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[Interview] Camélia Pand’or : « C’était la plus belle expérience de ma vie. »

Ça faisait un très long moment que l’on souhaitait rencontrer Camélia. On voulait lui parler de beaucoup de choses notamment de cinéma puisqu’on la savait cinéphile. C’est  donc avec grand plaisir que nous l’avons croisée avant la projection de Max et Lenny dans lequel elle joue le rôle principal. Entretien.

Tu peux nous raconter comment ce projet est né ?
Le réalisateur cherchait le rôle de Lenny depuis un an et demi. Il a d’abord cherché à Marseille mais il avait deux critères : que la fille n’ait pas d’accent et qu’elle ait un rapport avec les mots naturel. Il n’a pas trouvé alors il a commencé à chercher sur internet. Il est tombé sur mon clip Twenty, il a kiffé puis il m’a contacté. J’ai mis très longtemps à aller passer les castings, je lui ai mis trois lapins. Finalement, j’y suis allé et j’ai été prise.

Et à partir de là ?
On m’a fait passer plusieurs castings avec l’actrice qui jouait Max et ça s’est enchaîné. Trois mois après, on était à Marseille en répétition. Le tournage a commencé en septembre 2013 pour se finir en octobre et depuis on attend la sortie.

Tu es plutôt discrète, qu’est-ce que ça fait de passer sur grand écran ?
Ça fait très bizarre. J’ai vu le film trois fois. La première fois, je n’ai pas aimé, ça ne m’a pas touché. Je n’ai pas réussi à prendre le recul nécessaire, je voyais ce qui se passait derrière la caméra. J’ai plus apprécié la deuxième fois et la troisième, ça m’a touché. C’est un beau film et tout le monde est fier donc ça fait du bien.

On en a parlé en off, tu voulais rectifier une idée reçue sur le film.
Oui, les gens pensent que c’est inspiré de la vie de Keny Arkana alors que c’est faux. Tout est fictif. Le réalisateur a simplement écrit le scénario en écoutant les morceaux de Keny.

Il avait l’idée du scénario avant de découvrir Keny Arkana, via ses filles.
Voilà, il a juste transformé son personnage de Lenny en quelqu’un de plus fermé. L’histoire d’amitié était déjà là. Et puis, ce n’est pas un film sur le rap. C’est la musique comme moteur d’épanouissement personnel, c’est une histoire d’amitié et d’aventure. Ce sont plutôt des thèmes universels. Ça aurait pu être une autre musique.

Ton personnage a quelques similitudes avec Keny Arkana, quand même.
Oui, bien sur. Ce qui l’a inspiré, c’est le côté solitaire, marginal et qui s’exprime grâce aux mots. Et ça s’arrête là, ça aurait pu être moi..

Tu as eu des retours dans le rap français ?
Non, pas vraiment. J’ai invité Nekfeu à la première, il a adoré le film et il m’a dit que ça lui avait fait plaisir de voir L’Indis au cinéma.

Il joue dedans ?
Non mais à un moment, il y a un clip qui tourne et je commente. Le réalisateur m’a laissé choisir et m’a dit que si je voulais dire quelque chose sur le rap, j’avais carte blanche. Alors j’ai mis Bruno et je dis que ce mec est un poète, que ça fait des années qu’il est dans le rap et qu’il n’est pas représenté à sa juste valeur parce qu’aujourd’hui dans le rap, on préfère véhiculer des messages de violence, d’amalgame et de cliché. C’est un message contre l’industrie.

Est-ce que tu avais la volonté de faire du cinéma ?
Quand j’étais plus jeune, oui. J’avais fait un an de théâtre à dix ans et j’ai toujours été très cinéphile. Mais le cinéma français est particulier et c’est encore plus particulier quand tu es issue de l’immigration, comme ils disent. J’ai très vite vu à quels rôles on allait me cantonner. Je n’avais pas envie de jouer des jeunes de cité. Après j’avais aussi envie de devenir journaliste alors j’avais pensé à être critique de cinéma mais sans passer par le système scolaire classique. Je m’étais dit « j’ai une culture, je sais écrire, ça va le faire » mais ça ne se passe pas comme ça. Finalement, le vent m’a emporté ailleurs.

Pour t’y ramener, du coup.
Grave ! Ça s’appelle le destin ça ! Après c’était mon premier film et peut-être aussi mon dernier mais franchement, c’est déjà énorme.

Et tu retiens quoi de l’expérience du tournage ?
Exceptionnel ! C’était la plus belle expérience de ma vie et pourtant, j’en ai vécu des choses. A aucun moment, je n’ai eu l’impression de travailler. J’étais dans un cocon, j’habitais dans un immense appartement sur le Vieux-Port avec Jisca Kalvanda. J’avais un chauffeur, on mangeait au restaurant à tous les repas.

La vie de rêve, comme dirait Alonzo.
(Rires) Et puis, ça faisait trois ans que je galérais vraiment et ce tournage me tombe dessus comme ça. Je me suis dit longtemps que j’allais le payer, que s’il m’arrivait quelque chose d’aussi bien, il allait forcément survenir quelque chose de mal. Le karma, quoi. Mais en fait non, j’ai dû déjà assez payé.

Ça a dû changer ta façon de regarder des films.
Carrément ! Aujourd’hui, je ne peux plus regarder un film pareil. C’est limite si je ne suis plus le film. C’était vraiment fou et je suis sûr que n’importe qui aurait envie de recommencer.

Est-ce que ton expérience de rappeuse t’a aidé à appréhender le jeu face à la caméra, le placement des phrases etc. ?
Je pense mais c’est inconscient. Le tournage a duré cinq semaines mais j’en ai mis au moins trois à comprendre ce qu’il se passait. J’y ai été au feeling mais parfois ce n’était pas forcément évident, notamment les scènes d’émotions. Mais par exemple, il y a une scène de concert dans le film et ça m’a clairement aidé d’avoir de l’expérience pour recommencer dix fois de suite la même scène.

D’ailleurs, tu rappes tes propres textes dans le film ?
Oui, uniquement. J’ai tout écrit pour le film d’où le cd qui est vendu à côté. D’ailleurs, la distribution nous a offert 500 exemplaires pour la vente. J’avais tout à gagner dans ce film, ça a vraiment mis ma musique en avant. J’ai été dans des villages paumés que je ne connaissais même pas. Il y a des petits vieux qui sont venus me voir à la fin des projections pour me dire qu’ils ne savaient pas que c’était ça le rap.

Tu te dis que t’as peut-être fait quelque chose de bien ?
J’avais envie de faire ce film pour redonner aussi ses lettres de noblesse au rap français, sans prétention aucune. Je m’inscris dans le rap à textes et ce n’est pas le rap que les gens ont l’opportunité d’entendre quand ils allument leurs radios.

Est-ce que tu as senti un regain de notoriété depuis la sortie du film ?
D’abord après la parution de la bande-annonce. Je n’avais pas forcément communiqué sur le fait que j’avais tourné dans un film alors ça a surpris pas mal de gens. Mais surtout après le passage chez Ruquier en fait. J’ai reçu énormément de messages et je ne sais même pas comment je vais y répondre. Ce qui est drôle, ce sont les gens que tu connais depuis dix piges, tu les as sur Facebook depuis quatre ans, ils n’ont jamais partagé un morceau et ils viennent discuter avec toi. Je trouve ça super triste.

C’est le mauvais versant de la célébrité.
Voilà et quand tu es bien entouré, tu t’en bats les couilles. Mais c’est moche, fais-le au moins discrètement, attends une semaine après Ruquier.

D’ailleurs, comment ça s’est passé ?
Très bien. J’appréhendais un peu parce que je sais comment on accueille les rappeurs à la télé, j’avais peur de me faire piéger.

C’est quand même différent puisque tu n’interviens pas en tant que rappeuse.
Bien sûr mais je savais qu’on allait forcément parler de mon rap alors je ne savais pas trop. Finalement sous mon nom, ils ont écrit comédienne et ça m’a fait plaisir. Et cinq minutes avant de monter sur le plateau, Ruquier est venu nous voir pour nous rassurer. Il nous a dit qu’il avait adoré le film et qu’il voulait nous aider. Après on m’a reproché d’ouvrir trop ma gueule pendant l’émission mais je suis entière, c’est comme ça.

Tu avais l’air remontée le lendemain de l’émission.
Oui, parce que j’ai l’impression que ça fait chier les gens que j’en sois là. On dirait que ça les emmerde que je ne reste pas bloqué aux battles. Et même plus globalement, ça dérange certains mecs que je sois une meuf et que je réussisse.

Parlons de rap, tu en es où dans tes projets ?
Ça fait un moment que je ne me suis pas penchée sur mon prochain projet qui sera exclusivement produit par Street Rockaz. On est sur un dix titres, il y a six titres qui sont déjà maquettés. On devrait avoir trois featurings : Yepa, Georgio et j’aimerais avoir Eli MC. Mais ça fait six mois que je n’y ai pas mis une oreille. Je me remets dessus après la promotion du film fin avril pour une sortie en septembre.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

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