Kad’Krizz est un rappeur habitant à Saumur, dans le Maine-et-Loire (49). Membre du groupe Sixième Sens, producteur, beatmaker et passionné de musique, il va sortir son projet solo, A la Surface, dans le courant de l’année. Un projet qui lui tient à cœur, un projet peut-être plus posé et mature. Rencontre.
Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu nous raconter tes débuts, tes premiers pas dans le rap?
J’ai commencé en travaillant bénévolement dans une émission rap tous les vendredis soir. Passionné de hip-hop depuis tout petit, j’ai décidé avec deux amis (SVD et Morad) de former un groupe pour évoluer dans cette musique et partager des moments ensemble autour de cet art. Puis en 1995, toujours sur cette radio, nous avons rencontré Malik (LIK) qui venait de Paris et qui était tout autant passionné que nous. Nous avons décidé de former le groupe avec lui. Avec Kedy Kaine, Sixième Sens a pris la forme d’un trio: LIK, Kedy Kaine et moi-même.
Comment êtes-vous passés du son amateur à quelque chose de plus professionnel?
On rappait ensemble et c’est vrai qu’on était passionné sans se dire qu’un jour, nous allions arriver à ce qu’on a fait jusqu’à aujourd’hui. Et puis, une rencontre a été décisive: celle du groupe IAM. Nous les avons reçus à Radio Saumur pour leur promo de leur album L’école du Micro d’Argent et nous nous sommes rendu compte que c’étaient des personnes simples et accessibles. Nous avons réellement pris conscience que nos côtés un peu rêveurs de l’époque pouvait devenir réalisables si on s’y mettait sérieusement. C’est vrai qu’à cette époque, le rap provincial était rare: il venait principalement de Paris ou Marseille donc c’était dur de s’imaginer faire des choses dans ce milieu-là. Notre rencontre avec eux nous a donné confiance, je pense et nous a donné une véritable énergie de création.
Et justement, le fait de vivre dans une petite ville de province ne vous a-t-il pas donné du fil à retordre?
C’est vrai que si nous étions à Paris ou Marseille à cette époque, ça aurait été plus simple mais la ville ne change en rien la qualité d’un groupe. Un facteur qui nous a donné quelques complications, c’est le choix du matos pour travailler, les bases pour le bon fonctionnement d’un projet musical. Et puis, le fait de venir d’une petite ville à cette époque et de rapper n’était pas forcément crédible pour la plupart des gens: il fallait avoir cette image de Paris ou Marseille pour appuyer cette crédibilité. Le point noir du rap à cette époque, je pense que c’était l’identité des artistes. C’est pour ça que le nom choisit pour notre premier album était Sans Frontières car notre métissage, notre diversité a fait notre force.
Mais le fait d’avoir été loin des deux pôles principaux de la sphère du rap vous a quand même permis de rencontrer pas mal de monde, non?
Oui, c’est vrai. Mais Malik venait de Paris et avait déjà beaucoup de contacts: on s’en est servis pour apporter à notre rap quelque chose de différent. Une de mes meilleurs rencontres artistiques, je pense que c’est celle avec 20Syl. Il est de Nantes donc à une certaine proximité de Saumur. Nous l’avons rencontré lors d’un concert d’Ärsenik et les contacts se sont fait rapidement. C’est vrai qu’à cette époque, tout se faisait rapidement.
Rapidement comparé à aujourd’hui ?
Et bien, le rap était rare’ comparé à aujourd’hui. Sa diffusion était limitée et les rappeurs qui en voulaient étaient obligés de se débrouiller pour s’enregistrer, avoir du matos et vendre en direct leurs cassettes ou albums. Alors qu’aujourd’hui, avec Internet et les réseaux sociaux, chacun peut s’enregistrer et balancer en 15mn sa vidéo, tout en restant chez lui, bien au chaud. Ce qu’il fait qu’il y a énormément de monde aujourd’hui qui se disent rappeurs. A l’époque, on arrivait à se différencier plus facilement donc la reconnaissance entre artistes était mutuelle : il y avait un réel esprit de famille avec de vrais liens et du respect artistique.
Quelle tournure a prit l’aventure Sixième Sens par la suite?
En 1999, nous avons sorti un maxi, Après Réflexion puis en 8 ans, nous avons à notre compteur 4 albums studios: Sans Frontières (2002), On pense à vous (2004), Herbe de Province (2006) et Citoyen du Monde (2010). Nous avions une très bonne dynamique de travail: chacun de nous avait son petit rôle pour faire avancer le groupe. LIK était un peu la locomotive du groupe, il faisait tout ce qui était communication. Quant à moi, j’étais plus présent derrière le matos pour les prises de sons. Et puis, après la sortie du dernier opus, nous avions chacun eu l’envie d’évoluer séparément. Nous avions eu l’impression d’avoir fait le tour de Sixième Sens. Nous ne disons pas que l’aventure est terminée mais c’est vrai qu’elle est en gros suspens.
Mais Kad’Krizz, ce n’est pas seulement Sixième Sens?
C’est vrai que je peux être sur scène mais aussi derrière la scène, en sous-marin. En 2003, nous avons créé une association pour que notre studio soit ouvert à tous ceux qui veulent faire du son. Je suis donc aussi sur la production, la création de prod’, tout l’envers du décor. Full Moon Records est aussi un moyen de m’épanouir artistiquement.
Ton expression en sous-marin et le nom de ton prochain projet A la Surface ont-ils un lien?
Exactement. Depuis la pause avec Sixième Sens, j’ai eu besoin de m’accomplir en solo le temps d’un album. J’avais besoin de faire mon projet. Et puis, avec l’expérience que j’ai gagnée grâce au groupe et grâce à Full Moon, je sais que je peux créer quelque chose qui me corresponde vraiment. Ce projet sortira sous format CD et DVD. Je voulais du visuel, une écriture simple et efficace avec de l’image. C’est un projet sur la durée, je veux vraiment sortir quelque chose de carré et qui me rende fier car c’est vrai que c’est mon tout premier album en solo. Je me sens à l’aise malgré tout car A la Surface me tient à cœur, je ne me suis pas limité artistiquement et je le réalise avec plaisir et du mieux possible.
Une différence, un changement entre le Kad’Krizz de Sixième Sens et le Kad’Krizz de 2013?
J’ai l’impression de me libérer des chaînes que les gens ont voulu me mettre en tant que rappeur malgré le fait que j’ai toujours été en phase avec ce que je vis au quotidien. A la Surface est mon défi personnel, j’attends beaucoup de moi-même et pas forcément des autres, c’est peut-être ce facteur qui différencie Kad’Krizz en solo et Kad’Krizz de Sixième Sens. Je veux évoluer et ne surtout pas rester sur des acquis, choisir la facilité. Je veux aussi favoriser la musique en elle-même: cet album aura beaucoup de sons acoustiques. Je ne veux pas faire un album rap, pour seulement faire un album rap. Je veux faire des rencontre et partager sur le moment. D’ailleurs, c’est comme ça que mon featuring avec Ramon Mirabet est né: on s’est rencontré après un concert, il a sorti sa guitare et on a commencé à chanter ensemble. Le moment était fort et nous l’avons immortalisé sur l’album sous le nom de Un jour de plus. C’est ça pour moi, le rap, la musique: prendre ce qu’il y a à prendre tout en restant fidèle à soi-même.
Le partage de ta musique, tu le fais vivre à pas mal de personnes différentes…
Oui, déjà ceux qui me suivent depuis des années avec Sixième Sens et ceux qui attendent mon projet futur mais ce que j’aime vraiment avec la musique, c’est la faire partager à des personnes qui ne sont pas forcément mon public habituel, un public habitué au rap. Je donne des cours d’écriture au sein d’ateliers. J’ai eu des jeunes qui accrochent plus ou moins. Mais par exemple, le fait de travailler avec des handicapés, les faire écrire, les faire écouter ma musique et les voir aimer, les voir sourire et les voir s’épanouir grâce à ça, c’est vrai que c’est une belle récompense. Toucher des personnes qui n’étaient pas susceptibles de l’être. Cet été, nous avons aussi donné un concert à la maison d’arrêt d’Angers avec Sixième Sens et cela a été une superbe expérience pour moi et le groupe: c’est que du vrai, de l’authentique. Parler de choses dures et concrètes à des gens qui savent, qui se retrouvent dans nos paroles, les faire cogiter et les toucher de par nos paroles, c’est juste magique humainement.
Propos recueillis par Paoline Roy-Delaunay.