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2015, la (vraie) nouvelle vague du rap français – du spleen et du divertissement

On ne peut pas dire que le rap français se soit touché la schneck en 2015. Y’en a eu pour tous les goûts et tous les styles, jeunes pédés parisiens, gratteurs de murs, amis intimes de la fonte, étudiants en Lettres à l’âme pure, scélérats…Va falloir ressortir la palabre que tes rappeurs préférés détestent : la relève. 

C’est magique avec la relève, dès qu’on l’invoque, elle disparaît. Dans la folle histoire du rap français, à chaque génération, des successeurs évaporés. Jeunes espoirs déchus, espérances déçues. Ou l’inverse, ma gueule. Toujours est-il qu’en cette année de merde de plus en France, le rap s’est bien porté, si on estime que l’hyperactivité témoigne de la bonne santé d’un courant musical. De Paris à Marseille, de Grenoble (38 represent) à Aubagne et la « province », les jeunes rappeurs se sont escrimés à sortir des projets. C’est frais, souvent novateur, et servi sans préliminaire, avec l’arrogance maladroite du nouveau venu prêt à en découdre.

Au-delà du grand nombre de sorties, d’autres facteurs nous poussent à croire qu’en 2015, le rap français a basculé dans une nouvelle ère. Fini les hommages un peu trop appuyés aux boucles à l’ancienne. Les jeunes loups responsables de ce changement, bien qu’influencés par certains prédécesseurs, se sont cette fois-ci affranchis du poids de l’héritage des aînés, assumant sans complexe leurs extravagances (Niska ne révélait-il pas récemment n’avoir jamais écouté NTM ?).

Cette originalité, exprimée à travers le son – et plus que jamais l’image –, ne prend plus uniquement les attributs d’une prouesse technique, contrairement à l’école récente de l’Entourage. Aujourd’hui, elle fait parfaitement écho à l’époque actuelle, où l’on bascule inlassablement entre spleen post-2001 et volonté de se divertir. En résulte un rap français en prise avec son époque, ses préoccupations et ses inquiétudes ; un rap qui, sous influence américaine, a préféré rendre éloquente la forme plutôt que le fond. Ici, les lyrics ne disent rien d’autre que la banalité de l’existence. Seul l’habillage sonore est là pour témoigner, sans prise de position forte, forcément, mais par le biais d’un vrai parti pris artistique.

Face à cette nouvelle donne, le public ne s’est pas trompé et la rue a repris ses droits. Ce rap, plébiscité sans avoir de premiers albums d’importance à son actif – ou, au contraire, décrié par les défenseurs d’un « vrai rap » fantasmé qui n’a aujourd’hui plus lieu d’être – , a quitté les bancs de la fac pour réintégrer sa première demeure : l’asphalte.

Les millions de vues sur Youteub confirment là encore que l’appellation de « nouvelle vague » du rap français n’est pas usurpée. MATAFUCK. Mais, pas de précipitation non plus, mon gava. Le rap, c’est un peu comme la rue, on peut vite avoir la côte…et vite se faire dessouder (Guizmo, Némir, Deen Burbigo ou Jazzy Bazz confirmeront). Voici donc quelques artistes qui, en 2015, ont transformé le Game. Pour le meilleur et pour le pire. Une nouvelle vague…consciente de n’être pas forcément conçue pour durer.

 

PNL – Abonné à charbonner

L’été 2015 a été celui de PNL. QLF, sorti en mars, a explosé à la fin du printemps, quand journaleux et galériens se mirent à chanter à tue-tête les gimmicks du groupe. Charbonneurs comme Tony, les deux frères de PNL ont de nouveau braqué la France le 30 octobre, sous les couleurs mélancoliques de l’automne. Un album – Le Monde Chico – qui divise les commentateurs mais ne laisse personne indifférent, « presse spécialisée » et médias généralistes confondus. Avec, en ligne de mire, cette question inhérente au succès (trop) soudain : ont-ils le potentiel pour imposer durablement leur identité sonore et visuelle (ce « cloud rap » emprunté sans vergogne à la scène US) ? Une question finalement peu importante dans l’ère éphémère du numérique. Effet de mode ou pas, Ademo et N.O.S resteront symptomatiques de la mue du rap français en 2015. Preuve en est avec leur premier concert, où le playback a remplacé la prestation live, gage essentiel de la qualité d’un artiste rap il y a quelques années seulement. Mention spéciale pour la grosse carotte qu’ils ont mise à Skymoche et à la grosse biatch de Fred.

SCH – Rat et scélérat

Son apparition furtive sur un documentaire de 2006 le prouve un peu. SCH, ex Schneider, n’a pas commencé à rapper en 2015. Il faisait même déjà bien les choses les années précédentes, quand il n’était qu’un « rat » de plus dans le sud de la France. Mais c’est bien cette année qu’il a explosé dans toutes les ruelles sales de France. Certes, les porteurs de moustache et les acharnés d’un rap passéiste ne reconnaissent pas son talent, manque de vécu oblige. Mais le jeune scélérat d’Aubagne compte bien arracher la mallette et faire le million avec son écriture imagée. Là encore, le rappeur soigne son image et développe un univers propre, s’accaparant les références du quartier (et pas que) avec cohérence. Quand PNL reprend Tony, DBZ ou le livre de la jungle, SCH joue avec les codes de Gomorra, la Champions League et le banditisme italien. Un rappeur doué, en pleine progression, qui a toutefois trop fait du « sous-Lacrim » sur son A7 pour qu’on écoute ses titres jusqu’au bout. Et puis sa voix chelou et ses intonations forcées sont aussi dispensables que ses cheveux brushés. Bref, barre toi de chez Def Jam, c’est mieux.

Vald – Poison sympathique

Restons encore honnêtes. Sans les goûts douteux d’un ou deux potos, je n’aurais jamais eu envie d’écouter un titre de Vald, le blondinet que les plumes fatiguées qualifient de génie. Je vous rassure d’emblée les amis : je suis loin d’être troublé par sa prétendue attitude subversive (à l’époque du porno décomplexé, ses clips et références ne passent que pour des gentilles caresses à l’ordre établi).  C’est juste que de son personnage, sa musique et tout le reste, je m’en bats les couilles. Pas envie d’essayer de comprendre, non non, ni d’analyser ses délires abstraits (et marketings) qui passent pour de l’art aux yeux des fragiles qui ont besoin de ne rien comprendre pour être ébahi. Mais, vu que je ne revendique pas avoir le monopole du bon goût, contrairement à toi, cher lecteur, et qu’il a ramené une certaine fraîcheur avec NQNT 2, Vald peut aisément faire partie de cette hypothétique nouvelle vague.

Gradur – L’unificateur du Nord

Je n’ai jamais vraiment écouté les titres de Gradur. Ses premières apparitions sonores, son flow crié, les instrus répétitives me faisait mal à la tête. Ça ne m’a pas empêché de m’enjailler sur ses sons, lorsque les potos faisaient tourner les titres en fumette. Puis il y a eu ses nouveaux morceaux, plus travaillés, plus commerciaux, aussi.  Et surtout, son attitude fédératrice, modeste et attentive. Car Gradur, conscient de ses limites, a préféré taffer dans son coin et réunir toutes les têtes d’affiche du pera français sur son prochain projet, Sheguey Vara 2. Le Roubaisien est là pour donner de la cefor au rap français, avec une ouverture d’esprit plaisante. Le nombre de vue, la validation par les autres artistes rap confirment sa place de choix dans la nouvelle vague.

Jul – Chicha et volupté

Je connais toute l’admiration que vous portez à Jul. Mais je vois aussi comment ses sons tournent en bas, ici et ailleurs. Face à ce plébiscite, comment ne pas avouer que Jul, quoique n’ayant rien inventé, a été le représentant de la nouvelle scène indépendante durant toute l’année 2014. Le symbole, aussi, d’une génération loin des préoccupations marketing des aînés, n’ayant aucunement besoin de clasher à tour de bras pour asseoir une quelconque légitimité. Fidèle à la rue car encore posé dans le bloc, le marseillais a fait le taf tout seul dans son coin, parvenant à détourner l’attention du public, alors acquis à la cause des fatigants Booba, Lacrim et consorts. Aujourd’hui, il revient sur son nouveau label avec un album tout frais tout beau tout neuf. La recette n’a semble-t-il pas changée. Marlich : la vie dans le tieks non plus.

Nekfeu – Le contre-exemple

Peut-on vraiment citer Nekfeu dans un article sur la nouvelle vague du rap français ? Assurément, si on prend en compte les retombées de son premier album et son plébiscite par le grand public et les journalistes musicaux (sauf les gobeuses de Ruquier)…qui ne connaissent rien au rap (ou presque).

Mais, s’il s’agit de parler des artistes actuels ayant modifié la façon de faire du rap (et de le percevoir), je n’en suis pas vraiment convaincu. Il pourrait même faire office de contre-exemple, lui qui, avec son groupe 1995 et l’Entourage, fut le représentant d’un rap mimétique singeant le style des générations précédentes sans grand intérêt. D’une soi-disant relève qui a explosé en plein vol. Aujourd’hui encore, son rap sonne (plus toujours) comme la réplique d’un élève doué et discipliné. Une dimension qui n’enlève rien à la qualité de son premier solo: Nekfeu sait rapper, sans doute mieux que les artistes cités plus haut. Et ça s’arrête là.

Kaaris – Papa Trap

Kaaris ne devrait pas figurer dans cette liste. Son premier album, certifié classique par beaucoup, l’a hissé au rang des poids lourds du rap français ; Talsadoum est d’ailleurs loin d’être un nouveau venu, lui qui s’affichait sans barbe dans ses premiers clips. Mais, s’il ne fait pas vraiment partie de la nouvelle vague, il a clairement participé à son avènement. Principal représentant – si ce n’est l’instigateur – de la Trap en France, Kaaris est celui qui, par sa propre désinhibition, a permis aux jeunes générations de briser les carcans et tabous du rap français (au même titre qu’un Booba avec l’autotune). Le sevranais a donc indirectement tracé la voie aux rappeurs qui, comme lui, ont donné un second souffle au rap de rue. Et vient justement de balancer un Double Fuck bien senti au rap du passé. Histoire de montrer qu’à plus de 35 ans, on peut encore s’accaparer le Game et le baiser en brochette avec innovation.

À proposYugo Veronese

Yugo Veronese pour les réseaux sociaux. Aime le rap, rarement les rappeurs.

12 commentaires

  1. Et sinon, pour détonner un peu, moi je trouve que cet article c’est tout de même du lourd et vraiment bienvenu ! (à part ce sur quoi je ne suis pas d’accord pour la relation PNL – Skyrock cf. mon méchant commentaire infra) ; comme quoi il y avait besoin, peut-être, de jeter un pavé dans les eaux stagnantes de l’anti-modernité rapologique ! ici : que des bons artistes contemporains, audacieux et vendeurs (certes, qu’importe!) qui font évoluer le peura. Foin du rap à 90 BPM des papys de l’Animalerie ou du TSR Crew, qui baignent dans le culte de l’écriture lisse, du rap engagé ou du passéisme instrumental ! – j’exagère, je les adore aussi, mais bon, je crois que l’éclectisme ne fait de mal à personne, et que les Vald, PNL et Kaaris ne sont autres que les Lucio Bukowski et Hugo TSR de la prochaine génération, qui les brandira contre de nouveaux hérétiques. Vive la nouvelle vague !

  2. Salut Seb. Toute l’année, on défend le rap qu’on aime qu’il soit indé ou pas, underground ou pas. Tous les noms qui, selon toi, mériteraient d’être cités sont déjà sur le site et en long, en large et en travers. Pour te dire, on nous a même récemment reproché d’abuser avec L’Animalerie.

    Je ne sais pas si tu suis le site depuis longtemps mais en faisant une simple recherche, tu verras qu’on est toujours là pour défend ces rappeurs que tu sembles aimer, et nous aussi. Cet article était l’occasion de parler de rappeurs dont on parle peu mais qu’on ne peut pas ignorer, sauf à être de mauvaise foi, sur la scène nationale. Qu’ils soient bons ou pas, c’est un débat qui se tient mais il est indéniable qu’ils sont la relève d’un rap médiatique. Merci encore une fois d’avoir donné ton avis, c’est toujours très pertinent.

  3. Elle me fait bien mal « la relève »…
    En gros si on a pas d’exposition en radio et 10 millions de vue sur Youtube, on ne peut pas faire partie des acteurs principaux du rap?
    Ca me rappelle Lucio Bukowski qui disait « Je ferai moins de vues qu’un chat qui scratche » !

    Il y a pas mal de d’albums de rap FR underground (i.e : non exposés aux principaux médias) qui sont sortis et ont un niveau bien supérieur aux quelques acteurs que vous venez de nous proposer. C’est pas forcément fait par des nouveaux du rap mais ça mériterait d’être cité par un site qui s’appelle « Le rap en france ». TSR Crew, L’animalerie, Davotka, Le Gouffre, Paco,… pour ne citer qu’eux.

    En parlant encore de ligne éditoriale : si la raison d’exister de ce site est de parler de tout ce que ceux qui ne comprennent rien au rap appellent « rap », alors vous ne valez pas mieux que Skyrock (et d’autres sites d’actualités rap que je ne visite même pas!)
    Ou au contraire de faire découvrir ce que ces médias ne proposent pas. Exemple : l’article sur Mani Deïz qui vient d’être publié. Ce qui est une bonne chose.

  4. Je vais pas faire un long discours pour répondre mais vous avez tous raison sur un point : cet article aurait dû être à la première personne parce qu’il reflète l’avis de Yugo et je l’ai modifié en ce sens d’ailleurs.

    Après, effectivement, on n’est ni un journal ni un magazine, nous sommes tous des amateurs qui prennent sur leur temps libre pour alimenter le site et je n’ai pas spécialement envie de censurer certains des rédacteurs parce qu’ils auraient un avis contraire aux autres. Si l’un est fan de Vald et pas l’autre, ils ont tous les deux le droit de l’exprimer.

    Je comprends néanmoins ce que vous nous dites et on va essayer d’y faire plus attention. Je vous remercie tous d’avoir donné vos avis et de nous suivre assidûment !

  5. Aucun commentaire sur Bavoog Avers?pourtant leur album est novateur et plutôt bien réussi, et je suis pas le seul à le penser.bcp de médias le pensent aussi.

  6. @Leo Chaix
    Peut-être, mais ce n’est pas ce qui est écrit plus haut. Et là n’est pas la question, je ne faisais que souligner l’écart de traitement entre deux articles sur le même artiste. Bref, un manque de cohérence qui, selon moi, dessert la crédibilité et le contenu général de votre site (je ne pense pas trop m’avancer en disant que tous vos lecteurs ont lu au moins une fois votre encart ‘le rap en france recrute’, où il est écrit noir sur blanc que vous êtes une rédaction dotée d’une ligne éditoriale). Je ne dis pas ça avec amertume ni gratuité pour jouer les emmerdeurs de service mais parce que ce manque d’homogénéité est récurrent. Encore une fois, si le site ne vise qu’à être une compilation de voix singulières, c’est très bien comme ça. Mais c’est un model qui diffère complètement de celui de journal/magasine et il est important de les distinguer, ne serait-ce que pour vos lecteurs.

  7. D’accord avec Lucien. Pourquoi parler à la première personne du pluriel pour le tailler alors que dans plein d’autres articles des rédacteurs se pâment devant Vald.

  8. Salut Toinou,

    bien sur que les deux parties (PNL et Sky) s’y sont retrouvés. Mais c’est quand même la première fois qu’une radio comme sky accepte de consacrer une semaine d’émission à un groupe…absent.

  9. J’avoue avoir de plus en plus de mal à vous suivre. Pas plus tard qu’hier vous pondez un article sur le génie de VALD et aujourd’hui un encart qualifiant ses admirateurs de « fragiles qui ont besoin de ne rien comprendre pour être ébahi ». Elle est où votre ligne éditoriale là-dedans ? Vous êtes un magazine ou une simple plateforme d’avis divergents ? Parce que je veux bien que les goûts des rédacteurs soient éclectiques mais là quand même, c’est l’incohérence totale.

  10. « Mention spéciale pour la grosse carotte qu’ils ont mise à Skymoche et à la grosse biatch de Fred. »

    Bordel ! Mais où est-elle cette carotte ? on répète ce bon mot à tour de bras, et pourtant il ne me semble pas du tout que Fred ait pris quelque carotte que ce soit. La preuve en est que a) Skyrock avait des exclus de PNL b) les proches du groupe se tous présentés à l’émission. Dans cette affaire, il n’est guère plus de carotte que dans le gosier des lapins d’aujourd’hui ; bien au contraire, voilà les gros bénéfices de ce Planète Rap original, et pour PNL, et pour Skyrock :

    – Pour Fréd la pétasse : l’assurance d’attirer un maximum d’auditeurs via a) une émission au format original ultra-travaillé (décors sur mesure, mise en scène, singe, proches du groupe, etc.) qui attire forcément les curieux ; b) des morceaux exclusifs ; c) des invités de marque (visages connus des clips de PNL, DJs en vogue)

    – Pour PNL : a) une pub immense via ce grand média du rap qu’est Skyrock, PNL qui d’ailleurs encourageait à tour de bras sur Facebook/Twitter leurs fans à aller écouter chaque soir le Planète Rap ; b) la préservation de leur « indépendance » fantasmée, c) et surtout l’épaississement du grand mystère PNL no interview no live (que des showcases en playback) no tv show, etc. qui les rend encore plus fascinants car inaccessibles.

    Bref de quoi contenter tout ce beau monde en laissant en suspens le doute (mais pas trop en fait) d’un fuck de PNL à Skyrock – et pourtant c’est clair comme de l’eau de roche que non ! alors pourquoi se faire l’écho de cette idée somme toute peu crédible, qui tourne sur les réseaux sociaux ?

    PS : j’adore PNL

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