Interviews Rappeurs

[Interview] Gaïden – « Je suis vraiment à un tournant pour mes projets solo. »

Pour le confort des yeux, la version magazine de cet entretien est disponible à cette adresse.
Gaïden s’est fait un nom dans le rap français au travers des Rap Contenders. Mais il ne faut pourtant pas réduire ce rappeur à ses joutes verbales. Il possède aussi un flow inimitable et un univers particulier qui font de lui l’un des artistes à surveiller en 2012. Entretien avec un dinosaure.

Est-ce que tu peux nous raconter comment tu as grandi ? Je suis né dans le 94 à Ivry-Sur-Seine. J’ai grandi à Alfortville, une enfance normale. A l’école, j’étais un bon élève jusqu’à ce que je trouve ça trop facile et que je lâche. J’ai lâché au lycée et je n’ai pas eu le bac. Ça ne m’intéressait plus.

Qu’est devenue ta vie à ce moment-là ? J’ai arrêté les cours en terminale. J’ai fait pas mal de petits boulots après : télé-enquêteur, animateur, plongeur…

La bohème. C’est ça, la vie de bohème. Tous les tafs de merde : l’intérim, la manutention. J’ai même livré des catalogues La Redoute.

Quel est ton premier souvenir en tant qu’auditeur de rap ? C’est ma mère qui m’avait acheté un cd, je devais avoir sept ans. Ça devait s’appeler Générations Rap ou un truc dans ce genre, c’était une compilation comme il y en a eu un milliard. Il y avait Fabe, IAM, Alliance Ethnik etc. Il y avait à boire et à manger et j’avais bloqué sur un morceau de Big Brother Hakim «Même le diable ne peut plus m’aider». C’était ma première expérience en tant qu’auditeur.

Et à quel moment tu passes d’auditeur à rappeur ? En troisième, comme dans tous les lycées de ZEP, il y avait des groupes de rap de partout. J’en écoutais pas mal et je voyais des amis faire du son à droite à gauche.

Par mimétisme. Voilà, c’est comme quand tu vois tes potes jouer au foot et s’amuser. Tu as envie d’en profiter aussi.

Ça ressemblait à quoi les premiers sons de Gaïden ? Les premiers sons ont déjà mis du temps à arriver parce qu’il faut avoir un micro etc. Le tout premier texte que j’ai posé, c’était sans instru’. Je me suis rendu compte alors qu’il fallait poser en rythme et c’est là que j’ai compris que ce n’était pas si simple. Quand on pense que c’est facile le rap, il suffit d’essayer pour se rendre compte de la difficulté. Et au-delà d’être facile et d’avoir de l’aisance, ça fait appel à quelque chose de quasiment inné. Le sens du rythme, c’est un peu comme le sens de l’orientation. Tu peux le travailler mais tu n’auras jamais le niveau d’une personne qui l’a de naissance.

Quels étaient les thèmes des premiers sons ? C’était du nique ceci, nique cela. 9-4, 9-4, 9-4.

C’est l’époque de la Mafia K1 Fry, 113 ? Totalement. J’ai commencé à rapper à l’époque de Princes de la Ville de 113 si on veut situer.

Pour continuer la chronologie, c’est en 2003 que sort un cinq titres à Alfortville. En 2002, avec la MJC on monte une comédie musicale hip-hop. Un scénariste vient, le spectacle se passe très bien même si ça reste de l’amateur. Peut-être que je serais mort de rire en revoyant ça maintenant. En tout cas, la mairie avait proposé de nous payer un studio pour enregistrer un cinq titres. C’était donc ma première vraie expérience et ça avait été distribué dans toutes les boîtes aux lettres d’Alfortville.

Donc si on veut le retrouver, c’est compliqué ? Ah non, c’est introuvable et ce n’est pas à trouver !

On arrive en 2005. C’est l’heure de ta première scène clash. Un pote m’entraîne au Batofar, on est en plein dans l’époque 8 Mile. Je rentre dans la salle, je vois des types qui improvisent, qui se clashent… j’étais tétanisé. Té-ta-ni-sé. Il y avait une énergie, un feu ! Il y a toujours quelque chose qu’on ne sent pas quand on n’est pas sur les lieux. Même sur les vidéos Rap Contenders : parfois des victoires paraissent plus contestables sur internet alors qu’en direct, tout le monde a senti la vague. C’est indescriptible. Et donc, ce soir-là, mon pote m’avait inscrit sans que je le sache. Alors quand le présentateur appelle Gaïden versus untel, je me dis « oh merde ! » Surtout que je ne savais pas improviser. Heureusement que je suis tombé sur un très mauvais adversaire, j’ai gagné le premier clash. Je me suis fait rétamer à celui d’après.

Tu avais attrapé le virus ? Une fois qu’on a essayé, c’est captivant comme expérience. C’est Fight Club. C’est différent de monter sur scène. C’est à part. Le Batofar, c’était une arène remplie de gens surexcités. Une adrénaline vraiment particulière, tu pouvais être super chaud sur scène et avoir les jambes qui tremblent à cause de l’ambiance. C’était bon esprit même s’il y eut quelques tensions parfois mais pas plus qu’ailleurs. Je passe d’ailleurs un coucou à l’organisateur : Lex.

Après cette période clash, que deviens-tu ? J’ai intégré le label Kish Ki mais il était en mauvaise posture financière. J’y suis arrivé quasiment à la fermeture. Avec le recul, ce n’est pas plus mal parce que j’étais trop jeune pour sortir un album. Je me suis lancé dans ma première mixtape Dinologie Volume 1 qui regroupait plein de morceaux que j’avais fait. J’en avais pressé 1000 et elle était disponible en téléchargement.

D’où vient ce nom d’ailleurs ? C’est tout bête, un ami m’avait fait un dessin avec un dinosaure et quand j’ai dû réfléchir à un nom de mixtape, ça m’est venu spontanément. Il n’y a pas de sens caché.

Il y a eu trois Dinologies à ce jour. Oui, j’en ai sorti trois avec à peu près un an et demi d’intervalle entre chaque. Le but c’était de faire pas mal de featuring, de rencontrer des gens et de faire du son. J’ai toujours eu de la chance parce qu’on m’a toujours proposé des instrus, j’ai toujours eu des plans studios.

Est-ce que c’est vraiment de la chance ? Je ne sais pas si c’est de la chance mais en tout cas, c’est une aubaine. En tout cas, le but c’était de faire exister Gaïden en solo.

Tu penses que la troisième était la dernière ? Effectivement, il n’y aura pas de Dinologie 4. Mais ça ne veut pas dire que je ne vais plus faire de net tapes, que tout va devenir payant et que je vote à droite. La saga Dinologie s’arrête là. Je vais maintenant sortir des projets physiques qui vont être payants.

Tu as quand même des projets de net tape concret ? Je suis en train de bosser sur un projet en binôme avec Docteur Kimble.

J’ai entendu parler d’un E.P. avec Lunik aussi. On a déjà comme projet de faire un beau battle au Rap Contenders 4. Mais c’est vrai qu’on avait l’idée de faire un truc à deux parce qu’on s’entend super bien autant artistiquement que humainement. Il y a l’envie mais il y a la vie aussi… Je suis vraiment à un tournant pour mes projets solo. Auparavant, j’ai fait beaucoup de featurings mais je me lance dans du plus sérieux. Dans Toxiplasmose, il y aura vraiment des morceaux d’albums.

Donc Toxiplasmose est le nom de l’album ? Je n’ai pas été très clair dans mes annonces mais oui, c’est le nom de l’album ! J’ai beaucoup annoncé « Paix, Amour et Actes de Barbarie » : il n’est pas avorté. L’album sortira en premier puis ce maxi plus tard dans l’année.

Tu auras des collaborations sur l’album ? Il y aura Lunik, Docteur Kimble, Cezam, Wojtek, Vincenz, Yoshi, Specta et Alpha Wann. Il y aura aussi deux featurings étrangers puisque j’ai Tanya Michelle sur un morceau qui tue et Red Light Boogie, un MC hollandais.

Alpha Wann est partout en ce moment ! Il lui arrive tout le mal que je leur souhaite à lui et ses crews. Je ne leur souhaite que du bien. Il y a pas mal de gens que 1995 énerve mais je suis content pour eux !

Tu comptes défendre ton album sur scène ? J’aimerais bien faire une date pour la sortie effectivement, mettre les entrées à 1 Euro et faire une grosse soirée.

Pour revenir un peu en arrière, comment tu rentres aux Rap Contenders ? Je reçois un mail de Dony S qui avait récupéré des noms de l’époque du Batofar. Il m’annonce qu’il veut adapter les Word Up en France et il me demande si je veux participer. Ça m’amusait de refaire du clash alors j’ai dit oui.

Sur les trois que tu as faits, lequel est le meilleur ? Je vais te répondre en deux temps. Mon premier est nul, je n’étais pas bien dans mon rap et j’étais dans une période de doute. Je suis arrivé sans trop savoir où je mettais les pieds. J’avais écrit vite fait mon texte et j’ai eu de la chance de tomber sur un Srin Po qui avait des problèmes de mémoire. Sur le premier je ne peux être qu’humble puisque j’ai été mauvais. Il y a des gens qui pensent qu’il y a eu une progression mais c’est juste que je n’étais pas à mon vrai niveau. C’est juste une mauvaise performance.
Pour répondre à ta question, je me trouve meilleur face à TZN mais le battle contre Deen est plus intéressant, sans manquer de respect à quiconque. Sur le deuxième, j’avais tellement envie de me racheter de ma prestation du premier. J’étais vraiment blessé dans mon égo surtout que le concept commençait à marcher et que je ne voulais pas passer à côté. Deen a peut-être été un peu en dessous de son niveau ce jour-là mais il reste dans le haut du panier du Rap Contenders et je le salue bien bas.

D’ailleurs c’est assez appréciable de voir les MC’s du RC collaborer régulièrement ensemble. C’est vrai que l’ambiance est super bonne, on est tous en coulisse avant. Il n’y a vraiment aucune tension.

Est-ce que tu penses que le clash s’ancre dans une tradition française ? C’est certain, clairement. L’expression joutes verbales existait avant le mot clash. C’est juste du théâtre moderne. Je dirais même que c’est une tradition humaine plus que française.

Et on t’a senti très fâché à l’annonce de la fin des RC. Ah oui, c’était un truc de fou ! Je n’ai jamais eu autant de réactions sur internet ! J’étais très déçu surtout : on s’amusait bien, c’était bénéfique à tout le monde et il n’y avait pas de raison pour que ça s’arrête.

Ta notoriété a complètement explosé avec ces joutes verbales. Comment tu gères cette situation ? Je me pose la question aussi. Ça ne rentre pas vraiment en ligne de compte, je ne calcule pas trop même si ça fait plaisir.

Pour changer de sujet, j’ai lu dans une interview que tu n’écoutais quasiment pas de rap français. J’en écoute mais c’est pas mal de gens que je connais. Mais en même temps, je n’écoute pas que du rap, je suis beaucoup dans la soul. En vrai, j’écoute beaucoup de rap français mais surtout certains albums qui sont des classiques pour moi et très peu de nouveautés. Je reviens toujours à 3X Plus Efficace de 2Bal 2Neg. Ce n’est pas une sorte de mépris, ce n’est qu’une question de goût. Pour résumer, j’écoute de tout et je n’exclus rien.

Et comment tu vois l’avenir du rap en France? Il y a quelques temps je pensais qu’on allait droit dans le mur. On a survécu à la vague électro. Pour les quatre ans à venir, on a un très beau cycle. Je pense qu’il va y avoir beaucoup d’artistes nouveaux en 2012, le catalogue se renouvelle. Le terrain est fertile !

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

3 commentaires

  1. J’ai un son de Gaiden dans mon répertoire, je crois que c’est un de ces premiers ^^ Pas totalement introuvable 😉

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