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[Chronique] La Gale – Salem City Rockers

« Ah ! Si c’était un tremblement de terre ! Une bonne secousse et on n’en parle plus… on compte les morts, les vivants, et le tour est joué. Mais cette cochonnerie de maladie ! Même ceux qui ne l’ont pas la portent dans leur cœur. » (Albert Camus)

 

Trois ans après avoir signé un premier album percutant dans un registre musical électro, Salem City Rockers est le deuxième album de celle qui répand son flow pandémique sous le nom de scène La Gale. La suissesse Karine Guignard, dont le parcours artistique baigne aussi bien dans le punk que dans la peau d’une actrice, porte haute la voix d’un rap français au féminin (rap suisse me direz-vous, donc disons francophone). Son rap, que l’on range inévitablement aux côtés des Casey et Keny Arkana, est saillant, direct et virulent. Mais il peut être tout aussi bien intimiste.

Derrière un titre qui se réfère aux procès des sorcières de Salem, c’est l’intrigue de celle qui dérange qui semble guider La Gale vers ce Salem City Rockers. Ce nouveau projet est produit par les deux gages de qualités que sont I.N.C.H et Al’Tarba. Avec ces deux-là ça sent bon la crasse, la prod’ sale. Et le flow de La Gale colle parfaitement avec l’univers de deux musiciens bien connus des rappeurs français. Grâce à cette collaboration inédite et aux directions musicales choisies, l’album est donc radicalement différent du premier. Un album élaboré en trio donc, épaulé néanmoins de quelques collaborations.

 M’attribue pas d’étiquette j’kiffe pas les adjectifs
J’prépare un lance-roquettes pour ton canal auditif

Passons donc rapidement sur les étiquettes faciles de La Gale contagieuse, dérangeante, incurable et tendons plutôt l’oreille sur le lance-roquettes.

En ouverture, Nouvelle pandémie immerge instantanément et pose les contours du son de cloche qui va résonner sur les onze pistes du projet. Et le titre suivant, Salem City Rockers, est une sorte d’autoportrait de la rappeuse au milieu de ses semblables, tous guidés par l’utopie. Même si cet album s’inspire explicitement de la sorcellerie et joue avec ses codes, on comprend rapidement qu’il y a surtout quelques dogmes oligarchiques que la suissesse solderait bien par une mise au bûcher.

Les samples et les compositions de Salem City Rockers résultent d’influences blues, country, mais aussi orientales. Résultat d’un métissage musical, la chanteuse espagnole Paloma Pradal prête également sa voix sur le refrain du titre aux ambiances haïtiennes, vaudous, Petrodollars. Des registres différents, dont l’assemblage se met pourtant au service d’une cohérence musicale réussie. Là où le premier album était un gros pavé dans lequel il était difficile de reprendre son souffle, celui-ci est plus abouti et sonne remarquablement juste.

Cela dit, on n’a pas non plus tellement envie de reprendre son souffle sur Salem City Rockers, tant le rythme de cet album maintient en émoi. Comme une pandémie à l’appétit insatiable, guidée par la force de ses mots.

L’écriture de cet album est spontanée, sans détour ni brouillon, c’est celle d’un chant jacté qui déferle de bon sens. La Gale écrit d’une plume hostile aux normes sociétales et qui n’a pas peur de nous cueillir à vif. Ce qui a pour effet de chatouiller le conformisme dont on use, avec lequel on aimerait pourtant mettre de la distance.

L’intervalle, le mouvement sont justement les maîtres mots du titre 5000km. Les termes du morceau sont ceux d’une voix qui aspire à prendre ses distances avec un monde pollué : le morceau dépeint « un itinéraire à revoir », « histoire de rentrer dans le décor » d’une femme qui a « le mal du non-transport ». Le titre surfe sur cette tendance à introduire un morceau par un dialogue pioché dans un film. Si l’on peut reprocher à cette tendance son omniprésence sur certaines discographies du rap français, il faut reconnaître qu’il s’agit souvent de bonnes références, parfois audacieuses, même si certaines se targuent de n’avoir étonnement rien à voir avec le texte qui suit. Le titre 5000km, introduit par un extrait de Easy Rider est quant à lui bien dans l’esprit du road movie et le sample provient également du célèbre Born to be wild, qui figure sur la bande-son de l’aventure de nos deux hippies motards préférés.

Les latitudes actuelles commencent à me polluer ferme
Ce qui n’était que provisoire s’est installé à long terme

 

Entre indignations et ambitions, séquelles et gueule déchirée, La Gale ne cesse de se livrer tout au long de cet album en dévoilant son quotidien, dont elle confie vouloir s’affranchir sur le morceau au refrain très clair Qui m’aime me suive (clipé ici). Saluons d’ailleurs la collaboration avec Vîrus, qui confirme son statut d’artiste connu pour exceller dans l’écriture sombre, venu ajouter son grain de sable Sous une rafale de pierres. La Gale, Vîrus… si je puis me permettre un brin d’humour, il ne manque plus que Disiz La Peste et on est bons. Enfin, la rumeur n’en est pas là.

Plus sérieusement, cet album est un cri, poussé à son paroxysme sur son avant-dernier titre Chiens galeux. Entouré par le sketch des Deschiens sur la blanche, tout le monde prend le micro et hausse le ton pendant quatre minutes pour ne pas finir comme sur la track précédente dans La rubrique des chiens écrasés. D’instinct animal et parfait défouloir, Chiens galeux est la gueulante libertaire qui fout le bordel et ça fait du bien. Ça change les idées.

Conclu par une Outro classique et efficace dans le genre, Salem City Rockers est un album complet, qui invite chacun à porter le regard entre les lignes. Un projet maîtrisé qui transpire la hargne. Il ne me reste plus qu’à souhaiter une contagion imminente, ainsi que l’on ne trouve jamais de remède à cette Gale-là.

(L’album est disponible en écoute et téléchargement par exemple ici)

À proposFélicien

Amateur de plumes, j'aime le rap lorsqu'il lie la puissance des mots à la chaleur de l'instrument.

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