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Alpha 5.20, la dernière panthère

Il y a quelque temps déjà, plusieurs sites spécialisés ont prétendu révéler le secret le mieux gardé du rap français en citant JP Manova. Révélation intrigante s’il en est (ce dernier n’avait fait que quelques apparitions en une décennie) qui n’empêcha pas la presse rap, avec tout le bon sens qu’on lui connait, de mettre son zizou dans la brèche et d’évoquer ledit rappeur comme une tête d’affiche incontournable ou presque – dans le même esprit, Joe Lucazz s’était vu porter au pinacle un peu plus tôt alors que l’indifférence la plus crasse seyait à son parcours jusque-là.

Un élan d’enthousiasme assez gênant, il faut le dire, si on ne faisait fi du romantisme dont font preuves les chroniqueurs des « webzines » rap à la française. Mieux encore. Le rap français regorge de pépites brutes bien plus sous-estimées et davantage productives. Alpha 5.20 fait assurément partie de celles-là. Explications tonton.

Alpha 5.20, le dernier des mohicans

Alpha 5.20 n’est pas un grand rappeur. Son flow n’est pas merveilleux ; ses lyrics, d’un point de vue technique (si cela signifie quelque chose), ne sont pas exceptionnels. Pis encore : le bonhomme s’affirme comme le représentant d’un rap « de rue » où la marseillaise, De Gaulle et autres usurpateurs du roman national n’ont pas leur place – ou celle des méchants du camp d’en face. De nombreux attributs capables de déclencher l’ire des élèves disciplinés du public rap, ceux-là même, sans doute, qui quittaient sagement la classe à la sonnerie avec leur pull Slipknot et jouent aujourd’hui les défenseurs du « « « vrai rap » » » » partout où on les y autorise. À l’époque, ils avaient déjà tranché : Alpha 5.20 n’était qu’un « rappeur de tess » de plus.

Alpha 5 20 n’a donc jamais parlé au grand public, ni à une partie de l’élite (les plus médiocres, concédons-le) qui dirige aujourd’hui bénévolement les réseaux médiatiques promouvant le rap français. Les puristes – souvent nés en 1995, les cons –, dérangés dans leur confort petit bourgeois, touchés par les attaques antirépublicaines blessant un pâle patriotisme, se sont lourdement trompés. Car Alpha fuckin 5.20 est la dernière panthère du rap français. Grrr Grrr : c’est l’heure de balancer au sale vos strings léopards bande de biatchs !

Thug Life ma gueule

Qui dit dernière panthère dit forcement Tupac Shakur, et qui dit Tupac dit inévitablement Thug Life. Concept impulsé puis incarné jusqu’à la mort par ‘Pac, flou pour certains, révolutionnaire pour d’autres, la thug life symbolise la réunion de principes contestataires – souvent liés à la condition noire – et d’attitudes impulsives liées à la vie de rue (appelle Larousse pour insérer fissa cette définition d’académicien fils). Une idée-force qui propulsa sur le devant de la scène le lifestyle californien de nombreux jeunes coincés entre le manque d’avenir, l’oppression policière, la weed exceptionnelle et les délicieuses tass’pêches d’â coté.

Ce concept, Alpha 5.20 l’a pris dans sa globalité et l’a remixé à la sauce île de France – 9.3 boy –  avec une conviction que peu avaient manifestée avant lui – depuis le Ministère A.M.E.R ? Sous sa plume, le thug est un révolté à la fois déter, violent, intelligent et parfaitement conscient du monde qui l’entoure (et des rouages machiavéliques qui nuisent à sa minable condition de pion sur l’échiquier). Intelligent Hoodlum, dirait Tragedy Khadafi.

Pour appuyer ses propos, le rappeur fait alors référence à une flopée de figures contestataires,  personnages sulfureux, individus ambigus ou véritables parias d’hier et d’aujourd’hui ayant parfois pour seul point commun d’avoir fait trembler les frêles genoux de la sphère médiatique. Ben Laden, Thomas Sankara, Khaled Kelkal, Nino Ferrara, Amadou Diallo, Tony Montana, Moussab Al-Zarkaoui…. Capable de faire tiquer quelques esprits chagrins, ce name-dropping récurrent n’en dessine pas moins, dans une interprétation artistique, les contours d’une mythologie contemporaine ayant connu ses premiers soubresauts à l’orée des années 80 – celle qui nourrit depuis les fantasmes de chaque quartier et hante forcement l’univers du pera.

Déterminé, Alpha 25 se paye même le luxe d’apostropher avec vigueur l’ensemble des présidents français ayant composés la 5éme république française, au sein d’un morceau d’anthologie en hommage, en partie, aux sans-papiers – chose rarement vu dans le rap français, plutôt individualiste, européen et autocentré quoiqu’en disent ses représentants. Difficile alors de ne pas penser que les gentillets garants du vrai rap français n’ont jamais écouté – ou pu comprendre – les morceaux d’Alpha.

Écoute, boy, écoute

Alpha 5.20, c’est évidemment plus et moins que ça. Comme pour chaque artiste, chacun y reconnaîtra sa vérité et, ma foi, on ne pourrait en vouloir à ceux qui passent à côté (s’ils s’abstiennent de pérorer sur des choses qui les dépassent). Le rappeur s’est d’ailleurs retiré de la musique il y a 5 ans déjà et peut se vanter d’être l’un des seuls à avoir respecté cette décision; il laisse dernière lui de nombreuses mixtapes, qui avaient le mérite d’insuffler un vent fédérateur parmi une scène rap pas encore totalement morcelée et, surtout, un classique que chaque amateur de rap se devrait d’écouter : Vivre et mourir à Dakar. Alors tais-toi un peu et écoute jeune gaillard. C’est souvent la meilleure chose à faire quand la panthère te fixe.

 

À proposYugo Veronese

Yugo Veronese pour les réseaux sociaux. Aime le rap, rarement les rappeurs.

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