juste, qui a grandi au Blanc-Mesnil (93), au Perreux (94) puis à La Houssaye-en-Brie (77), depuis maintenant une majorité civile. Je suis issu d’une famille modeste habitant en zone pavillonnaire, j’ai deux petits frères et une petite sœur. J’ai commencé l’école à toute vitesse, j’avais de très bonnes notes, mais en avançant vers le lycée et la fac, j’ai ralenti, j’ai vite compris qu’ils nous amenaient tous dans le mur. J’étais un élève doué mais pas assez concentré sur le travail, davantage sur la déconne. Je n’ai jamais été un enfant malheureux, je n’ai jamais manqué de rien mais je n’ai pas non plus été un enfant pourri gâté, ni un enfant capricieux. J’ai été élevé avec des valeurs fortes, par des parents magnifiques, dans une famille formidablement courageuse, sur du James Brown et du Gainsbourg. Je suis fier de ma tribu, et c’est pour eux que je me bats.

Quel est ton parcours ?

J’ai eu mon BAC ES option maths et j’ai suivi une licence de cinéma à Marne-la-Vallée. Licence que je n’ai pas terminée par manque de motivation quant à ses débouchés et par manque de qualification chez certains profs. Ensuite, pendant deux ans, j’ai alterné entre missions d’intérim en entrepôt et périodes d’inactivité. Depuis janvier, je travaille en CDD comme animateur en centre de loisirs, c’est un poste qui me plaît, fatiguant, mais passionnant.

On suppose que ton pseudo est une variante de ton prénom, est-ce qu’on se trompe ?

Je m’appelle bien Hugo, quant à Hugo Délire, ceux de ma génération savent à qui je fais référence. C’était un jeu télévisé assez bidon quoique novateur quand j’étais gamin. Via les touches du téléphone, tu prenais le contrôle d’un p’tit troll aux grandes oreilles pour lui faire passer des niveaux et sauver sa chérie. Je n’ai pas d’explication supplémentaire à donner, je sais que c’est un pseudo nul, mais il me correspond plutôt bien donc, j’assume.

Question personnelle : tu évoques une maladie dans ton freestyle numéro 1, qu’en est-il ?

Aux âges de 17 ans et 20 ans, j’ai contracté deux embolies pulmonaires. L’embolie est une affection grave qui est souvent fatale chez les personnes âgées. J’ai eu la chance de les surmonter et je suis maintenant un traitement à vie pour fluidifier mon sang. En tout je n’ai passé que deux semaines à l’hôpital, mais ce fut les deux pires semaines de ma vie. Après ça, j’ai tout remis en question, mon avenir professionnel, mes réelles envies. Avec le recul, je sais maintenant que ce sont ces évènements qui m’ont poussé à faire ce que je voulais vraiment faire, écrire, profiter et n’avoir aucun regret. Mais bon, je n’en fais pas un fonds de commerce non plus, d’autres vivent avec bien pire, d’autres sont déjà partis, alors j’avance, tranquille.

Comment es-tu venu au rap ? Est-ce que tu te réveilles un matin en te disant « tiens, je vais me faire un freestyle vidéo » ?

J’écris depuis tout petit, j’ai écrit de tout, poèmes, chansons, pièces, scénarii. J’ai commencé à écouter du rap au collège et à en écrire pour vanner mes potes de l’époque. Et puis j’ai travaillé ma plume, pendant des années, dans l’ombre, en me butant avec des Face B. Un jour,  j’ai entendu que Leeroy et Féfé du SSC faisaient un Planète Rap sur Skyrock pour la sortie de l’album Open Bar de Leeroy. Je n’étais pas forcément fan de la radio mais je m’en foutais, je voulais rapper pour les gars du SSC, le groupe français qui m’a toujours le plus influencé. J’ai appelé, je devais passer le mardi mais j’ai raté leur appel, j’ai rappelé, j’suis passé le vendredi et j’ai rappé à l’antenne. C’était la première fois que je lâchais un texte à quelqu’un d’autre que mon écran d’ordi, et c’était pour des milliers d’auditeurs. Après ça, ma mère est venue me rejoindre en courant chez mon meilleur pote chez qui j’avais appelé la radio. Elle m’a serré dans ses bras, en larmes, me disant qu’elle était fière de moi. Je n’ai pas cherché plus loin, vamos. J’ai tourné mon premier freestyle vidéo que j’ai envoyé à un beatmaker que j’appréciais, Crown, pour qu’il me donne son avis. Ce n’était pas anodin, je souhaitais bosser avec lui, et je le souhaite toujours d’ailleurs. Mais bref, j’ai décidé de la lancer sur le net et vues les retombées, j’en ai pondu quatre autres. J’ai commencé aussi à cette époque à tourner avec mon groupe de hip-hop acoustique, Busta Boobs, qui est toujours debout à l’heure actuelle et qui, dans l’ombre aussi, prépare quelques merveilles.

As-tu été surpris par l’accueil massivement positif de tes vidéos ?

Pour être honnête, oui. Pour l’instant, je suis content de ne pas lire beaucoup de commentaires négatifs à mon sujet, mais je pense aussi une chose, qui est peut-être fausse, c’est que les gens qui aiment une vidéo la commentent plus que ceux qui ne l’aiment pas. Moi quand je n’aime pas quelque chose, je zappe. J’ai aussi été agréablement surpris par le retour des gens déjà dans le milieu, être apprécié par mes auditeurs comme pas mes pairs, c’est un soutien important. Quant à mes proches, malgré quelques réticences au début, ils ont compris où je voulais en venir, et me soutiennent à fond.

Est-ce que tu travailles avec une équipe pour les productions, la caméra etc. ?

J’ai fait ma fac de cinéma avec Julien Hascoët, un ami de longue date, qui est aujourd’hui mon plus fidèle acolyte. On a réalisé une tripotée de petits films ensemble et on travaille en ce moment sur notre premier grand chantier, qui concentre beaucoup de nos espoirs, une web-série sarcastique et absurde intitulée « Faut Profiter ». Je travaille également avec Christophe Hourquet, des amis, mon père, mes frères parfois, ma copine aussi, bref, ceux qui peuvent nous supporter.

Est-ce que tu as conscience d’être un personnage à part et pas uniquement dans le rap ?

Je ne pense pas être si atypique que ça, je vois des gens bien plus originaux que moi partout. Néanmoins, j’ai toujours voulu faire acteur avant d’être rappeur, alors, des fois, je fusionne, juste pour m’amuser et amuser les gens. Mais je ne mens pas, je ne joue pas un rôle, ce mec au fond, c’est moi.

Dans tous tes freestyles, tu apparais violemment désabusé. Penses-tu être à l’image de ta génération ?

Ma génération mérite ce que toutes les générations ont eu, exceptées les grandes guerres bien-sûr. Une seule bonne nouvelle en plus de vingt ans, c’est la Coupe du Monde 98. On a grandi avec le sentiment que toutes les conneries, qui ont été faites par tous les cons passés avant nous, devront être payées de notre poche. Que vont-ils nous laisser, à nous qui allons devoir assurer la longévité de cette planète ? Ils vont nous laisser leur mépris, et au mieux, leur honte, c’est tout. Non seulement ma génération a le droit d’ouvrir sa gueule grand et fort, mais nos prédécesseurs ont le devoir de nous écouter. Après, je pense être aussi violemment désabusé que ma génération, qui peut tout savoir, tout voir et tout comprendre.

Tes thèmes tournent beaucoup autour de l’anti-sarkozysme et de l’anti-droite en général, tu as même parfois des envolées révolutionnaires. Tu peux développer ton propos ?

Eh bien on sort dans la rue, avec des armes, et on pète la tronche aux puissants. Sérieusement, je sais que chaque grande révolution s’est faite dans le sang, alors une révolution planétaire, ça peut virer au carnage. Je parle donc de cette chimère qu’est la révolution lente, la révolution dont on rêve tous et qui n’adviendra probablement jamais parce que nous, et je m’inclus dedans, n’avons pas assez de courage pour risquer notre vie. Alors en attendant, je fais comme tous les artistes « engagés », je gueule, et certains te donnent beaucoup de grains à moudre. J’avoue être dépassé par la politique de mon gouvernement, je ne me reconnais en rien en ces gens-là, qui ont prouvés ces dernières années à quel point ils étaient lâches, perfides, corrompus, xénophobes, méprisants et surtout, incompétents. Je pense surtout à ceux qui les ont élu. La moitié des français a voté Nicolas, et bien je me sens à moitié français depuis ce jour-là, c’est tout.

Est-ce que tu peux expliquer ton processus d’écriture ? On recense beaucoup d’assonances et les textes sont très travaillés, comment t’y prends-tu ?

J’attache énormément d’importance aux textes. Je ne prétends pas faire de la littérature, mais la littérature française a fourni au monde quelques-unes de ses œuvres les plus prestigieuses. Il ne faut pas renier ce passé riche et exemplaire et je pense que c’est à nous, rappeurs, artistes du verbe, de reprendre le flambeau et d’essayer d’atteindre au moins le dixième du génie de Victor Hugo, ça serait déjà bien. Quant à moi, l’écriture est un processus lent et jamais simple, je ne veux jamais me précipiter et perdre de vue le sens de mon texte. Si je fais de l’égotrip, je me fais mousser, mais avec humour, car  le caractère nombriliste de cet exercice le rend pratiquement inabordable pour les non-initiés. Si je fais une chanson à thème, je ne perds pas le thème de vue. Il n’y a rien de pire qu’un rappeur qui commence à parler d’un thème pendant les deux premières mesures, et qui se tripote pendant les quatorze autres. Après, je suis un malade de technique, d’assonances, d’allitérations, de multi-syllabiques, j’adore en chercher, en écrire, en écouter. Je suis aussi un perfectionniste, si une phase me paraît bancale ou trop facile, je la retravaille.

As-tu été contacté par un label ? Et sinon, quels sont tes projets ?

Je n’ai pas été contacté par un label proprement dit. Ce que je peux vous dire, c’est que ma première mixtape sera produite par Kyo Itachi, sur le label Booom Zooom Records. Ce n’est pas un contrat d’exclusivité bien-sûr, juste un contrat pour une mixtape et je l’espère un album. C’est un vrai plaisir de bosser avec quelqu’un comme Kyo, c’est un monstre en matière de culture hip-hop et un artiste de grand talent. Il m’a gentiment pris sous son aile et je lui fais aujourd’hui entièrement confiance. Il est loin d’être un requin et en connait long sur le milieu. Ma mixtape comportera une vingtaine de titres, je serai entouré de gars que j’estime comme Nesis, l’autre MC du groupe Busta Boobs, Nekfeu, Alpha Wann, Artik, Kacem Wapalek, Les Artisans du Mic (Walter, Lemdi et Moax), Fixpen Sill, Gaïden, Yoshi, Hippocampe Fou et j’espère mes potes du Korosif Crew (Maniako, Kroco Killah, Gonzo/Skizo). Ce sera une mixtape à mon image, mais loin de mes freestyles vidéo qui n’étaient qu’un mélange d’égotrip et de contestations politiques. Je ne dis pas qu’il n’y aura pas d’égotrip ni de textes anti-UMP dans ma tape, mais j’aimerai raconter autre chose, un peu de ma vie, quelques histoires tristes ou drôles, quelques délires. Je travaille aussi sur quelques morceaux inédits qui vont sortir avant la mixtape, histoire de rester présent dans les têtes. Un projet nommé 22h-6h va sortir d’ici peu, on a bossé ça à l’arrache une nuit avec Nesis, Walter, Keroué, Lomepal et Mothas la Mascarade. D’autres projets auxquels j’ai participé vont également sortir bientôt. Sans parler de Busta Boobs, nous avons la chance de bosser avec de vrais musiciens, un claviériste, un bassiste, un batteur, un guitariste et un DJ. On espère bien vous donner un aperçu d’ici peu. Bref, on doit croire que je dors, mais je l’ai dit, je taffe dans l’ombre.

Comment envisages-tu l’avenir aussi bien dans le rap en France qu’en général ? Tu n’as pas l’air d’avoir très confiance pour le futur dans tes textes.

Je n’envisage pas forcément un avenir étincelant dans le rap, du moins je ne le souhaite pas. Plaire à tous, c’est forcément jouer un rôle. Si j’arrive à gagner convenablement ma vie sans me tromper de cible, ça sera déjà très bien. Je ne souhaite pas être hyper connu, la vie de star ne m’attire pas, les médias me répulsent et je dégueule le monde du show-biz. Je préfère la reconnaissance que la célébrité. Quant à l’avenir en général, eh ben, je dois le voir comme la quasi majorité des Terriens, pas franchement festif. Après il faut peut-être faire un choix, ne penser qu’au singulier, trouver son bonheur et se réjouir, ou penser au pluriel, chercher un vaccin pour ce monde et s’en vouloir d’être si impuissant. C’est un choix que chacun a fait, fait ou fera un jour. Pour l’instant j’en ai fait un, puissent ma santé mentale et ma santé physique me le faire garder. Je ne suis pas non plus un suicidaire qui négativise sans arrêt, au contraire. La vie distribue des cadeaux et des baffes. Avec de la chance et/ou de la persévérance, on peut sûrement arriver à choisir les cadeaux dont on a besoin et les baffes que l’on souhaite prendre.

En général, penses-tu qu’il ne peut pas y avoir de rap sans message ?

Comment a-t-on pu autant dénaturer l’esprit originel de cette culture pour devoir encore répondre à ce genre de question ? Le rap doit bien évidemment être un vecteur de messages. Tu peux raconter des conneries, moi le premier, mais si tu ponds un album où tu passes quinze titres à te mesurer le zgeg sans sortir une seule fois la tête par la fenêtre, tu ne rappes pas, tu te pavanes. Après, je réfute également la notion de « rap conscient », au pire, c’est complètement con, au mieux, c’est un pléonasme. L’époque en deviendrait presque du pain béni pour les rappeurs, il faut en profiter. Pour ma part, je sais pour qui je rappe, contre qui et surtout, pourquoi.

Est-ce que tu penses te situer dans une tradition revendicatrice et indépendante du rap en France?

On peut dire ça, mais je ne me force pas à rentrer dans des catégories bien définies. La revendication peut faire avancer un débat ou le plomber, il faut savoir rester pertinent et objectif, c’est ce que j’essaie de faire. Revendiquer, c’est aussi affirmer son existence et ses opinions. Aujourd’hui, t’entends n’importe quel cuistre, que ce soit à la télé, à la radio ou sur internet, te donner son avis sur tel ou tel sujet. Je n’estime pas être plus désagréable qu’eux. Bref, l’indépendance n’a pas été un choix mais une évidence. Je veux pouvoir dire ce que je veux et surtout, ne rien devoir à personne, encore moins à un patron de major.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

10 commentaires

  1. j’aime bien hugo, j’y connais rien en politique, je vote pas mais l’anti-sarkozysme primaire sa me saoule.

  2. salut ! j’aime beaucoup ce que tu fait mon gars !
    par contre.. arretez de parler politique!! insulter sarko quand on voit ce que fait l’autre flan.. soit dit en passant.

    en tt cas bonne continuation.

    peace

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