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Le story-telling dans l’oeuvre de Médine.

Dans l’œuvre de Médine, le story-telling prend une place importante. Même si ça ne représente qu’une dizaine de morceaux sur toute sa discographie, l’impact est pourtant essentiel pour la compréhension concrète de l’engagement du havrais.

Constamment au cours de sa carrière, Médine aura pris position pour défendre l’opprimé quel qu’il soit. C’est le principal ressort de cet exercice de style pour lui. Ils lui servent à exprimer une idée et un contexte complexe. En mettant en scène et en images littéraires une situation donnée, il permet de s’éviter une trop fastueuse explication. C’est le récit vecteur d’un message, cher aux pros du marketing.

On traite une histoire précise pour évoquer un sujet global. Ce système permet à l’auditeur d’adopter un point de vue différent et à l’auteur de jouer aussi sur la corde de l’émotionnel. L’histoire d’une jeune fille qui perd son père frappe forcément plus qu’un amas de statistiques ou un regard froid et distancié sur la guerre.

Ces histoires sont parfois très linéaires. Ainsi Enfants du Destin : Sou-Han est simpliste : son père part à la guerre, il meurt et elle se fait exploser dans un bar truffé d’américains. C’est le cas aussi pour Enfants du Destin : Petit Cheval, ce jeune indien de 16 ans voit son peuple décimé par les colons américains et il en va de même pour la piste Enfants du Destin : Kounta Kinté. Ces trois histoires traitent du thème de la vengeance, de l’individu broyé par la machine en marche. Il est intéressant de noter que dans ces trois cas, l’agresseur est blanc.

Médine pose donc des idées en marge de celles véhiculées par les médias occidentaux, c’est ce qui fait l’identité de son engagement. Si le rap est le CNN du ghetto, il essaie d’en être la chaine Historia afin de provoquer un débat et ne pas oublier certaines portions que la grande Histoire aurait tendance à vouloir cacher piteusement sous le tapis.

Médine utilise aussi cette méthode pour briser un manichéisme trop présent à notre époque. Dans Enfants du Destin – David, c’est un jeune juif qui remet en question la position d’Israël sur la Palestine. Le monde n’est ni tout noir ni tout blanc. Il est violemment complexe comme nous l’explique Du Panjshir à Harlem qui s’attache à faire un portrait croisé de Malcom X et du commandant Massoud, tous deux assassinés par des personnes de leurs communautés respectives mais avec une vision du combat différente.

Cette méthode de narration lui permet de prendre le temps de poser les personnages et leurs histoires. Ainsi dans Boulevard Auriol, l’auditeur a le temps de s’attacher à cette petite famille qui essaie péniblement de survivre. Le fait divers devient un fait dit en vers, il est raconté sans fard ni truquage. C’est là toute la force de ce procédé, nous sommes proches du journalisme.

En conclusion, la définition de storytelling ne suffit donc plus pour qualifier ces morceaux. Le havrais fait de l’historytelling. Ce détail classe Médine dans une dimension à part du rap français et le pose comme un homme à la plume très réfléchie.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

7 commentaires

  1. Un article très intelligent et très bien construit. Vous n’avez pas mentionné le titre « 17 Octobre », qui pour moi est le plus poignant de tout les ‘historytelling’ de Médine, où on s’attache au personnage principal dans sa quête d’intégration. Et que dire de la fin de la chanson, au moment du drame et de la ‘ratonnade’.
    Médine est sans conteste pour moi l’un des meilleurs lyricistes de toute l’histoire du rap français.

    [Histoire de faire un peu de pub, j’ai moi même écrit une chanson de story telling, vous pouvez la voir en tapant sur YouTube « 27 Jours – Florian et Mahir » ;-)]

  2. Magnifique article sur un des plus grand rappeur français. On est loin du bling bling et ça fait du bien à nos cerveaux. Medine est très performant en terme d’écriture mais également de prestation scénique. J’ai eu la chance de le voir sur 2 tournées et il se donne à fond.

  3. C’est vrai que Disiz est bon dans ce domaine aussi mais il ne faut pas oublier que Lily est une retranscription libre du film True Romance de Tony Scott.

  4. Article intéressant, d’ailleurs j’avais toujours trouvé que Médine était le meilleur « StroryTeller » comme vous dites du rap français. Les « Enfants du Destin » sont vraiment des morceaux exceptionnels, car en 3 ou 4 minutes il nous fait pénétrer de plein pied dans un univers, intéressant qui plus est.

    Disiz est pour moi un autre rappeur a faire cela de façon assez remarquable , je pense notamment au morceau « Lyly » dans « Les Histoires Extraordinaires d’un Jeune de Banlieue »

  5. On dit souvent que l’Histoire est écrite par les vainqueurs et qu’ils oublient vite les passages les plus sombres. Nous avons écrits « grande histoire » pour contraster avec les « petites histoires » de Médine.

    Il est vrai que Kunta Kinte a été capturé par des noirs et des blancs et qu’il est devenu une référence régulière, un symbole presque.

    Personnellement, Du Panjshir à Harlem est mon préféré car il établit un parallèle inattendu entre deux histoires communes.

    Merci de votre réaction !

  6. grande Histoire aurait tendance à vouloir cacher piteusement sous le tapis.
    => qu’entendez-vous par grande histoire ?

    Sinon Kunta a été capturé par des noirs et des blancs ; Kunta Kinte est une référence qui revient régulièrement dans le rap français.

    En tout cas, les « Enfants du » restent à mes yeux les morceaux les plus efficaces et intéressants de Médine.

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