Interviews Rappeurs

[Interview] Shurik’N – « Je ne pars pas dans l’optique d’égaler ce premier album. »

Nous sommes à quelques jours de la sortie de ton album : comment te sens-tu ?

Ça va. Je suis serein parce que cet album me plaît. J’en suis content, j’ai mis tout ce que j’avais dedans. Comme tu l’as dit, il sort dans quelques jours donc ce bébé ne m’appartient quasiment plus. Après, il aura la vie que les gens lui donneront mais c’est le lot de tout artiste.

Quelle est la genèse de cet album ?

C’est très instinctif. Avec IAM, nous avons décidé de rester sur la route en permanence avec une moyenne de deux concerts par mois hors-saison. On a la chance d’être booké très souvent. Et c’est sur la route en allant à la rencontre des gens et  de voir l’impact que mes morceaux ont eus, que l’idée a commencé à s’immiscer. Alors le déclic a lieu : j’ai quelques instrumentaux, je commence à avoir trois ou quatre textes de côté. La machine est relancée.

Est-ce que tu décides de partir sur un projet solo parce que tes morceaux ne collent pas avec IAM ?

Non parce que je suis assez satisfait des quelques morceaux que j’ai fait et que je sens que j’ai vraiment retrouvé l’envie. Je fonctionne beaucoup à l’envie, c’est une position à assumer. C’est la raison pour laquelle je suis heureux de cet album et que je ne souffre pas de la pression.

Quels thèmes développes-tu dans cet opus ?

Je suis quelqu’un de très viscéral alors j’écris en conséquence. Je réagis sur des sujets qui me cassent les couilles. Le morceau Mon Fils, c’est un transfert que je fais alors que je vois un fait-divers à la télé pendant que je mange avec lui. Il y a aussi des prises de position sur des choses que je vois au quotidien. Je suis dans la réalité, les gens qui me connaissent à Marseille savent que je fréquente des endroits très populaires et des gens de tous les milieux. C’est enrichissant dans la vie mais à fortiori aussi dans l’écriture. Le choix des thèmes reste donc très proche de mes préoccupations, je n’ai jamais prétendu écrire autre chose que ce que je suis : un MC, père de 46 ans avec vingt-cinq ans de carrière. Avec surtout une vision différente de celle que j’avais il y a 14 ans (ndlr : date de sortie du premier album). Peut-être que je vais rentrer en contradiction avec des propos que j’ai tenus dans Où Je Vis. Ce serait normal, je l’ai déjà accepté. Ce serait le signe d’une évolution.

Tes morceaux ont toujours été teintés de noirceur, est-ce toujours le cas ?

J’aime une certaine atmosphère, une certaine densité dans l’écriture. Je suis toujours friand des mélodies mineures, ce qui axe mon propos vers quelque chose de pas très dansant. Et puis, on vient de parler de mes préoccupations, j’ai un gosse de onze ans, je suis un adulte qui vit dans un pays, une société et qui en connaît les travers et les avantages. J’ai des attentes et des inquiétudes sauf que moi j’ai un micro, je peux les écrire et en parler. Et c’est ce que je fais sur ce nouvel album.

Beaucoup de gens doutent de ta capacité à égaler ce premier album. Qu’en penses-tu ?

Je ne pars pas dans l’optique d’égaler ce premier album. Ce sont les gens qui se le disent, pas moi. Je veux juste faire un bon album, dans lequel je me reconnais. Quand je sors le premier, je le trouve bon, il me plaît et je me retrouve dedans. Ce sont les gens qui en font un très bon album. C’est la même chose maintenant. Etant donné que je ne travaille qu’à l’envie et que je n’ai rien forcé, j’ai eu envie de faire un bel album. Il sera forcément différent d’Où Je Vis mais le MC est le même. Ça dépendra de l’ouverture d’esprit des gens. Mais il m’est impossible de partir dans l’optique de dire que je vais faire un meilleur album.

Ce serait prétentieux.

Oui, prétentieux et contre-productif. Et puis en tout ce temps, j’espère avoir un peu changé. J’espère pouvoir proposer quelque chose de différent.

Inconsciemment, le succès de ton premier album n’est-il pas responsable des quatorze ans d’écart ?

Ah non, pas du tout ! Quand j’ai commencé à faire le premier, il ne devait pas y avoir de deuxième. Je l’avais fait par envie, pour le kiff mais vraiment pas pour lancer une carrière solo. Je voulais juste faire un album, rentrer en écriture.

Puisqu’on parle d’Où Je Vis, tu as vu qu’il y a quatre morceaux dans l’excellent top 100 de l’Abcdr du Son ?

Oui, bien sûr ! C’est très gratifiant. Ça prouve que tu ne t’es pas trop trompé dans les directions que tu as prises. Ça ne veut pas dire qu’on va s’endormir sur nos lauriers mais ça fait très plaisir. Attention, on ne court pas après ça mais on apprécie énormément.

Tu as signé ce nouvel album en indépendant, est-ce que ça a changé ta façon de travailler ?

Artistiquement, pas un seul instant. La démarche est la même. Je recherche les meilleures instrus, la meilleure atmosphère et la plus belle écriture possible. Des thèmes qui sont en adéquation étroite avec l’atmosphère du morceau. Au niveau du travail de création, la formule reste la même.

Tu fais partie des rares artistes rap, à l’instar d’Oxmo, à être acceptés par les grands médias. Est-ce que tu as conscience d’être un porte-voix pour le milieu ?

De fait, peut-être. Je pense qu’avec Ox’, on a un discours précis et nous nous sommes toujours positionnés en tant qu’artiste musical et non en tant que rappeur. Il a lui aussi une plume et un discours qui poussent certains médias à s’ouvrir à son mode d’expression.

C’est peut-être une question d’âge aussi.

Non parce que même très tôt, on n’a jamais eu de problème avec IAM. C’est surtout axé autour de notre discours.

Tu évoquais il y a dix ans dans une chanson l’idée que si vous étiez des artistes de variété, vous seriez des superstars en France avec vos chiffres de vente. Est-ce que tu as de l’amertume ?

A ventes égales, c’est certain qu’on serait des superstars. Mais il n’y a pas d’amertume, au contraire. C’était juste un constat. J’ai choisi le rap, point barre. C’est mon mode d’expression. Et je suis loin d’être à plaindre en plus !

Ne penses-tu pas que c’est le reflet du mépris de la France envers son rap ?

C’est un problème qu’on a toujours eu. Même s’il est beaucoup mieux accepté maintenant qu’il y a quelques années, il y a toujours des relents qui reviennent. On te rappelle que tu ne fais que du rap mais ça nous arrive moins. On jouit d’une certaine crédibilité et même si l’on fait du rap, beaucoup arrivent à avoir l’ouverture pour voir des artistes plutôt que des rappeurs.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

3 commentaires

  1. Salut salut ! C’est vrai que dans l’idée c’est une question difficile à répondre pour un artiste mais je pense que Lino et Shu‘ ont la bonne réponse.

  2. Beaucoup de gens doutent de ta capacité à égaler ce premier album. Qu’en penses-tu ?

    Lino avait répondu à ça, sur l’attente du deuxième album, et à ce jour c’est la meilleure réponse que j’ai lue ou entendue : Tu cours après ton cul, si tu veux.

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