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Jul, l’idole des puristes est de retour

Pour certains (et pour bon nombre de rédacteurs de votre site préféré), Jul ne mérite pas d’être cité comme un artiste de rap. Pourtant, comme tous les bons rappeurs avant lui, il représente le quartier et les galériens. Une des raisons qui nous font attendre son nouvel album avec curiosité – à défaut de l’attendre avec impatience.

Au quartier il ne fait que tourner ; les frères m’ont dit que c’était la même dans les cellules. Ça me rappelle l’époque où ça faisait péter les sons de Lunatic sur le parking de derrière. Celle, aussi, où toute une génération, traumatisée par la FF, a troqué ses baggys pour un bas de survet’ et des lamelles. Mais l’unanimité est moins vérifiable, et sans doute moins vraie. Car Ju Ju Jul est devenu la cible préférée des snobs et des « rageux » 2.O, courageux profils fantomatiques de derrière l’écran. Une fois encore, Ali disait vrai. « Nos récits trop souvent incompris, non pas pour notre mauvaise diction ; ceux qui n’ont vu de la vie que distraction diront que notre science est fiction ». Car, si les rimes de Jul sont loin d’être une science, on sait que leurs propos, d’apparence simpliste, ne sonnent juste que pour ceux qui ont côtoyé la chienneté et s’y sont complus. D’où l’incompréhension qu’il semble susciter parmi les non-initiés.

Jul, c’est aussi un artiste décrié, à raison cette fois-ci peut-être, pour ses morceaux « dansants » qui plaisent à de nombreux adolescent(e)s. Et il est vrai que si le marseillais n’est pas vraiment capable du meilleur, il est souvent capable du pire. Pourtant, chez nous, les titres de Jul qui tournent appartiennent clairement à une autre catégorie de rap. Pas d’entertainement ici, comme ils disent maintenant. Seulement un langage vrai, cru et simple ; trop, peut-être, pour les auditeurs qui pensent que le rap n’est qu’un enchevêtrement complexe (mais au final souvent laborieux) de rimes multi-syllabiques et de figures de style.

Nous, en groupe en tout cas, on a jamais eu besoin de ça pour kiffer. Suffit que ça parle du quotidien, d’un quotidien merveilleusement banal. Et d’une sale époque où les déclassés croient se payer une respectabilité avec une écharpe Burberry. Et Jul, y’a pas dire, il représente. Alors, vu le contexte actuel, on en a un peu rien à foutre que ses prods sentent le logiciel d’ordinateur portable, que l’autotune soit prédominant (quoique) et que ses refrains commerciaux gâchent parfois des couplets qui mériteraient mieux. D’ailleurs, on n’écoute pas tout chez lui (ses derniers sons ne sont tout bonnement pas écoutables). Mais rien que quelques tracks – T’as coulé en tête – nous ont fait comprendre pourquoi il pouvait s’inscrire dans la droite lignée de rappeurs authentiques (j’entends déjà crier au sacrilège).

Pour une fois, depuis un temps qui nous a semblé bien long, un rappeur de quartier pose avec sincérité et narre simplement sa vie et celle de ses proches, nonobstant la mode actuelle basée sur le paraître, la force et l’illusion. Alors, certes, on le répète une fois encore pour les esprits étroits, les prods sont limites, les textes ne brillent pas par leur qualité littéraire, mais le contenu évoque des situations trop souvent familières pour que l’on reste de glace. Et puis après tout, on n’en veut pas à ceux qui ne comprennent pas le délire. Chacun son histoire. Mais qu’ils s’abstiennent de juger car on le prendrait, une fois sous résine, pour une énième représentation de la lutte des classes : au final, si Jul est tant détesté, c’est en partie pour son prétendu mauvais goût populaire – les commentaires des internautes témoignent d’un mépris qui dépasse largement le débat musical ; et on sait combien les nantis pensent détenir la vérité en matière de goût artistique.

Fallait leur dire, histoire de calmer un peu les ardeurs des grands défenseurs de l’éthique rap devant l’éternel ; les mêmes, d’ailleurs, qui se gargarisent des clips de Kaaris, à l’imagerie bien plus ambiguë que celle du rappeur marseillais – gageons que si ce dernier avait été noir, les blancs l’auraient soudain trouvé bien plus fun. Jul, d’ailleurs, c’est aussi le révélateur d’une profonde scission existante entre les différents publics rap. Deux publics qui se tournent le dos, chacun ignorant les goûts de l’autre dans un mépris de classe à peine déguisé (d’un côté comme de l’autre). Un dédain sans doute responsable du fait que ses détracteurs se soient bornés à voir en lui l’image qu’il reflète, sans même penser à écouter des titres moins diffusés, pourtant de qualité.

Alors oui, au fond de nous, on aurait préféré que d’autres artistes, bien au-dessus de Jul, sortent enfin un nouvel album en prise avec l’époque et les aspirations de ceux qu’on ne perçoit dans la sphère médiatique qu’à travers le prisme des caricatures les plus grossières. Un de ces albums capables d’apporter de nouveau une véritable unité parmi les auditeurs. Mais on dit que chaque époque a les héros qu’elle mérite. Tant pis pour nous. En attendant que l’on bascule dans une autre ère, le nouveau Jul, Je trouve pas le sommeil, sort aujourd’hui, toujours en indé. Espérons qu’il relève le niveau des médiocres premiers extraits. Histoire de kiffer encore ensemble en toute simplicité. Et d’aider Fafa à en rouler un autre.

 

 

À proposYugo Veronese

Yugo Veronese pour les réseaux sociaux. Aime le rap, rarement les rappeurs.

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