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Portrait d’Alexandre Chirat, auteur de Booba.

Alexandre a 22 ans. Il est professeur de SES à Lyon depuis six mois. Il a grandi dans un endroit reculé de la Loire. En somme, il n’était pas vraiment destiné à devenir fan de Booba au point d’en écrire un livre. Et pourtant…

C’est une histoire qui commence dans la douleur. Alexandre découvre Booba dans des circonstances vraiment particulières. En effet en 2010, à l’enterrement d’un de ses amis, le morceau Ma Couleur résonne dans l’église. Il a alors 18 ans. Il se concentre sur les paroles et il est remué par la profondeur et la mélancolie du morceau qui colle plutôt bien au moment.

Alors qu’il vivait loin du rap, il est percuté de plein fouet. Il avoue sans problème : « Je vis à la campagne et j’avais une vision vraiment cliché de ce genre musical. Dire le contraire serait de la malhonnêteté intellectuelle. J’étais resté à la caricature wesh-wesh yo-yo » La révélation B20 sonne pour lui comme une naissance musicale. Il se jette à corps perdu dans l’écoute des albums de l’enfant de Boulogne, à en frôler l’obsession. Il confie : « Je n’arrêtais pas d’écouter. C’était plus fort que moi. Sans cesse j’allais mettre le Cd dans la chaine pour réécouter. J’étais troublé. Je n’aimais pas le rap. Et j’avais en face de moi quelque chose de totalement étranger qui me bouleversait. » Forcément, sa rencontre avec le rap français modifie profondément sa manière d’écouter de la musique. Il nous dévoile qu’il « porte beaucoup plus attention aux paroles » et qu’il « écoute dorénavant de la musique sans rien faire d’autre. »

Il réfute les termes d’exutoire et de catharsis en penchant plus pour la révélation. Une sorte d’épiphanie. Avant ça, il n’accrochait pas avec Booba. Il nous dit même que c’était presque « un principe de ne pas écouter de rap.» Quand on lui demande si ce n’est pas un curieux credo, il ne se débine pas : « Oui, vraiment. C’est cela qui me trouble aujourd’hui. On n’écoutait pas de rap chez moi. J’étais aussi à une époque de ma vie où je pensais que la culture était très hiérarchisée. Et finalement j’allais vers ce que les médias mettent en avant. A seize ans, on est si malléable qu’il suffit d’entendre quelqu’un que l’on juge légitime critiquer quelque chose pour s’en détourner. Puis j’ai fait de la sociologie. Cela m’a permis de remettre en cause certains préjugés à l’égard du rap. Ma ferveur n’en a été finalement que plus forte. »

Ce processus, c’est finalement celui de beaucoup de gens qui n’ont pas baignés dans le rap et qui le découvrent tard dans leur vie. Booba devient une rampe de lancement pour Alexandre qui glisse vers Lucio Bukowski ou Hugo TSR. Mais il revient toujours à l’ourson. Alors il s’interroge sur un autre processus : pourquoi revient-on continuellement à certains artistes ? Que se passe-t-il dans notre cerveau pour que nous soyons régis par un besoin quasi compulsif d’écouter une chanson ?

Pour y répondre, il a scindé son livre en cinq chapitres. Dans le premier, il analyse l’œuvre de Booba afin de présenter le rappeur aux lecteurs. Le second s’attache à mettre en perspective ses textes avec ceux de Verlaine, Baudelaire, Artaud et Michaux. Le troisième chapitre tente d’expliquer de manière analytique l’importance du rythme dans la création musicale et poétique. « C’est un peu la partie où j’essaye finalement de rationaliser mon désir d’aller vers les morceaux de Booba sans cesse », nous explique-t-il. « Dans une quatrième partie, je pose la question suivante: Que nous fait la musique? Et, que nous fait-elle faire. Autrement dit, j’analyse ce que l’on pourrait appeler les ressorts affectifs de l’écoute musicale. »

Et la dernière partie ? Alexandre Chirat propose une autre philosophie de la musique selon ses propres termes. Pour expliquer plus clairement, il trouve les mots : « Je tente de répondre à la question « qu’est-ce qu’une bonne musique ? » Je cherche à résoudre un paradoxe. Je souhaite que la réponse soit perçue comme objective sans que cela empêche finalement que chaque individu, en fonction de ses affections personnelles, puisse considérer qu’une musique est bonne sans qu’un autre la perçoive comme telle. »

Pour écrire ce livre, l’enfant de la Loire s’appuie sur Rap Genius pour décrypter les textes du rappeur mais aussi sur les livres de Jankélévitch, Nietzsche, Spinoza ou encore Lordon et Deleuze.

Une question se pose quand même. N’est-il pas un peu curieux d’appeler le livre Booba alors qu’il ne traite pas exclusivement de lui ? Il balaie nos doutes d’un revers de la main : « Si le livre se nomme ainsi, c’est parce que c’est l’écoute de son œuvre qui a généré l’écriture. Mais tout le livre ne traite pas de lui, ça va au-delà. » La problématique du livre est finalement universelle et Alexandre a accepté de nous résumer succinctement son raisonnement final. « La conclusion de mon livre est qu’une bonne musique est celle qui excite notre capacité à être affecté, à ressentir. Autrement dit, c’est ce qui me pousse et c’est volontaire de ne pas mettre vers quoi. Simplement, la musique génère une sorte de puissance qu’on garde en nous et qu’on réinvestit ailleurs. »

Bien évidemment, Alexandre a contacté Booba mais la lettre est restée morte. Il ne sait même pas si l’exilé de Miami en a entendu parler. Connaissant l’omniprésence du lascar sur les réseaux sociaux, on est prêt à prendre les paris que oui.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

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