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[Chronique] Gradur – L’homme au bob

Peut-on analyser un premier album en restant objectif et faire fi du contexte qu’il y a autour ? Clairement, non. Pour ceux qui auraient passé 2014 loin des radios et d’Internet, Gradur était clairement le phénomène rap de l’année. Des freestyles vidéos ont fait monter le buzz autour de ce rappeur qui ramène une énergie comme on en voit peu dans le rap gaulois. Sa mixtape gratuite Sheguey Vara a été placé dans le top 10 des Mixtapes/EP’s de l’année par notre rédaction, récompensant plus Gradur le rookie, qu’un projet assez fourre-tout, dans lequel on peut entendre poser à peu près tous les mecs de Schweitzer, le quartier de Roubaix d’où est originaire notre révélation.

Après une signature chez Universal ultra médiatisée dans le milieu et l’émission quotidienne de Fred Musa, L’homme au Bob est devenu un des projets les plus attendus de l’année, bien placé dans le calendrier entre les sorties de Lino et Booba. Ce dernier est surement le grand absent de la tracklist de l’album, lui qui a relayé une des premières vidéos de Gradi, aidant beaucoup à son buzz. A la place nous retrouvons quand même des gros noms du rap estampillé « street-mais-grand-public » comme Alonzo, Niro ou Lacrim, tous signés dans la même maison de disque. Chacun s’accoutume bien au style du sheguey (expression bien partie pour finir dans le prochain Larousse) fait de trap, gimmicks et textes mongols totalement assumés. Décortiquons ces trois aspects qui font la signature du rappeur du 59.

La musique, tout d’abord, doit être un atout essentiel quand on assume clairement de ne pas être un grand parolier. L’ensemble est cohérent et se laisse bien écouter pour ceux qui ont accepté que la trap est le nouveau « boom-bap/piano/violon » du rap français. Un style que tout le monde s’est accaparé, plaçant ses auteurs dans une certaine zone de confort, mais qui rend aussi les auditeurs de plus en plus exigeants, l’offre étant vaste dans le domaine. Et là on est en droit d’être déçu : alors que le budget featurings semble avoir été victime de largesses (Chief Keef et les Migos ne sont pas des bénévoles), celui des beatmakers paraît plus resserré. Pas de gros noms comme auraient pu l’être Therapy (bien occupé avec le deuxième Kaaris) ou Richie Beats (dont le travail avec Booba fait saliver) mais des Leplace ou Heytam. Certaines prods comme Jamais ou RDC tirent clairement leur épingle du jeu et l’album vers le haut. Pour le reste, il manque une prise de risque et l’album tourne en rond – ce qui a le mérite de le rendre assez homogène.

Gimmicks, flows, énergie, présence. Si le rap était un jeu de foot sur console, les meilleures notes de Gradur se situeraient dans ces domaines. L’ex-militaire rappe chaque couplet comme si c’était le premier et le dernier de sa vie. Une débauche d’énergie qui transpire dans chacun des couplets et crée une certaine fascination, d’autant que malgré la puissance de son rap, Gradur a une voix agréable, voire douce (cf Jamais). Le bonhomme a des allures de machine à rapper et maîtrise déjà bien les subtilités de son art (placements, variations et tout le package du bon MC) malgré son manque d’expérience. Son innocence (oui, on peut dire ça de Gradur) est compensée par un certain stakhanovisme, le garçon ayant sorti une bonne cinquantaine de morceaux en l’espace d’un an. L’album, quasiment sorti dans l’urgence – bénéficie de cette spontanéité. Le rap de Gradur donne le sourire même dans la douleur et motive qu’on soit dans une salle de muscu ou en train de rédiger une chronique pour Le Rap En France. Mais cette spontanéité trouve sa limite quand il s’agit d’étudier les textes de L’Homme au bob.

Les paroles de Gradur sont son point faible et il avoue lui-même ne quasiment pas les écrire. D’où un côté freestyle assez rafraîchissant (une version nordiste de JUL ?) mais aussi criant de carence au moment de sortir un projet qu’on attend toujours un peu plus sérieux quand il est estampillé « album ». Là où Kaaris surprenait son monde en mettant de belles tournures sur des images crades, Gradur y va franc-jeu. Les phases de Gradidur arrivent comme une caméra au poing au milieu d’une ambiance enfumée, d’une soirée arrosée ou d’un gang-bang. La weed (qu’elle soit vendue, fumée ou roulée), la tise comme moteur d’inspiration et les différentes façons d’éjaculer sont les thèmes de prédilection du Sheguey. Pas de quoi assurer une victoire de la musique urbaine en 2016, mais au moins ça défoule. Les paroles de Gradur sont un sac de frappe dans lequel on lâche tout ce qu’on a dans les tripes en laissant son cerveau vide. Pourtant, le Pas-de-Calaisiens sait se révéler touchant et complexe quand il se livre sur son parcours et son nouveau statut (Confessions) ou ses problèmes personnels (Verre de sky). Il sera intéressant de voir à quoi vont ressembler les lyrics du second album d’un mec qui a promis qu’il s’appliquera plus face à la feuille blanche, surement plus libre de prendre son temps après le succès commercial de ce premier effort.

Tous les éléments de L’homme au bob reflète l’univers de son auteur : le côté martial colle parfaitement à sa période à l’armée. Son dynamisme reflète son amour du sport (pour les amateurs de corps musclés qui poussent la fonte, tapez « gradur traction » dans votre moteur de recherche) et ses textes rappellent son côté naturel et sincère que l’on ressent bien dans les quelques interviews vidéos qu’il a données. Un cocktail sans surprise mais efficace, qui met bien sur le coup mais laisse sans trop de souvenir le lendemain.

2 commentaires

  1. Critique gentillette. J’ai lu ce beau billet et j’ai surtout écouté les titres de Gradur. Et ma question préférée… Pourquoi perdre son temps en jolies formules et en figures de style pour un rappeur qui n’a rien de tout ça?

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