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[Chronique] Furax Barbarossa – Testa Nera

Prévu initialement pour 2012, Testa Nera, le quatrième album et sixième projet solo de Furax Barbarossa, n’a finalement vu le jour qu’en mars 2014, après de longues années d’attente impatiente pour le public du rappeur toulousain. Sorti droit des tréfonds de la Bastard Prod, l’album comptabilise 17 titres d’excellente qualité. Retour sur l’un des piliers les plus sombres et les plus aboutis de la poésie urbaine française.

« Je connais Furax mieux que vous. C’est un grand criminel […], son honneur à lui a des raisons que la raison ignore… 
 N’écoutez pas la vieille, poussez la grille de ma demeure / Faites pas gaffe à l’enseigne qui dit : attention homme aigri en mal de meurtre »

C’est sur ces mots que s’ouvre le bal, dans les premières secondes du premier track, Les trois murs de ma chambre. Qu’on prenne le titre comme une invitation ou comme un avertissement, le ton est donné : Furax sait exactement où il va, et il faut être sûr de vouloir le suivre dans son parcours. Cette introduction de deux minutes est en fait la porte sur le quatrième mur de la chambre, une porte étroite, qui mène directement au cœur de l’ombre du mal qui plane sur cet album. Et afin d’accentuer fortement l’ambiance du track, une version clippée est sortie, réalisée par Chaz Shandora. Bande annonce d’un film d’horreur.

« Puisque le bien me rejette, j’irai rejoindre le mal. »

Si vous êtes encore là, c’est que vous voyez le beau à travers le sombre, et que la poésie de Furax Barbarossa vous touche. Bienvenue dans son univers, mais attention : l’écoute de cet album est irrémédiable.

Testa Nera

Très cohérent, l’album présente donc seize titres complets en plus de cette intro, qui peignent à l’encre rouge et noire l’univers du pirate. Le premier extrait, qui avait été dévoilé fin 2011,  Qui m’demande, avait marqué par la finesse de la plume et la qualité d’interprétation de Furax, et est aujourd’hui encore considéré comme l’une de ses plus grandes réussites : un unique couplet de quatre minutes, parfaitement représentatif de son style, son univers, et son talent.

« Faut qu’j’t’en rajoute d’autres ? Chien, rat, Ginsu / Casque intégral, balle pour brigade de flics saouls / Mélodie d’un Glock 30, shit, enfer, crise de manque / Appelle-moi Foxtrot Uniform mais en fait qui m’demande ?« 

Après un tel morceau, la tâche lui incombait de ne pas décevoir sur le reste de l’album, mais le défi est relevé avec brio, et aucun track ne vient faire d’ombre au tableau, ou au contraire troubler ce sombre tableau d’une éclaircie malvenue. Fidèle à son leitmotiv de rapper la tristesse de son monde (qui est aussi le nôtre, rappelez-vous en), Furax décrit le poids du mal tout au long de l’album, j’en veux pour preuve le morceau nommé ainsi, Le poids du mal, second track de l’album. Là, plus question d’introduction ou de prévention : on plonge au coeur du sujet, dans la spirale de lyrics enflammés du rappeur, dont chaque phase s’inscrit parfaitement dans le beat, sans jamais s’essouffler ni s’atténuer.

« Moi, j’ai la vie d’un terrien le nom d’un pestiféré, la couleur des fantômes, le froid du marbre / J’t’inviterai bien dans mon monde, mais qu’est-ce t’y ferait ? La douleur fait cent tonnes, c’est le poids du mal »

Il est difficile de parler d’un tel album sans en paraphraser simplement les textes, tant le flow rauque et les lyrics puissants du rappeur semblent être au maximum de leur capacités du début à la fin. Testa Nera est une bible noire pour le rap français, un accomplissement pour Furax, une démonstration d’écriture pour l’ensemble de l’hexagone et une immense claque artistique pour tous ceux qui l’écoutent.

« Explique-lui chaque cicatrice à ce petit gars triste / Et qu’il n’y a qu’un pas entre ici-bas et l’hôpital psychiatrique / Pourquoi papa boit ? Pourquoi elle se croit laide ? / Pourquoi sa pauvre mère le soir s’enfermait dans les toilettes ? / Pourquoi des cris sortent de la chambre de sa sœur aînée ? / Mais si chaque question avait une réponse, bah ça s’saurait, mec / Dis-lui que les vieux croupissent en soliste / Et qu’il y a pas d’âge pour faire une dernière lettre suivi d’un nœud coulissant solide / Qu’il verra le gris de la ZAC’, le prix de la sav’ / Tu vas vraiment lui dire que la police le protège ? Mais vas-y quitte la salle ! » (Oubliez-moi)

Toujours entre bastards

Bien entendu, Furax est fidèle à son collectif toulousain Bastard Prod ; ainsi, on retrouve sur l’album deux featurings avec Sendo, Entre temps et Le chant des hommes saouls, et un avec Abrazif, Places assises. Les deux comparses de Furax sont à la hauteur sur chaque couplet qu’ils posent au sein de l’album, en plus d’être parfaitement cohérents au niveau des flows, des voix et des thèmes abordés.

Outre ces deux bastards invités, on retrouve également sur l’album des membres d’Inglourious Bastardz, tels que L’Hexaler (Les yeux fermés), Scylla (Les poissons morts) et Jeff le Nerf (La rime galère à sourire), dont les apparitions, là encore, s’intègrent parfaitement dans la ligne directrice de l’album.

« Ce soir je les ferme, j’observe, et là ma prose explose / J’apprends à garder l’œil ouvert avec des paupières closes » (Scylla, dans Les yeux fermés)

Un album riche donc, sur lequel on retrouve cinq MC’s talentueux en plus de Furax : de la diversité, mais pour autant aucun track ne s’écarte de l’ambiance donnée par Barbarossa dès les premiers sons de l’album. Une cohérence sans faille dans la noirceur qui s’étend de l’intro à l’outro, sur de superbes prods, classiques mais ô combien efficaces, de Bastard Prod, d’Omerta Muzik, ainsi qu’une de Mani Deiz, une de Nizi, une de Toxine et une d’Aro. Il fallait bien que les beatmakeurs présents sur le projet soient à la hauteur des MC’s qui y posent – et ils le sont, à n’en pas douter. Le piano et les violons sont intemporels.

Furax à son apogée ?

Nous en parlions plus haut, Testa Nera est l’album contenant le fameux Qui m’demande, probablement le meilleur titre réalisé par Furax jusqu’ici. Probablement, parce que le quatrième track de l’album, L’Étoile noire, se présente comme une alternative sérieuse. Entre des samples tirés du film Seul contre tous de Gaspard Noé, Furax pose deux couplets dans lesquels il raconte les misères du monde en décrivant différentes situations misérables ou conflits qui touchent le monde, de Marseille au Yémen en passant par Gaza, de Gao au Pérou en passant par Macao. Au plus haut de son talent d’écriture et d’interprétation, ce track de Furax est emblématique de l’album au même titre que Qui m’demande, exception faite que le rappeur ne parle pas ici de sa tristesse, mais de celle du monde. Est-il vraiment possible de rester de marbre face à de telles vérités rappées avec tant de justesse ?

« Les orphelins de Brazza, les forcenés du Pérou / A force tu connais Gaza, mais sors connais-tu Beyrouth ? / Et la colère au Kenya, oui regarde-les, ça calme / Le choléra, l’ténia, oui le cartel et sa came / Tu crois vraiment qu’un jour l’indécence s’éteindra ? / T’es plein d’espoir, pour l’heure bienvenue sous l’étoile noire, ou la naissance est un drame »

Jusqu’au morceau servant d’interlude, Mauvais vent, Furax offre une qualité de rap incroyable, avec un couplet parfaitement posé sur un samples de piano extrêmement compliqués, prouvant sa maîtrise incroyable du rythme, si loin du simple boom check.

Le bilan est sombre au possible, mais d’une justesse sans faille. Furax Barbarossa et sa mauvaise étoile offrent au rap français un classique sans la moindre fausse note. Jusqu’à l’outro, Fin 2012, on plonge dans la noirceur de cet univers dont on ne sort pas tant qu’on ne coupe pas le son. Mais pourquoi vouloir arrêter le déferlement de lyrics de Testa Nera ? A mi chemin entre constat d’urgence et tristesse éternelle d’une vie sous la mauvaise étoile, Furax réinvente le rap et la noirceur du bout de sa plume unique, à force de seizes frôlant la perfection.

« Qui t’as dit qu’on voulait respirer ? Qui t’as dit qu’on voulait sortir la tête de l’eau ? »

À proposHugo Rivière

Entêté monocellulaire impulsif, sentimental, très humain et complètement dingue

2 commentaires

  1. Salut Vdgregoire !
    Effectivement, au temps pour moi c’est Scylla qui pose le refrain de ce track. Comme quoi, quand je parlais d’harmonie dans les flows…
    Merci beaucoup en tout cas !

  2. Il y a une erreur, « Ce soir je les ferme, j’observe, et là ma prose explose / J’apprends à garder l’œil ouvert avec des paupières closes » n’est pas de l’Hexaler mais de Scylla, qui pose aussi sur Les Yeux Fermés. Sinon super chronique, comme d’hab.

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