Focus sur

[Focus] sur Hugo TSR.

Débutée au début des années 2000, la carrière d’Hugo Boss du TSR Crew a été rythmée par un fil conducteur : l’indépendance. A l’heure où les rappeurs signent des contrats assez jeunes et multiplient les collaborations, il s’est fait presque tout seul loin, très loin du rap jeu. Ses idées sur le rap sont claires et il fait partie des rares MC’s qui n’a jamais trahi ses premiers amours : prod de classique, beats gras, flow rapide, technique irréprochable. On pourrait être déçu de la prétendue absence de renouvellement du rappeur du 18ème. Le talent est bien là mais nécessite-t-il une évolution artistique ? Veut-on forcément que l’artiste nous serve des nouveaux trips ? La réponse de ce billet sera clairement non. Entre ses débuts solo dans la Bombe H jusqu’au plus récent Fenêtre sur Rue, en passant entre autres par le brutal Flaques de Samples, Hugo a même agrandi sa palette tout en restant d’une fidélité sans faille à sa ligne directrice.

 L’indépendance, gage d’authenticité.

La construction du rappeur s’est faite à travers le TSR Crew, groupe de rap parisien du XVIIème. il est rappeur/beat maker depuis le début de sa carrière et apparaît rapidement comme la figure de proue du trio qu’il forme avec Omry et Vin7. Si ses deux compères sont dans la même mouvance que lui, Hugo est le plus talentueux du groupe. L’indépendance qu’il prône lui donne une authenticité rare dans le milieu. Pour le rappeur du XVIIIème, travailler maison est un gage de qualité.

En premier lieu, on ne peut donc que respecter la carrière du MC. S’autoproduire demande du talent, de la patience et de l’organisation. Les instrumentales ont certes un côté redondant mais nous font rentrer dans son univers. C’est cela qui marque à l’étude de ses albums solos, une atmosphère qui devient familière au fur et à mesure que l’on écoute les sons. La récurrence de ses thèmes de prédilection – la défonce, la critique du rap paillettes, l’anti-flic – nous donne une vraie ligne directrice à suivre. Dans Coma Artificiel, le trip de la défonce quotidienne est dépeint d’une manière si précise que l’on finit par visualiser les scènes : « Quand les cendars s’entassent, le foie est plein d’entailles / Moi et ma teille c’est l’grand amour/ Et tous les soirs c’est la Saint Balantines ». Ce travail de fond de retranscrire une réalité est une qualité qui éclabousse l’auditeur au fur et à mesure des écoutes. Hugo s’exprime dessus souvent, comme dans 2 minutes pour convaincre : « On écoute la rue et on traduit comme Nelson Montfort ». Si l’on reproche souvent à Hugo de rester dans le même trip, que ce soit techniquement ou dans ses textes, on peut surtout saluer la volonté de faire ce qu’il maitrise le mieux, pour nous servir un rap irréprochable où son atmosphère de vie devient palpable. Ainsi, à la fin de l’écoute de Fenêtre Sur Rue, on peut s’imaginer qu’on voie les rues sombres du XVIIIème nord à travers les yeux du rappeur. Il expérimente son quartier comme un naturaliste et en découpe des tranches de vie qu’il déballe sous nos yeux dans son flow frappé.

 Un talent qui éclabousse.

Le deuxième point sur lequel on se doit de revenir au regard de la carrière d’Hugo est que ce gars-là a un talent pur en rap. Son flow est resté sensiblement le même tout au long de sa carrière : explosif, rapide, qui semble tout terrasser sur son passage. Autoproclamé roi dans le domaine de la punchline, Hugo maitrise les comparaisons à la perfection. Les répertorier serait un travail fastidieux tant ses textes sont truffés d’images et de métaphores, alimentés par les comme qu’il sur-utilise. On retient la célèbre phase d’Objectif Lune : « On vise la lune, comme Mimi Mathy dans un concours de dunk » ou encore, toujours sur le même morceau, plus subtilement, «Trop d’filatures, on saute à l’élastique avec du fil à coudre ».

Hugo reflète donc un rap techniquement irréprochable, où les rimes multi-syllabiques inondent ses textes sans tomber dans un flot sans sens. Comme le disait Mokless dans Invincible Remix de Nakk, « Où est passé le sens, y’a tout pour la technique ? », les aberrations d’un rap uniquement porté sur la forme sont visibles rapidement. On peut aussi citer Guizmo dans André, son excellent dernier son, qui s’amuse et pique les rappeurs sur ce terrain : « Les rappeurs c’est des bimbos, y’a les formes mais y’a pas l’fond ».

 La maturité et le message.

Là où il détonne aussi du rap de ses dernières années, c’est le regard mature qu’il a sur sa vie et ce dès son premier solo. A travers son mal-être, il délivre des véritables messages, d’appels à la compréhension extérieure. De nature pessimiste, il évoque dans La Bombe H ses craintes alors qu’il n’est âgé que de dix-neuf ans. Dans J’veux pas grandir, on ressent cette maturité touchante d’un jeune qui a poussé trop vite dans un environnement qu’il sait malsain. Sans tomber dans l’auto-flagellation, il reconnaît ses fautes de jeunesse, évoque ses relations familiales compliquées pour dépeindre à nouveau un univers truffé de réel. « J’pourrais changer de veste, mais j’suis pas censé plaire/ J’ai vite compris que tout l’monde pleure et qu’on homme est rien sans ses plaies ».

Aussi, le rappeur de Marx Dormoy s’offre un recul sensible sur le mouvement du rap en général. Ce mode de pensée anti bling-bling lui donne naturellement ce statut d’underground qui passe bien dans certains milieux et ferme d’autres portes. Mais la critique qu’il opère dépasse cette ambivalence. Hugo considère que le rap game est nuisible pour son art et trahit les valeurs qu’il véhicule : « Vos labels j’les méprise, dis leur que j’suis ti-sor sans teaser/ J’suis rappeur pas dealer j’fais d’la musique j’fais pas des t-shirts » ou encore « J’ai un stylo c’est pour écrire, pas pour signer des contrats.» Ce démarquage est intéressant dans la mesure où il critique des points sensibles du rap actuel qui peuvent en agacer plus d’un. On peut alors penser qu’Hugo représente un bouclier contre cette mentalité. Sa défense du rap comme art brut est son mode opératoire. Il apparaît aussi désolé du manque de reconnaissance, ou au moins désabusé : « Un p’tit branleur peut faire dix fois la paye d’un mec qui s’casse le cul ».

Ses critiques acerbes s’élargissent aussi à la société en général. Outre les diatribes contre la police qui rythment sa carrière, le rappeur s’évertue aussi à appuyer sur des points où il a mal. La relative errance des gamins de son quartier le touche et il est fataliste sur la question. Dans son dernier album, le roi des punchlines spécifie son mécontentement contre le système français sur des morceaux comme Eldorado. Dès ses dix-neuf piges, Hugo montre l’incohérence des relations dans Jeux Brouillés : « Mode de merde, autour de moi j’vois une matrice mondiale/Assistés par le système, certains ont besoin d’agence matrimoniale ». Ce regard critique sur des aberrations qu’il ne supporte pas marque ses dix ans de carrière et renforce une authenticité à toute épreuve.

Hugo Boss rime donc avec plusieurs mots clés qui marquent sa carrière : l’indépendance, le talent et l’authenticité. Durant ces dix années, il a maintenu un niveau très élevé tout en élargissant son message, ce qui ne peut que nous faire regretter sa diffusion avec parcimonie. Finalement, le bonhomme approche la trentaine et paraît posé dans son délire, en brillant dans un domaine qu’il aime. Sur scène, pas de fioritures, une sobriété sincère et un public connaisseur. Hugo TSR nous réconcilie donc avec un mouvement hip-hop qui paraît se chercher dans l’éternel renouveau prôné par les rappeurs, coincé entre fond et forme, vente de disques et réalité. La meilleure illustration est peut-être donnée par l’artiste lui-même dans Point Final: « Alors Hugo paraît que tu chantes, jamais tu changes ? Non mon rap c’est un footing sur la bande d’arrêt d’urgence ».

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