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D.U.C., diviser pour mieux règner

Quand il s’agit de Booba, le monde se divise, non en deux, mais en trois catégories.

Il y a d’abord, bien sur, ses fans inconditionnels. Il s’agit de ceux qui connaissent ses albums par coeur, regardent de près ses clashs, suivent même son compte instagram et ne manquent pas d’acheter une fringue Unküt de temps à autre. On les soupçonne d’avoir souvent autour de quatorze ans, mais il faut bien reconnaître qu’il doit y en avoir d’autres dans le lot. Il en faut des pré-ados sans revenus pour toper les charts d’itunes à chaque sortie d’album.

De l’autre côté de la balance, il y a ensuite ses anciens compères, déçus par le virage pris par Booba pendant sa carrière solo. Compères parce que, à en entendre certains, ils étaient en lien direct avec le B2o pendant ses incarcérations, et ce dernier leur faisait probablement des comptes rendus au parloir sur sa progression dans les paroles de Mauvais Oeil. Et d’ailleurs, à l’époque, ils étaient trente à l’écouter dans une cave à Boulogne. Difficile alors de comprendre l’étoffe du Duc pour les autres petits auditeurs, qui ne doivent forcément connaître Eli que depuis l’apparition d’Instagram.

Puis, troisième catégorie, ceux qui vivent une relation passionnelle avec le Duc depuis quelques années. Ce sont ceux qui n’ont pas toujours été d’accord avec tout, qui ont des périodes avec et des périodes sans, mais qui à force de concessions, ont fini par se laisser prendre au jeu, et se sont même surpris à trouver l’auto-tune parfois “de circonstance”. Un peu comme ce mec qui se remet avec son ex après quelques années d’expatriation. Il est passé par tous les stades sentimentaux, et même si c’est plus la même chose qu’avant, il se dit qu’il y a encore du bon à prendre. Même si désormais, on se laisse plus de distance et c’est chacun sa vie. Il est quand même fort ce mec, d’ailleurs.

Trois divisions donc. Allez, une quatrième si on rajoute le mouvement qui acquiesce les papiers un peu foireux qui viennent élever le débat en expliquant pourquoi Booba l’audacieux est à la fois le reflet et le critique littéraire de notre société fascisto-capitaliste (si, si, regarde cet article sur GQ par exemple). Alors oui, Booba ne dit pas que des conneries, mais on se calme: son intention, c’est de faire du pognon en nous disant d’aller se faire enculer, pas de candidater au prochain Goncourt.

“C’est toujours la même merde, j’ai juste des nouvelles chiottes” – Ratpis

Au vu de ces différents courants (dont la séparation n’est d’ailleurs pas si tranchée), quel avis avoir alors de D.U.C, ce nouvel album qui suscite déjà tant d’avis différents?

Un avis mitigé.

Déjà, difficile d’envisager la critique d’un album dont huit morceaux sont déjà sortis en single. Soyons sérieux deux minutes, le titre La mort leur va si bien est sorti début février 2014, soit il y a un an et plus de deux mois. Les sept autres se sont étalés depuis. Résultat: on écoute un album dont on connaît quasiment la moitié des titres, et dont certains comptent en plus parmi les meilleurs de l’album. Du coup, moins que prévu à se mettre sous la dent.

Mais venons-en au contenu. Globalement, alors que Futur avait laissé un goût amer – seulement quelques titres valaient réellement le coup – Booba réalise sur son nouvel opus quelques performances qui rappellent qu’il n’est pas le boss du rap commercial et médiatique pour rien.

Pas de surprise sur le contenu des paroles. Booba ne sort pas de l’égotrip, mais soit: ça fait bien longtemps que c’est sa marque de fabrique, et puis c’est ce que l’on recherche quand on écoute un titre comme D.U.C. On cherche à se faire taper à coup de “Si le ciel ne veut pas que je tombe, qu’il écarte ces chiens de mon chemin”. Et sur ce nouveau disque, il y a des nouveaux textes puissants à déchiffrer. Les punchlines sont simples mais lourdes, parfois percutantes par leur humour gras et leur caractère brut, ou simplement par l’audace avec laquelle il décrit la manière dont il plie le rap game commercial depuis presque deux décennies (“Triste est le game, j’suis sur une single list”). Bref, de quoi s’amuser quand on prend ses paroles au millième degré (si tu es très sérieux, c’est bien, tu peux aller te cultiver en écoutant Booba s’exprimer sur la finance, le conflit israëlo-palestinien ou encore les attentats de janvier).

Niveau instrus, il faut garder en tête que la concurrence est rude pour faire poser le Duc. Alors oui, ils défoncent presque tous. Même si quelques morceaux restent parfois simples dans la construction (G-love par exemple), certains sont assez novateurs (Caracas, Mové Lang), et dans l’ensemble, ça fait le taf. Alors on va pas se mytho, c’est bien pompé chez les ricains, mais ça fait quand même du bien au rap français. On se surprend même parfois à écouter un de ses morceaux, presque exclusivement pour l’instru tant le flow y est secondaire (La mort leur va si bien par exemple).

Comme pour chacun de ses albums, Booba a inclu quelques sons un peu mielleux (Loin d’ici, G-love, Jack Da), probablement plus destinés à passer dans des boîtes sud-américaines qu’à satisfaire les amateurs de rap. Ah oui, un album de Booba, c’est d’abord un véritable business plan, et la visibilité internationale n’est pas quelque chose qu’il oublie. Mais cela n’empêchera pas quelques amateurs du genre à se faire un extra avec Mon pays, le Jimmy de ce nouvel album (cf. Futur).

Bien bien, mais quels sont alors les morceaux qu’il faut retenir, sur un album de 19 titres?

Le titre D.U.C, déjà. Gros instru, gros flow, une belle entrée en matière pour une première piste. Bellucci aussi, featuring bien sympa avec Future, qui tend presque vers le raga, est réussi. Ratpis, LVMH, Mr. Kopp sont également trois productions à écouter avec attention. Plus innovants, Caracas, Mové lang, et Tony Sosa s’écoutent bien. Mais surtout, Booba fait le consensus avec Lino dans leur featuring Temps mort 2.0, de grande qualité. L’instru met une lourde baffe – notamment le break entre les deux interventions – et les deux artistes posent deux couplets puissants. Dans le sien, Booba rappelle, au cas où, ce dont il est capable. Les trois derniers titres 3G, LMLVSB et OKLM sont sortis depuis trop longtemps pour qu’on les commente. Bon, le Duc avait quand même fait fort avec 3G, disons-le.

En résumé, ce dernier album est, de ce qui résulte des premières écoutes, une oeuvre où il y a des bonnes choses, et si ça n’est pas le meilleur, ça n’est pas non plus le pire. Les prochaines écoutes permettront de se forger un avis plus solide sur le sujet. Mais à ce propos soyez prévenus: écouter un album de Booba, c’est comme goûter pour la première fois du café. Au début on trouve ça moyen, et puis peu à peu on découvre l’intérêt du truc, jusqu’à y adhérer parfois complètement. D’ailleurs, Booba a les mêmes vertus: le matin, la tête dans le cul dans le métro, ça réveille.

À proposLouis Jay

Brolic à la ceinture, paquet de BN dans le cartable

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