Billets d'humeur

[Hommage] – C’est le Bataclan

Le drame qui a touché Paris et ses habitants noctambules samedi s’est déroulé en partie dans la salle du Bataclan, que nous autres férus de rap avons tous plus ou moins fréquenté à l’occasion.

Hugo

La dernière fois que je suis allé au Bataclan, c’était aussi la première, le 19 mai dernier. C’était le soir que Disiz avait choisi pour donner un concert en hommage à Malcolm X. Une noble cause, soutenue par des grands noms de la scène rap française, que je voyais pour la première fois en live pour la plupart. J’y étais allé avec un ami, friand de bon rap, et nous sommes allés nous poster au devant de la fosse, bien décidés à profiter du spectacle musical qui allait s’offrir à nous, avec nous. Kery James, Médine, Lino, Casey, autant de grandes figures engagées du mouvement que j’aime et que je représente à travers mes articles ici, explosant d’énergie sur scène. La fosse était bouillante, le poing en l’air jusqu’à la fin, à peine calmée par les délicates notes de soul offertes par Faada Freddy au milieu du show, emplie de motivation par la musique qui résonnait dans tous les coins du Bataclan et les discours sur la tolérance de Disiz, Mac Tyer et Kery James. Une superbe soirée dont je me souviens comme si c’était hier, faite de bonne musique, d’étoiles dans les yeux et de sensation d’unité. On y frôlait le bonheur, l’espoir, on vivait pleinement la musique, on vivait pleinement. Je m’en rappellerai toujours, je ne veux pas que ce souvenir du Bataclan ne soit remplacé par aucun autre, je refuse de ne voir que la tristesse de ce que l’homme sait faire de pire. Je veux voir qu’il est aussi capable du meilleur, et je sais qu’il l’est. Il est grand temps que la paix et la vie prennent le pas sur la haine et la mort. Force à toutes les familles et tous les proches. Le souvenir et la musique traverseront les âges. Pas la haine.


Idir

Le Bataclan a longtemps été ma salle de concert favorite. Je vivais alors à Paris, et n’écoutais pas encore de rap – une honte, quand on connaît le bon goût du lieu en la matière et son importance séminale dans le développement du rap français. Il m’a toujours semblé que, de la même manière que les conditions dans lesquelles on lit un livre peuvent influencer l’expérience qu’on en aura, de la même manière que regarder un film au cinéma ou devant une télévision constituent deux modes de perception distincts d’un même objet, de la même manière, la salle de concert est un écrin qui peut transfigurer ou dénaturer le bijou qu’il recueille. Et de toutes les salles, de toutes les palettes de sensations que chacune propose, ma préférence s’est longtemps portée vers le Bataclan.

Suffisamment grand pour rassembler des foules, juste assez petit pour créer cette atmosphère intimiste que j’aime ressentir lorsque l’artiste et son public, la musique et l’individu, entrent en communion et ne perçoivent plus rien d’autre que le temps et l’espace présents. Plus qu’une salle de concert, le Bataclan devient alors un lieu de réunion – réunion de corps qui dansent, d’esprits qui s’évadent. J’imagine que d’aucuns ressentiront la même chose pour d’autres salles ; pour ma part, à l’exception du Rockstore de Montpellier, aucun autre espace consacré à la musique ne m’a plongé dans cette même ambiance, inspiré ce même sentiment d’extase.

La première fois que j’ai foutu les pieds là-bas, en 2010, j’ai pu voir ce qui était alors mon groupe préféré en action (Billy Talent, pour les rares que ça intéresserait !) ; en mars 2012, j’ai eu la chance d’assister à un concert du Peuple de l’Herbe accompagné du MC JC001 et du reggaeman Sir Jean, qui ne faisaient alors pas officiellement partie de la formation. Mais c’est bien le concert de High Tone en mars 2011 qui a définitivement gravé cet endroit dans mon cœur, à gros coups de basse et de flashs psychotiques. Trois heures de concert (fait suffisamment rare pour être souligné, figurativement comme littéralement), et l’une des plus bouleversantes expérience musicale de ma courte existence. Au bout d’une heure, la faim, la soif, la fatigue, le volume, la chaleur, la fumée et la friconfiture avaient eu raison de moi : j’étais à deux doigts de la syncope, quand c’est arrivé. Je me souviens par brèves images des deux heures qui ont suivies. Notamment de la musique envoûtante, parfois tribale, souvent hypnotisante, et de ce montage visuel en arrière-plan, inquiétant jusqu’au paranoïaque – le tout dans cette atmosphère à la fois pesante et fascinante  si caractéristique de High Tone. Je dansais. Tout le monde dansait, si l’on pouvait qualifier de danse ces mouvements étranges et insensés de pantin désarticulé. Mais je n’étais plus là, plus personne n’était là, tout le monde s’était fondu en un tout, justement. Les corps étaient à l’image des esprits : sous l’emprise de l’alcool, de la ganja, de la musique, de la danse, du rythme, du groupe – de la fête. J’en suis persuadé, rien n’est plus sûr que ceci : tant qu’il y aura de l’alcool, de la ganja, de la musique, de la danse, du rythme et du groupe, le Bataclan ne cessera jamais d’être lieu de fête.

Roch

Le 28 septembre 2012, le rap français a rendez-vous avec son histoire. Un peu pompeux dit comme ça et pourtant il y a une part de vérité. Ce vendredi des premiers jours d’automne, une affiche digne d’un Urban Peace en beaucoup plus sexy se tient dans la salle du onzième arrondissement. J’y suis convié pour écrire un live report pour un célèbre magazine de rap. La foule se tasse à quelques mètres d’où je travaille à l’époque. A l’entrée, les mineurs sont refoulés et je fais la queue observant Joke de l’autre côté de la barrière en train de gérer des bords à la David Hasseloff. A l’entrée je rencontre Nakk qui me salue chaleureusement et croise le manager d’Oxmo. Il veut me le présenter mais le Black Jacques Brel est trop occupé. Tant pis, cette rencontre arrivera plus tard. Sur la scène, de jeunes loups (L’Entourage, Némir, 3010, Taïpan) se frottent aux anciens (Kohndo, Triptik, Les X-Men). La crème de l’indépendance (Flynt, Swift Guad) croise de gros noms signés (Oxmo, Disiz). Il y en a pour tous les goûts et surtout ceux des amateurs de bon rap français. Les interludes sont assurés par Greg Frite et un Swift Guad déchainé. A l’applaudimètre, les grands vainqueurs sont Flynt et Swift Guad – de mémoire. Pendant ce temps je me suis tranquillement installé sur la partie latérale de la salle, côté droit quand on est face à la scène, reconverti en seconde loge. Aketo m’a amené au milieu de ce gentil foutoir où les bières coulent à flow et les joints défilent plus vite que les mc’s sur scène. Je m’improvise fournisseur officiel de tabac pour Joe Lucazz qui me le rend bien. Notre petit coin se transforme en public des One-D face à Harry Styles quand Ill balance ses couplets de Retour aux pyramides. L’ambiance est bonne partout et tout le monde se félicite intimement de cet énième renaissance du rap français – qui n’est finalement jamais mort. Quand les gros noms sont passés et que l’heure a sévèrement tourné la salle se vide brutalement. Par conscience professionnelle, mais aussi pour la beauté du geste j’avoue, je reste jusqu’au bout, dans une fosse où le grand corps de Doum’s de L’Entourage semble être l’épicentre. Finalement, c’est au delà de 4h du mat’, et après une distribution de fraises Tagada réconfortantes, que Greg Frite nous invite à rentrer chez nous. Pour notre bien à tous (rappeurs comme auditeurs), le Bataclan devrait vite revivre ce genre d’ambiance, où l’insouciance rimait avec le rap de France.

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