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[Chronique] Le Monde chico – PNL

Chroniquer un album comme Le monde Chico, c’est se préparer à l’ascension de la Tour Karine : on n’en voit pas le sommet mais on sait qu’on en redescendra plus fort. Avant de se plonger dans l’album en lui-même il faut planter le décor particulier qui encadre sa sortie et qui participe à bâtir la légende que se forgent Ademo et N.O.S. à coup de fer à lisser et d’auto-tune. Les éléments majeurs sont les suivants :

  • en 2014, l’audience du groupe est très confidentielle,
  • le buzz se fait avec la sortie de Que La Famille et le gros lobbying de quelques médias spés,
  • le groupe refuse toute forme d’interview et de promos,
  • les nouveaux morceaux mettent la barre très haut concernant les attentes autour de l’album,
  • malgré de nombreuses sollicitations, le groupe refuse de signer en maison de disque et sort donc son projet en total indépendance.

Dans ces conditions, deux jours avant sa sortie officielle, l’album des Peace N Lovés leake sur la Toile, recevant autant les louanges de leurs admirateurs que les insultes de leurs haters – ce qui est généralement bon signe. Ce qu’on n’attendait pas, en revanche, c’est une polémique sur les prods. En effet, une partie d’entre elles (toutes ?) n’auraient pas été déclarée. On s’est retrouvé avec une foire de beatmakers floués, de vannes plus ou moins vaseuses et de débats sur les Type Beats, le tout sur les réseaux sociaux évidement. Tout ça donne un peu plus de force à cette image de voyous qui font de la musique « un charbon comme un autre » et qui ne s’embarrassent pas avec une quelconque forme de pitié ou de compassion, comme le révèle la froideur de leurs textes.

« Mon ami Pierrot, j’te hagar ta plume / Dans un froid polaire, au clair de la Lune »

Ceci étant balayé, et puisqu’un album finalement ne doit se juger que par son contenu, plongeons dans la biopsie des titres cachées derrières la pochette warholienne de l’album. S’il est tentant de faire une exégèse de chaque couplet, voir une thèse sur un simple refrain, l’album est à prendre comme un grand ensemble utra cohérent. Le groupe ne nous a pas menti sur la came et les autres titres sont à la hauteur des premiers extraits. De la cloud music envoutante, des chroniques amères de vendeurs de came et une maîtrises impressionnantes de l’instrument auto-tune (voire du vocoder sur Porte de Mesrine) sont les trois piliers du projet.

La force première du groupe, en tout cas depuis Que La Famille, est la musicalité poussée à un niveau rare dans le rap français. L’exigence en terme de qualité de prod des frangins a payé puisque sur les 17 choix d’instrus, il n’y a aucune faute de goût. Majoritairement les prods sont de la cloud, un genre dont la paternité est attribué à Lil B et le plus célèbre représentant n’est autre qu’A$AP Rocky. La recette de ce sous-genre du rap est aussi simple qu’hypnotique : des beats lents, des ambiances aériennes (cloud = nuage) et une impression de planer dans le futur qui prend inextricablement l’auditeur. En ce sens, le groupe est pionnier d’un genre dont seul l’avenir nous dira s’il agit d’une vraie tendance du rap français comme le sont aujourd’hui la trap et la drill ou simplement une nouvelle niche telle que la G-Funk. En attendant de faire partie intégrante ou non du paysage musical du rap, la cloud trouve ici son premier grand album de rap français.

« Hmmm ouais ! »

« Ohlala, ohlala »

Mais la musicalité chez PNL ne s’arrête pas aux prods : les voix jouent aussi leur rôle de créateur de mélodie. Et c’est là qu’intervient l’auto-tune, utilisé comme chez aucun autre rappeur. Si ce logiciel s’est démocratisé en France en grande partie grâce à Booba, il est souvent réduit à deux usages : le chant d’un refrain, permettant de s’économiser d’un feat avec la chanteuse R&B du moment, ou de donner un effet futuristique à son couplet rappé. Là encore, les frérots qui ne sont pas de la Véga ouvrent une brèche en utilisant l’auto-tune de façon continue et en l’intégrant totalement à la musicalité de leur phrasé. En clair, leur façon de poser sur le beat s’adapte à l’auto-tune et non l’inverse. Le résultat donne un mélange de rap, de chant et moments parlés avec toujours le même effet agréable à l’oreille. PNL pourrait être le premier groupe de rap français à bien s’exporter car il n’y a pas besoin de comprendre les paroles pour que leurs sons parlent aux auditeurs.

Cela dit, il serait très injuste de résumer Le Monde chico à un exercice musical sans aucun fond. Si PNL ne fait pas dans la punchline enrobée de multi-syllabiques clinquantes, il reste que la plume d’Ademo et N.O.S. a quelque chose d’intéressant voire fascinant. Si la plupart des textes parlent directement ou indirectement de vendre de la drogue, cela leur permet d’aborder de nombreux sujets. Galère, famille, nihilisme, argent et religion sont au cœur de l’album.

Le premier point marquant à l’écoute des textes de l’album est la volonté de se distinguer du reste du rap game. Quand Ademo répète « on n’est pas comme eux » dans Plus Tony que Sosa, c’est un fait et non une posture. Au-delà de la forme originale précédemment évoquée, PNL se distingue par un univers bien spécifique. Oui, les textes parlent de drogue et d’argent. Oui, les insultes gratuites fusent (« Ah ouais, ta chatte, toi ferme ta gueule, toi ferme ta gueule », Oh Lala). Pourtant, si on prend mille groupes de rap qui parlent de la galère des quartiers comme le font nos deux rappeurs du 9-1, cinq cents vont se plaindre et cinq cents vont se fantasmer une autre vie. Les frangins prennent une autre voie, plus réaliste, plus pragmatique. La vente de drogue, si elle est une autre forme de routine (cf le refrain de J’vends), ouvre les portes d’une évasion concrète (en vacances comme dans J’suis PNL) avant de retourner dans un quotidien par lequel on ne fuit qu’en consommant des substances psychotropes. La drogue pour PNL est un moyen et une fin et ne fait qu’un avec la musique. L’ambiance brumeuse de l’album donne d’ailleurs l’impression que des effluves de THC volent dans l’air quand la sono joue leurs morceaux. Ademo et N.O.S. bicravent leur son comme des barrettes et savent que plus le client est satisfait plus souvent il reviendra, d’où l’exigence musicale et le côté addictif des refrains. La confusion est telle qu’elle semble hanter Ademo : « J’ai rêvé qu’j’vendais des barrettes à mes fans » (Laisse).

L’autre spécificité du groupe dans son rapport à l’autre est l’omniprésence de la famille au sens premier du thème (papa, maman, petit frère) comme au sens plus familier (l’ensemble des proches). Le personnage récurent du « petit frère » chez PNL personnifie la première définition. Ce personnage croisé au petit matin après une nuit de deal ou confortablement installé dans une soucoupe pour être envoyé loin de ce monde horrible représente une fragilité à protéger dans cette jungle de béton, une innocence à préserver des pêchés qui s’empilent autour des rappeurs. La seconde vision de la famille se concrétise pleinement dans le morceau Que la Mif dans lequel on ne retrouve en invités des rappeurs inconnus mais proches du groupe. On n’a d’ailleurs vu aucune apparition du groupe auprès d’autres rappeurs plus connus, fait rare dans un milieu qui fonctionne beaucoup au « coup de tampon » des anciens. Au final, ce détachement du reste du milieu du rap les installe à la fois dans une position de groupe à part et objet de fantasmes en tout genre. Chez PNL, les copains ont une bonne place dans la soucoupe, loin devant rap jeu et loin des femmes souvent citées uniquement comme pécheresses et/ou tentatrices – excepté la mater chérie. Oui QLF ne veut pas dire Que Les Femen. La complexité de ce rapport aux femmes est peut-être à lier au dernier thème qui hante l’album.

Bien que plus subtil, le traitement de leur rapport à la religion, au Bien et au Mal n’en est pas moins omniprésent. Les péchés – en précisant rarement lesquels – sont cités à de nombreuses reprises et semblent faire partie intégrante du décor (« Remballe ton échelle au fond du trou j’empile mes péchés j’escalade », Le monde ou rien). Entre la nécessité salvatrice de la foi et le besoin immédiat de mal agir pour survivre, le cœur des rappeurs ne balance pas, il compose avec. Les frangins pêchent et s’en lavent, faisant de l’odho (les ablutions de l’Islam) un geste permettant de s’essuyer les mains encrassées par l’argent sale.

PNL font avec ce qu’on leur donne, ni plus, ni moins. Ils sont coincés dans des tours ? Ils y dealent . La religion permet de laver ses pêchés ? Ils ne s’en privent pas. Des instrus sont gratuites sur Internet ? Ils se servent. PNL c’est la victoire du pragmatisme sur l’utopie. En faisant l’apologie de la survie matérialiste, de l’évasion spirituelle, en ouvrant des brèches et en donnant un coup de frais salvateur au rap français dans un même album, Ademo et N.O.S. sortent le projet le plus magnétique des années 2010, quelque part entre la pression extrême des fonds marins et l’ambiance envoutante d’un voyage inter-sidéral. Entre Abyss et Interstellar, il y a Le monde chico.

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