Focus sur

[Focus Sur…] La Fanfare en Pétard.

Comme un petit frère gravitant autour de son ainé et l’observant avec une admiration à peine dissimulée, le rap entretient avec le Jazz un rapport privilégié. Inconsciemment, le rap a toujours voulu ressembler à ce grand frère devenu prestigieux et c’est donc tout naturellement qu’il a commencé à le sampler. Avec un certain respect dans l’approche et une bonne dose de savoir faire, ce rapprochement est devenu un style qu’on a qualifié de ” hip hop jazzy ” ou ” jazz hop”.

Outre Atlantique et spécialement du côté de la Nouvelle Orléans, certains ont souhaité aller plus loin. Tiraillé entre une tradition prégnante et une tendance naturelle aux musiques actuelles, des groupes comme le Young Blood Brass Band allie le jeu de fanfare et l’esprit jazz de New Orléans avec la force du funk et des lyrics raps. Devenu une référence mondiale depuis plus de 10 ans, ce groupe est la tête de pont d’un sous genre rap qui bien que modeste est clairement identifié aux Etats-Unis.

En France le genre est beaucoup plus confidentiel. La Fanfare en Pétard, groupe venu de Strasbourg et actif depuis de nombreuses années est l’un d’entre eux. Comme son nom l’indique, c’est est une véritable fanfare reposant sur une grosse cuivre (saxophone et trompette) accompagnée de trombone et grosse caisse. Très vite étiqueté groupe alternatif, la Fanfare en Pétard est à nos oreilles un groupe de rap. Dans un interview filmé, Gaston l’interprète, analyse très bien les similitudes et les différences qu’il peut exister entre son groupe et d’autres plus classiques. ” Ce qu’on peut dire, c’est qu’un moment la rage elle sort. Un moment donné il faut crier.Moi quand j’écris des textes, c’est de la rage brut. Ce n’est pas exactement la même démarche qu’un groupe comme La Rumeur qui a une démarche plus argumentée. Nous, notre objectif sur cet album, c’est d’avoir un truc assez brut et de dire à ces gens (aux politiques), on vous emmerde !

La rage et ce besoin pressant d’écrire comme remède à l’angoisse ambiant. Comme beaucoup de rappeurs dont on ne remet pas en cause la légitimité, l’écriture de la Fanfare prend sa source dans ce mal de vivre et ce sentiment de vivre dans un monde cloisonné.

 ” Y’a que des murs ici, des barrières, des barbelés /  des portiques, des frontières et l’art de les faire exploser “

L’ambition est de détruire ces murs par les textes et de poser des ponts entre les genres musicaux. Contrairement aux rappeurs qui respectent malgré tous certains codes d’écriture, l’écriture de Gaston est instinctive. De fait, si des textes comme ceux de Noir comme l’or ont un débit indéniablement hip hop, ils n’en ont pas la structure. Exit les assonances et autres allitérations à foison, l’aspect technique se concentre essentiellement sur le placement. Placement de la respiration et les coupes dans la phrase sont utilisés pour donner du rythme. Toujours plus de rythme à un flow dicté par l’urgence. Exemple flagrant : « Tant de choses à faire, tant de chose à penser / J’suis cerné ici j’ai (…) / Assiégé par les chiffres et les papiers / appuie sur off, tue le temps ! »

Vous l’avez compris, on a autant de chance de trouver une punchline à la Youssoupha dans les textes de Gaston que de trouver une déclaration d’impôt dans la poche de Thévenoud.

Si la sophistication des textes est moindre, ils n’en sont pas moins directs et ne laissent aucun doute quand à la philosophie du groupe. Ces textes analysent froidement nos sociétés et nos rapports sociaux déliquescents comme dans le très actuel Ermite : « Ermite dans la jungle grise / Plus d’une fois c’est la folie qu’on frise / Attitude loufoque, mal comprise /J’puise ma motivation dans les ombres où gisent nombre de mes ambitions (…) / Pendant ce temps la, les mutants butent, ne savent pas ce qu’ils veulent / parce qu’ils sont seuls et restent enfant / Pendant ce temps, les mutants percutent leur paradis, esseulés, / percutent leur paradis en dansant. »

Musicalement, l’utilisation d’un live band permet une exceptionnelle souplesse dans la variété des styles abordés. L’utilisation d’instruments permet un type de création que peut difficilement atteindre un beatmaker derrière sa machine. Sans tomber dans l’opposition stérile entre instrument organique/ instrument électronique, on constate que les cuivres de la Fanfare ne manquent pas de puissance et permettent de sortir plus facilement des schémas hip hop de bases .Capable de jouer à haut niveau d’agression comme sur le nerveux Puppets ou de temporiser pour approcher du reggae Tempo di reggae, cette versatilité se ressent tout au long de l’album et contribue à casser les murs et par là même les codes.

Cette opposition n’a effectivement pas lieu d’être puisque la fanfare n’hésite pas à utiliser des boites à rythme et autres platines dans ces morceaux comme dans ce Noir sur l’Or au rythme drum’n’bass. Le monde est curieux renferme également de belles plages instrumentales comme Afrovalse qui se situe à mi-chemin entre le jazz et un je-ne-sais-quoi de plus dansant. C’est d’ailleurs dans les morceaux plus lents comme Ermite que le potentiel de la Fanfare en Pétard s’exprime à plein. Symbiose parfaite entre textes et ligne mélodique fanfaronne, c’est la quintessence d’un groupe aux multiples facettes qui refuse de se laisser enfermer dans un style quelconque.

Pourtant, nous prendrons quand même le risque de les classer.  Parce que, situé à l’autre extrémité du spectre rap français, La Fanfare construit un rap profondément différent. Différent parce que construit sur une autre logique et qui brasse davantage d’influences. Il touchera probablement aussi un public différent du rap classique et en cela, La Fanfare en Pétard est un groupe important qui méritait sa place dans nos colonnes.

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